Novembre : Le mois des âmes du purgatoire
Source : Livre "Mois des âmes du purgatoire ou méditations, prières et exemples pour le mois de novembre"
PRÉFACE
Le volume que nous présentons aujourd'hui à nos pieux lecteurs est le complément de notre ouvrage de la Communion des Saints, dont les deux premiers volumes ont été publiés l'année dernière.
Après
avoir montré dans la première et dans la seconde partie de cet ouvrage
comment nous étions unis aux Anges et aux Saints qui nous attendent dans
l'éternelle patrie, nous montrons dans la troisième comment nous le sommes aux saintes âmes qui souffrent dans le purgatoire.
Les liens qui nous unissent à ces saintes âmes ne sont ni moins étroits, ni moins forts que ceux qui nous unissent aux anges et aux saints. Si dans les premiers nous avons des frères, des amis, des protecteurs qui nous aident dans nos besoins, qui nous consolent dans nos peines et dont nous implorons le secours dans les épreuves qui assombrissent notre vie, la protection dans les dangers qui nous menacent ; dans les âmes du purgatoire nous avons aussi des frères, des amis
qui doivent nous être d'autant plus chers qu'ils sont souffrants et
malheureux. Nous montrons comment nous pouvons, en vertu de la
communion des Saints, être à notre tour leurs protecteurs, les secourir et leur venir en aide.
Tout en nous efforçant d'inspirer à nos lecteurs une tendre compassion pour ces âmes qui
la méritent à tant de titres, nous nous sommes scrupuleusement attaché à
ne rien avancer dans cet ouvrage qui ne soit exactement conforme à la
doctrine de l'Église, à l'enseignement des Pères et des Docteurs sur le purgatoire, et pour atteindre ce but, nous avons puisé aux sources les plus pures en nous aidant pour la composition de cet ouvrage de ceux des auteurs qui nous offraient les garanties les plus sûres sous le rapport du dogme, et qui ont le mieux écrit sur le sujet que nous voulions traiter.
Nous avons divisé les méditations de chaque jour en deux points, afin que les personnes qui n'auraient pas le temps de lire la méditation toute entière puissent se borner à un seul point.
Nous devons à l'obligeante amitié du pieux auteur des Réflexions et Prières pour la communion, les prières de la messe, la Préparation et l'Action de grâces pour le jour de la commémoration des morts, ainsi que le Chemin de Croix en faveur des âmes du purgatoire dont il a bien voulu enrichir notre ouvrage.
Nous
avons été aussi heureux que reconnaissant de les y insérer, bien sûr
que nos lecteurs partageront notre joie, en retrouvant les pensées et
les pieuses affections d'un auteur qui a su mériter leur sympathie et
leur estime.
Daigne le Seigneur bénir notre travail et s'en servir pour procurer aux saintes âmes auxquelles nous nous intéressons si sincèrement, des suffrages plus abondants et un soulagement plus prompt et plus efficace.
Après avoir sollicité la charité de nos pieux lecteurs en faveur des âmes souffrantes du purgatoire, qu'il me soit permis en terminant de la réclamer aussi pour moi-même.
Dieu, par de longues et toujours croissantes infirmités, m'avertit que le jour n'est peut-être pas éloigné où j'aurai besoin pour moi-même des suffrages que j'ai demandés pour les autres.
J'ose
donc les demander à mes chers lecteurs, et les prier de ne pas me
refuser un souvenir devant Dieu, lorsque la mort aura brisé la plume à
laquelle ils ont fait un si sympathique accueil et glacé le cœur aux sentiments duquel ils ont bien voulu s'associer si souvent pour aimer et bénir le Dieu de l'Eucharistie.
Qu'ils
veuillent bien alors accorder à ma pauvre âme l'aumône d'une prière,
d'une communion, et cette âme reconnaissante se souviendra éternellement
de leur charité devant Dieu.
PREMIER JOUR.
Existence du Purgatoire.
Rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des Cieux.
Ier Point. A peine le péché eut-il souillé de son souffle impur les délicieuses solitudes de l'Eden que la voix sévère du Créateur
retentissant sous leurs frais ombrages, appela devant lui nos premiers
parents et prononça contre eux ce terrible arrêt : " Vous êtes poussière
et vous retournerez en poussière. "
Chassés du jardin de délices où ils avaient été créés, dépouillés de leur innocence et de tous les biens dont la libéralité du Créateur s'était plu à les combler, Adam et Ève durent arroser des larmes
de leur repentir cette terre que chacun de leurs descendants devait
également tremper de ses pleurs avant qu'elle ouvrit son sein pour
recevoir sa dépouille mortelle.
Ils ne tardèrent pas à voir la mort frapper sa première victime, et l'innocent Abel tomber sous les coups du fratricide Caïn.
Dieu,
en brisant leurs cœurs par cette poignante douleur, voulut qu'avant de
retourner dans la poussière d'où il les avait tirés, ils comprissent par
la grandeur du châtiment quelle avait été la grandeur de leur faute.
Depuis
lors la mort n'a pas cessé de promener sa faux sur les enfants d'Adam ;
depuis six mille ans toutes les générations humaines sont
successivement tombées sous ses coups, et l'impitoyable moissonneuse ne
coupe pas seulement les épis mûrs, elle coupe également ceux que n'a pas
encore mûris le soleil de la vie. Si elle déracine le chêne
couronné par la neige de nombreux hivers, elle fane également de son
souffle glacé la fleur à peine éclose, elle appose son sceau sur la téte
blonde de l'enfant comme sur le front chauve du veillard, et éteint la flamme de la vie dans le sein de l'adolescent, du jeune
homme, de la jeune fille, qui se promettent de longs jours et sourient à
l'avenir avec toutes les riantes illusions de la jeunesse, comme elle
l'éteint dans celui de l'homme fait qui déjà a trempé ses lèvres au
calice amer des déceptions humaines.
Sourde et aveugle, la mort ne voit rien, n'entend rien : insensible à
nos gémissements, aux cris de notre douleur, elle nous arrache sans
pitié les êtres chéris que nous lui disputons en vain et continue, sans
plus d'égards pour le grand que pour le petit, pour le riche que pour le pauvre, à infliger à l'homme le châtiment auquel l'a condamné la justice divine.
Mais il est en nous une flamme immortelle, un souffle de vie que la mort ne peut pas éteindre ; son pouvoir ne s'étend que sur nos corps, nos âmes n'y
sont pas assujetties ; elle peut rompre les liens qui la retiennent
dans leur prison d'argile, mais elle ne peut les anéantir. Immortelles,
indestructibles, elles survivent à la dissolution de ces corps, qui eux
aussi ne resteront pas toujours sous l'empire de la mort, et à l'instant
où les liens qui les unissent à eux sont brisés, elles entrent pleines
de vie, mais d'une vie qui change de nature et de forme, dans les
profondeurs de l'éternité.
Mais le sort de toutes ces âmes que chaque jour la mort jette par milliers dans le sein de l'éternité est-il le même
pour toutes ? La vie nouvelle qui commence pour elles est-elle
également pour toutes une vie exempte de toute espèce de peine et
parfaitement heureuse ? C'est en vain que l'impie, que celui qui a
intérêt à nier les châtiments de l'autre vie répond affirmativement à
cette question.
La
foi nous fait à nous chrétiens et enfants soumis de l'Eglise une
réponse bien différente. Elle nous répond, il est vrai, que l'arrêt qui
condamnait les malheureux enfants d'Adam à une mort éternelle a été
effacé par le sang adorable du Rédempteur, que les portes du ciel qui nous avaient été fermées par le péché de notre premier père se sont rouvertes devant le glorieux
vainqueur de la mort et de l'enfer, et que Jésus, Dieu et homme tout
ensemble, en allant s'asseoir à la droite de son Père, a élevé dans sa
personne divine l'humanité jusqu'au plus haut des cieux. Elle nous dit encore que par la grâce inestimable du saint
baptême nous sommes devenus les enfants de Dieu, les frères, les
cohéritiers de Jésus-Christ, et que tous "nous pouvons, si nous nous en
rendons dignes par la sainteté de notre vie, partager un jour son
héritage et son bonheur.
Cependant elle enseigne aussi que rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des cieux
et que Dieu, qui est la sainteté même, ne saurait admettre en sa
présence l'âme dans laquelle il découvre la plus légère tache. Hélas !
s'il en est ainsi, le ciel resterait-t-il donc à jamais fermé à cette multitude d'âmes qui
entrent dans l'éternité en grâce avec Dieu, c'est vrai, mais toutes
souillées encore de cette poussière de la terre qui s'attache même aux âmes les
plus justes et coupables de fautes légères dont elles n'ont pas fait en
ce monde une pénitence suffisante ? La foi vient encore nous résoudre
cette question et nous rassurer par ses lumières et ses divines
consolations.
En
effet, elle nous apprend, cette foi sainte dont les divins
enseignements ont nourri notre enfance, qu'au moment où elle entre dans
l'éternité, l'âme se trouve jetée au pied du tribunal redoutable du souverain juge, de ce juge qui sonde les replis les plus cachés du cœur de l'homme, dont rien ne peut mettre en défaut la divine perspicacité, ni fléchir l'inexorable justice, car le règne de la miséricorde est passé pour l'âme que Jésus a citée à son tribunal ; il n'est plus alors le Sauveur dont l'amour et la miséricorde ont enveloppé sa vie tout entière, mais le juge dont l'équité va lui demander compte de l'usage qu'elle a fait de ses grâces et des bienfaits
dont il n'a cessé de la combler. Si l'âme qui paraît devant ce juste
juge est exempte de toute souillure, Jésus se sent heureux, si je puis
ainsi m'exprimer, d'exercer sa justice en la récompensant,
et c'est avec une joie égale à l'amour qu'il a pour elle, qu'en lui
décernant la couronne promise aux vainqueurs, il lui ouvre immédiatement
les portes du ciel. Si cette âme au
contraire parait devant lui coupable d'un seul péché mortel dont elle ne
s'est pas repentie et qui ne lui a pas été remis par la grâce de
l'absolution, l'arrêt de sa réprobation est prononcé à l'instant même ;
il est irrévocable et reçoit à l'instant même sa terrible exécution.
Mais si cette âme, sans être souillée de péchés mortels, parait à ce
redoutable tribunal portant sur la robe de son innocence les souillures
qu'y a laissées le péché véniel, péchés
qui lui ont été remis quant à la coulpe, mais dont la peine lui reste à
subir, soit qu'elle ait omis pendant sa vie d'en faire une pénitence
suffisante, soit que la mort ne lui ait pas laissé le temps de la faire, Jésus, dans son infinie miséricorde, ne la repousse pas ; loin de là, il lui assure le ciel
; mais avant qu'elle puisse y entrer et être admise à jouir de son
adorable présence, il faut qu'elle ait payé jusqu'à la dernière obole ce
qu'elle doit à sa justice ; et le purgatoire, lieu de peine et d'expiation, lui ouvre alors ses brûlants abîmes. Là cette âme s'épure comme l'or dans le creuset, là la rouille et toutes les traces dupéché
doivent s'effacer sous l'action terrible de ces flammes vengeresses
qu'ont allumées et qu'attisent à la fois la justice et la miséricorde
divines.
La pensée du purgatoire est
effrayante sans doute ; mais elle est aussi bien consolante. Hélas !
que serions-nous devenus si Dieu dans son infinie bonté n'avait trouvé le moyen de sauvegarder à la fois les droits de sa justice et ceux de sa miséricorde ?
Combien peu auraient pu espérer le ciel si sa sagesse n'avait placé le purgatoire comme un jalon entre le ciel et l'enfer ? Ah ! sans cette magnifique invention de la justice de Dieu, mais j'ose aussi le dire, de son amour et de sa tendre compassion pour les pécheurs, le ciel eût été privé de la plus grande partie de ses habitants, car il est bien restreint le nombre des âmes qui quittent cette vie assez saintes, assez pures pour entrer immédiatement en possession du bonheur éternel, et à l'exception des petits enfants qui meurent avant d'avoir atteint l'âge de raison et perdu l'innocence de leur baptême, sur plusieurs milliers d'âmes, combien en trouverait-on qui en quittant la vie soient exemptes des plus
légères souillures et assez pures pour prendre leur vol vers la céleste
patrie sans rien avoir à démêler avec la justice de Dieu ? Il en
existe, je le sais ; mais, je le répète, le nombre en est plus restreint qu'on ne le croit généralement.
Mais l'existence de ce purgatoire,
dont la pensée est si consolante pour notre faiblesse, est-elle
certaine ? A cette question je réponds que l'Eglise a mis l'existence du purgatoire au nombre des dogmes de la foi, que l'Ancien et le Nouveau Testament attestent également cette vérité, et nous allons en apporter les preuves.
IIe Point. Le dogme du purgatoire repose avant tout sur les saintes Ecritures. Ouvrons l'Ancien et le Nouveau Testament, nous voyons Judas Machabée prier avec tous ses soldats pour ceux qui ont été tués dans le combat. Puis il fait une collecte et l'envoie à Jérusalem pour faire offrir des sacrifices à la même intention ; car, ajoute le texte sacré, c'est une sainte et salutaire pensée de prier pour les morts afin qu'ils soient délivrés de leurs péchés.
Cet exemple nous prouve que déjà avant la venue de Jésus-Christ les Juifs croyaient qu'il y avait des péchés
que Dieu pardonne dans l'autre vie et que les vivants pouvaient
contribuer par leurs prières, par leurs aumônes, par leurs sacrifices, à
en obtenir le pardon aux morts. On trouve même dansle rituel des Juifs une prière que le chef de famille devait faire pour la délivrance des morts avant de se mettre à table.
Jésus-Christ, pendant sa vie publique, confirme lui-même cette vérité par ses divins enseignements, et sans nommer le purgatoire, sans rien nous dire des peines qu'on y endure, il le désigne clairement et il nous fait assez comprendre qu'il y a dans l'autre vie un lieu de peines où le péché devra être expié lorsqu'il prononce ces paroles : « Réglez vos comptes avec votre adversaire pendant que vous êtes dans le chemin, car autrement votre adversaire vous remettra entre les mains du juge, et le juge vous livrera à son ministre, et le ministre vous enfermera dans une prison dont vous ne sortirez, je vous le déclare, que lorsque vous aurez payé votre dette jusqu'au dernier denier. »
Quel est cet adversaire avec lequel Jésus-Christ nous engage à régler nos comptes pendant le chemin,
c'est-à-dire pendant la vie ? Cet adversaire, répond saint Augustin,
c'est Dieu lui-même, l'adversaire, l'ennemi irréconciliable du péché et de nos mauvais penchants.
Quel est le juge auquel Dieu nous livrera si nous n'avons pas entièrement réglé nos comptes avec lui et satisfait à sa justice pendant notre vie ? Ce juge, c'est Jésus-Christ, son divin flls, que la sainte Ecriture appelle le juge des vivants et des morts.
Quelle est la dette que nous devons payer jusqu'au dernier denier ? C'est la peine temporelle que nous avons encourue par le péché, peine qui dans le saint Evangile porte le nom même de dette.
Quelle est enfin cette prison dans laquelle le débiteur doit être si rigoureusement détenu ? C'est le purgatoire,
d'où l'on ne peut sortir qu'après avoir entièrement satisfait à la
justice de Dieu. Dans une autre circonstance notre adorable Sauveur dit
encore : « Si quelqu'un parle contre le Fils de l'homme, son péché lui sera remis ; mais si quelqu'un parle contre le Saint-Esprit, son péché ne lui sera remis ni dans ce monde, ni dans l'autre. »
Alors, conclut saint Grégoire, il y a des péchés qui sont remis après la vie, car pourquoi Jésus-Christ aurait-il dit que le péché contre le Saint Esprit ne sera remis ni en ce monde ni en l'autre, s'il n'y avait aucun péché qui dût être remis dans l'autre monde ?
Mais
quels sont les péchés que Dieu remet dans l'autre monde ? Ce ne sont
pas sans doute les péchés graves, les péchés mortels, ce ne sont que les
fautes légères et les restes du péché. «
Les péchés graves, » dit encore saint Grégoire, ne seront jamais
pardonnés dans l'autre vie. Car d'après l'Apôtre, pareils au bronze, au
fer, au plomb, ces péchés ne peuvent pas être purifiés par la flamme,
Dieu ne pardonnera que les fautes légères qui ressemblent au foin, au
bois et à la paille que le feu peut assurément consumer. » « Les âmes qui sortent de cette vie avec des péchés
mortels, ajoute Origène, sont pesantes comme un plomb vil, elles
tombent entraînées par leur propre poids au fond de l'abîme, et elles y
resteront ensevelies à jamais, seIon qu'il est écrit : Ils ont été
engloutis comme le plomb dans le fond d'une mer soulevée (1). »
Aux textes de la sainte Ecriture, il faut joindre l'enseignement de l'Eglise, qui a fait du purgatoire un
dogme de foi. Ce dogme a été proclamé par un grand nombre de conciles.
Voici quels sont sur ce point de notre foi les décisions du concile
de Trente contre les protestants. « Si quelqu'un dit qu'à tout pécheur
pénitent qui a reçu la grâce de la justification, la coulpe ou
l'offense est tellement remise, et la peine éternelle tellement abolie,
qu'il ne lui reste plus de peine temporelle à souffrir en ce monde ou en
l'autre dans le purgatoire avant d'entrer dans le royaume des cieux, qu'il soit anathème. »
Et encore : « L'Eglise catholique instruite par le Saint-Esprit, ayant toujours enseigné selon les saintes Ecritures et l'antique tradition des Pères, dans les saints conciles, et tout récemment dans ce concile général, qu'il y a un purgatoire, et que les âmes qui y sont détenues reçoivent du soulagement par les suffrages des fidèles et principalement par le sacrifice de l'autel toujours agréé de Dieu, le saint concile ordonne aux évêques d'avoir soin que la saine doctrine touchant le purgatoire
soit enseignée et prèchée partout, afin que les fidèles y tiennent et
la professent telle qu'elle nous a été transmise. (Session 25, décret du purgatoire.)
Les
Pères et les Docteurs de l'Eglise, fidèles interprètes de la parole
divine, ces témoins intègres de la foi, ces dépositaires incorruptibles
de la saine doctrine, ces hommes enfin qui ont étonné le monde
par la sainteté de leur vie autant que par l'étendue de leur
connaissance et la profondeur de leur science, sont unanimes dans leur
croyance au purgatoire et n'ont qu'une voix pour la proclamer. Saint Cyprien, au IIIe siècle, distingue trois états de l'homme après la mort. Celui des saints dans le ciel, celui des méchants dans l'enfer, et celui du purgatoire, où l'on est purifié dans le feu avant d'être admis au séjour de la gloire. Saint Augustin offre le saint sacrifice pour le repos de l'âme de sa mère.
Saint
Ambroise s'écrie à la mort de son père : « 0 » mon père, je
m'oublierais plutôt moi-même que de vous oublier jamais dans mes
prières. Non, ni la mort, ni le temps ne
pourra vous arracher de mon cœur. En parlant de l'empereur Théodose, il
dit : « Je l'ai aimé comme mon fils sans cesser de le respecter comme mon maître, et c'est pourquoi je ne cesserai jamais d'offrir pour lui mes vœux et mes prières. Je ne le quitterai plus jusqu'à ce que je l'aie introduit dans la région des vivants
où ses mérites l'appellent. » Il nous serait facile de multiplier les
citations ; pour ne pas être trop long nous nous bornerons à celles-là.
La raison elle-même proclame l'existence du purgatoire,
sa voix nous parle connue l'Eglise et les Ecritures. Elle nous dit
d'abord que Dieu est saint, qu'il est la sainteté, la pureté même, et
par conséquent que rien d'impur ne peut entrer dans son royaume, et
qu'une âme, ne fut-elle souillée que d'une légère tache, est indigne de
s'unir à lui tant qu'elle ne sera pas effacée. « Dieu, dit Job, a
découvert des taches » jusque dans ses anges. Seigneur, s'écrie le Roi
Prophète, qui habitera votre tabernacle et qui se reposera sur votre
montagne sainte ? Celui-là seul qui est sans péché et qui possède la
perfection de la justice. »
Hélas!
où la trouverons-nous dans ce monde cette perfection, cette sainteté
sans tache, cette vertu sans défauts, elle n'y existe pas, et les âmes qui
arrivent au degré de pureté que Dieu exige pour s'unir à elles
immédiatement après leur mort sont réellement de rares, très rares
exceptions.
La
raison d'accord avec la foi, nous dit encore que Dieu est bon,
infiniment bon, qu'il pardonne, mais elle nous dit aussi qu'il est juste
et qu'il exige une réparation. La justice de Dieu ne peut pas plus
laisser sans punition la plus légère faute, qu'elle ne peut laisser sans
récompense le plus petit acte de vertu.
Donc celui qui n'aura pas réparé ses fautes dans ce monde, les réparera
infailliblement dans l'autre. Les satisfactions que nous n'aurons pas
rendues à la justice de Dieu pendant cette vie, la justice de Dieu se
les rendra elle-même après notre mort. Et où les rendra-t-elle ? Dans le purgatoire.
Enfin la raison nous dit que Dieu est miséricordieux, et que le purgatoire même est une preuve de son infinie miséricorde. « Dieu, dit Tertullien, se montre dans le purgatoire aussi miséricordieux qu'il est juste et qu'il est saint. Il punit les âmes, mais il les aime. Il voit en elles le reflet de sa grâce, le cachet de la prédestination, le signe de l'agneau, le sang de son Fils, la peine qu'il leur impose est une peine de miséricorde.
Bénissons donc cette miséricorde de Dieu, qui par égard à la faiblesse de sa créature, a placé entre le ciel et l'enfer un lieu d'expiation, où l'âme peut encore effacer ses souillures, où malgré la rigueur des souffrances qu'elle endure, elle n'espère pas seulement, mais elle est assurée de posséder un jour le bonheur pour lequel elle a été créée. Mais bénissons surtout cette bonté qui nous établit comme médiateurs entre lui et ces âmes souffrantes, qui nous donne le pouvoir de lier les mains de sa justice, d'arrêter le bras
qui les frappe, d'être encore utiles à ceux que nous avons aimés, et de
les suivre par notre amour au delà même de la tombe.
PRIÈRE.
Enfants soumis de votre Eglise, nous croyons, ô mon Dieu, à l'existence du purgatoire comme
à tous les dogmes qu'elle nous enseigne, nous adorons l'équité de vos
jugements, même dans les rigueurs de votre justice ; nous y entrevoyons
votre miséricorde, et nous bénissons la sagesse infinie qui a su
concilier les droits de l'une et de l'autre. Oh ! qu'elle est belle, mon
Dieu, notre foi ! qu'elle est consolante la doctrine de votre Eglise.
Tandis que l'incrédulité ne voit rien au delà de la tombe, que le cœur desséché de
l'hérésie voit dans la mort la rupture de tous rapports entre ceux qui
s'en vont et ceux qui lui survivent, l'Eglise, comme une tendre mère,
vient verser un baume consolateur sur les profondes blessures que la
mort fait à nos cœurs en nous séparant de ceux que nous aimons. Elle
élève nos pensées bien au-dessus de cette terre qui s'est ouverte et
refermée sur la dépouille mortelle de ceux que nous pleurons, en
présence des hideux trophées de la mort,
elle nous rappelle à la pensée de notre glorieuse immortalité, et au
milieu de nos larmes et de notre douleur, elle nous fait entendre des paroles
d'espérance et d'amour. Elle nous dit que ceux dont la séparation
déchire notre cœur ne sont pas perdus pour nous, qu'ils ont échangé une
vie pleine de misère contre une vie qui ne doit plus finir, que séparés
d'eux par la mort, nous leur sommes encore unis par la charité, que nous
pouvons encore leur donner de nouveaux témoignages de notre amour en
accélérant leur bonheur par nos prières, en acquittant nous-mêmes par des œuvres
satisfactoires les dettes qu'ils ont contractées envers votre divine
justice. Oui, ô mon Dieu, notre cœur avait besoin de croire que la mort
n'interrompait pas nos rapports avec ceux dont elle nous sépare, que
notre douleur et nos larmes unies à nos prières pouvaient plaider leur
cause auprès de vous, que noue pouvions par nos suffrages et nos bonnes
œuvres leur venir en aide et hâter l'instant de leur bonheur. Acceptez
donc, Seigneur, l'humble hommage de notre reconnaissance, et soyez béni
d'avoir placé dans un des articles de notre foi une de nos plus douces consolations.
EXEMPLE.
Dans le diocèse
de Nocera, vint à mourir un jeune homme qui avait eu pour saint
Bernardin de Sienne une dévotion singulière, et ce saint pour le récompenser obtint de lui rendre la vie. Mais avant il voulut bien lui faire connaître les mystères de l'autre monde, et le prenant avec lui il le conduisit
dans les régions infernales. Là, dans les tourbillons d'une épaisse
fumée et d'un feu dévorant, il lui fit voir une foule presque infinie de
damnés, en proie à un éternel désespoir. Il le transporta ensuite au ciel, où, dans un ordre admirable, les chœurs des anges et les cohortes des saints jouissaient d'un bonheur au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer. Enfin il lui montre la prison du purgatoire, où au milieu des flammes ardentes se purifiaient les âmes des trépassés jusqu'à ce qu'elles fussent dignes d'entrer dans la gloire du ciel. Ce ne fut pas sans être profondément touché qu'il vit ces âmes s'empresser autour de lui et le prier de retracer aux hommes, à son retour dans le monde, les affreux tourments qu'elles souffraient, et de les exciter à les soulager par des suffrages abondants. Il le fit au grand avantage de ces pauvres âmes, car rendu à la vie il parlait à tous du purgatoire : « Ton père, disait-il à l'un, est au milieu des flammes
et attend les effets de ta piété filiale : ton fils, disait-il à un
autre, se recommande à ton amour paternel : ton bienfaiteur, ingrat
héritier, te demande l'exécution de ses legs pieux. Toutes ces âmes, en un mot, ont recours à votre foi, à votre charité, pour obtenir un prompt et généreux soulagement. Figurons-nous aujourd'hui entendre les mêmes exhortations, et donnons les preuves les plus manifestes de notre croyance au purgatoire. » (Le Mois des Ames du purgatoire, par Francesco Vital.)
PRATIQUE.
Prouver notre foi au dogme du purgatoire par une tendre charité pour les saintes âmes qui en subissent les rigueurs et par la suite des fautes légères qui peuvent nous y conduire nous-mêmes.
IIe JOUR
Justice et miséricorde.
Si vous tenez, Seigneur, un compte exact de nos iniquités, qui pourra subsister devant vous. Ps. 129.
Ier Point. Dieu
est saint, il est la sainteté même, et sa sainteté repousse tout ce qui
ne l'est pas. Il est juste, la justice même, et cette justice réprouve le péché, elle le poursuit et le punit partout où elle le trouve.
Il est miséricordieux, et la miséricorde même, il aime à exercer cet
attribut divin sur notre misère, et s'il ne peut indiquer les droits de
sa justice, il en tempère toujours les rigueurs par sa miséricorde. Il
hait le péché, mais il aime le pécheur, il a pitié de la faiblesse de sa créature, et dans son infinie bonté, il ne peut se décider à perdre éternellement les âmes qui
paraissent en sa présence revêtues de la robe nuptiale de sa grâce ;
mais portant sur cette robe qui doit être immaculée pour être admise aux
noces de l'agneau les légères traces du péché
véniel qui n'a pas été expié en ce monde, ou qui sont encore redevables
à la justice pour n'avoir pas fait une pénitence suffisante des péchés
mortels qui leur ont été remis quant à la coulpe par la grâce de
l'absolution, mais dont la peine temporelle leur restait à subir. Le purgatoire est donc le moyen
inventé par la justice de Dieu pour concilier à la fois les droits de
sa justice et ceux de sa miséricorde, c'est la planche de salut que sa
main miséricordieuse prépare aux pauvres naufragés de la vie, que la
mort jette chaque jour en si grand nombre sur les rivages de l'éternité.
Sans cette planche de salut, l'entrée du ciel serait presque impossible à notre faiblesse, et le nombre des élus serait, hélas ! bien restreint.
Cependant ne nous faisons pas illusion, si la miséricorde de Dieu se montre à nous par l'invention du purgatoire, sa justice s'y exerce dans toute sa rigueur, elle ne relâche rien de ses droits, et les saintes âmes qu'elle
retient dans ces brûlantes prisons doivent lui payer jusqu'à la
dernière obole la dette qu'elles ont contractée envers elle. En quittant
la vie, ces âmes ont passé de l'empire
de la miséricorde de Dieu sous celui de sa justice. Cette nuit
redoutable dont Notre-Seigneur nous parle dans le saint
Evangile, nuit où l'on ne peut plus rien faire, c'est-à-dire, où l'on
ne peut plus ni mériter, ni fléchir par ses prières et par ses larmes le Dieu
que l'on a offensé, est arrivée pour elles. Hélas ! ce Dieu si bon, qui
pendant leur vie n'a cessé de les poursuivre de son amour, qui avait
soif de s'unir à elles, les repousse aujourd'hui avec une inflexible
rigueur. Ce Dieu qui se laissait fléchir au premier cri de leur
repentir, qu'un soupir, qu'une larme désarmait et qui semblait en
quelque sorte plus empressé de les pardonner qu'elles ne l'étaient
elles-mêmes d'obtenir leur pardon, reste maintenant sourd et comme
insensible à leurs gémissements, à leur prières et à leurs larmes.
La main du Seigneur, cette main plus douce encore que celle d'une mère quand elle essuie nos larmes, et qu'elle verse sur les plaies de notre âme le baume de ses divines consolations, s'appesantit sur ces âmes infortunées.
Ah ! si elle est douce, légère quand elle panse nos blessures, elle
nous semble parfois bien lourde lorsqu'elle s'appesantit sur nos corps
par la maladie, ou sur nos âmes par l'affliction, et cependant quand il frappe ici-bas, c'est un père qui le fait,
la tendresse retient son bras et tempère toujours la sévérité de ses
châtiments ; mais dans l'autre vie, sa main pèse de tout son poids sur
les saintes âmes du purgatoire, il est
père encore, il punit à regret ; mais il punit en juge. Que dis-je ? il
punit en Dieu !... Cette main qui châtie est bien sévère et bien
puissante, et les âmes qui la sentent peser sur elles, ne pouvant plus le fléchir elles-mêmes, s'adressent à nous et nous crient du fond de leurs brûlants abîmes : « Ayez pitié de nous, vous du moins qui êtes nos amis ! Ayez pitié de nous, car la main de Dieu nous a frappées. »
Mais quels sont les châtiments que Dieu inflige aux saintes âmes du purgatoire ? Nous ne ferons aujourd'hui que les indiquer, devant les développer dans le cours de cet ouvrage. C'est d'abord le bannissement momentané du ciel, la privation de la vue de Dieu, de sa divine présence, et ce châtiment est le plus douloureux de tous pour ces âmes qui ne peuvent plus désirer, aimer, vouloir que Dieu seul ; qui s'élancent sans cesse vers lui avec des élans
d'amour qu'il nous est impossible de comprendre ici-bas, et qui sans
cesse se sentent repoussées par son inexorable justice. Ah ! si l'homme
qui a encouru la peine du bannissement verse souvent des larmes amères
au souvenir de sa patrie, si l'enfant éloigné de la maison paternelle
sent parfois son cœur comme prêt à se briser et ne peut retenir ses
sanglots à la pensée de son père, de la tendresse de sa mère, de ses
caresses dont il est privé, s'il pleure en pensant à ses frères, s'il
regrette enfin tout ce qu'il a laissé dans ce doux nid de son enfance,
tout, jusqu'au chien, fidèle gardien du foyer domestique ; combien plus encore ces pauvres exilées du ciel
ne sentent-elles pas peser plus lourdement sur elles la peine de leur
bannissement, et avec quelle indicible ardeur n'aspirent-elles pas après
l'instant où il leur sera permis de s'envoler vers les fortunés rivages
de leur éternelle patrie.
Mais ces saintes âmes ne
sont pas seulement exilées sur une terre étrangère, la justice de Dieu
les tient enfermées au fond d'un brûlant abîme, elles sont prisonnières
et leur prison est de flammes ardentes. Là doivent disparaître et
s'effacer lentement sous l'action de ces flammes vengeresses, toutes les
souillures, toutes les taches qui ternissent leur beauté et les rendent
indignes des embrassements de l'Epoux divin. La plume est impuissante à dépeindre la rigueur de leurs tourments, l'intensité des douleurs
qu'elles ressentent, parce que notre esprit ne saurait les comprendre.
Tout ce que nous pouvons dire, c'est que les souffrances de ces saintes âmes surpassent
toutes les douleurs que l'on peut endurer ici-bas, et d'après les
saints Pères tous les supplices endurés par les martyrs ne sont rien
auprès des terribles expiations du purgatoire.
IIe Point. La justice de Dieu parait encore dans la manière dont il applique ses châtiments aux saintes âmes du purgatoire. Ces châtiments sont répartis avec une parfaite équité et toujours proportionnés au nombre, à la nature et à la grandeur des fautes des âmes qui
les subissent. De même qu'il y a plusieurs demeures dans la patrie
céleste et inégalité dans les récompenses que Dieu décerne à ses élus,
de même que ces récompenses sont toujours proportionnées à leurs vertus
et à leurs mérites ; de même aussi il y a plusieurs demeures dans le lieu de l'expiation et l'inégalité dans les peines qu'on y endure, l'intensité et la durée de ces peines varient selon le degré de culpabilité des âmes qui les ont encourues. Ne serait-ce pas faire injure à la justice de Dieu que de croire qu'il châtie avec la même sévérité des âmes qui
l'ont aimé et servi toute leur vie, qui n'ont emporté à leur sortie de
ce monde que quelques grains de la poussière de la terre, c'est-à-dire
quelques légères fautes échappées à la faiblesse humaine, et l'âme du pécheur qui a bu l'iniquité comme l'eau, qui l'a oublié, outragé pendant de longues années, dont le cœur
enfin ne s'est retourné vers lui qu'à sa dernière heure, et qui
justifié, il est vrai, par la grâce de l'absolution, a été jeté par la
mort au pied de son redoutable tribunal toute couverte des hideuses cicatrices et des plaies, pour ainsi dire, encore saignantes du péché. Ah ! ce serait une absurdité de le croire, et il n'y aurait pas de justice en Dieu s'il en était ainsi. Nul doute donc que l'intention des peines
endurées par cette dernière âme ne surpasse avec une juste équité celle
de la première et que la durée de son expiation ne soit également
beaucoup plus longue.
Mais nous l'avons dit : si Dieu par le purgatoire sauvegarde les droits de sa justice, il n'abdique pas ceux de sa miséricorde ; s'il châtie si sévèrement ces âmes qu'il
aime, ce n'est que pour les rendre dignes de lui et aptes à lui être
éternellement unies ; mais il ne les châtie qu'à regret, il fait pour
ainsi dire violence à son amour en les tenant éloignées de lui, en se
montrant comme insensible à leurs soupirs et à leurs gémissements.
Aussi, si ces saintes âmes ne peuvent
plus rien par elles-mêmes, Dieu dans sa miséricorde a voulu que nous
puissions tout pour elles. Il a remis, pour ainsi dire entre nos mains,
les clés de l'abîme où elles gémissent, afin que nous puissions leur en
ouvrir les portes, il veut que nous puissions retenir le bras de sa justice qui les frappe, le désarmer,
ouvrir en leur faveur les trésors de sa miséricorde. Et pour cela
qu'exige-t-il de nous ? Si peu de chose que nous serions inexcusables de
ne pas le faire. Si pour acquitter les
dettes de nos frères souffrants nous étions obligés de nous condamner à
de rudes et longues austérités, nous pourrions alléguer l'impuissance où
nous sommes de les embrasser ; si Dieu demandait enfin de nous de
grands sacrifices, des choses difficiles à
accomplir, nous pourrions hésiter et manquer de courage ; mais il n'en
est pas ainsi, et les moyens qu'il nous donne pour soulager les âmes de
nos frères sont si faciles qu'ils sont à la portée de tous, et qu'il
faudrait être dénué de cœur et de charité pour refuser d'en faire
usage. En effet, avec une larme de compassion nous pouvons éteindre ou du moins diminuer l'activité des flammes qui dévorent ces saintes âmes. Avec
une prière nous pouvons adoucir, calmer leurs souffrances, avec une
indulgence gagnée en leur faveur, satisfaire pour elles à la justice
divine, avec une messe, une communion faite en leur intention, les
mettre éternellement en possession du Dieu que cet acte le plus saint, le plus méritoire de la vie chrétienne nous donne à nous-même.
Qu'elle
est belle, mais en même temps qu'elle est douce et consolante pour
notre cœur la mission de charité que Dieu nous confie envers les âmes souffrantes du purgatoire. Rappelons-nous cet ange que le Seigneur
fit descendre dans la fournaise de Babylone pour y secourir les trois
jeunes Hébreux que Nabuchodonosor y avait fait jeter dans sa fureur et
qui devaient y périr. L'Esprit céleste écarta d'eux les flammes qui
devaient les consumer, répandit une agréable fraîcheur dans ce lieu
embrasé, et y conserva sains et saufs les jeunes Israélites jusqu'au
moment où ils en furent retirés pleins de vie. Nous aussi nous pouvons
être comme des anges consolateurs pour les saintes âmes du purgatoire et renouveler en quelque sorte pour elles le miracle
dont nous venons de parler. Par la charité nous pouvons descendre dans
cette fournaise ardente où la justice de Dieu les tient enfermées, et
dont celle de Babylone n'était qu'une imparfaite image, par la puissance
de la prière, du jeûne et de l'aumône, répandre comme une rosée rafraîchissante sur ces âmes souffrantes,
et par l'ardeur de nos supplications, par notre dévouement pour elles
les retirer de cet abîme où elles souffrent de si cruels supplices.
Ah ! ne refusons pas d'accomplir la mission de charité et de miséricorde que Dieu a daigné nous confier, soyons les avocats, les médiateurs, les consolateurs des saintes âmes du purgatoire ;
interposons-nous entre elles et la justice divine et mettons tout en
œuvre pour adoucir leurs peines et hâter leur bonheur ; en étant utiles à
ces saintes âmes, nous serons utiles aussi à la nôtre, et notre charité ne restera pas sans récompense.
N'avons-nous pas nous-même un immense besoin de la miséricorde de Dieu ! Hélas ! nous avons commis bien des fautes
dans notre vie, et la pénitence que nous en avons faite n'est-elle pas
insuffisante pour satisfaire à la justice divine, et n'est-ce pas avec
raison que nous appréhendons de rester longtemps en purgatoire pour achever de nous purifier. Eh bien ! si nous sommes miséricordieux pour les saintes âmes du purgatoire, Dieu le sera
aussi pour nous ; nous en avons pour garant la parole de notre adorable
Sauveur ; n'a t-il pas dit : Heureux les miséricordieux parce qu'ils
obtiendront miséricorde ? Si nous avons pitié des âmes de nos frères défunts, si nous cherchons à adoucir leurs souffrances, à hâter leur bonheur en leur appliquant les mérites du sang
précieux de Jésus-Christ, Dieu nous appliquera à nous-mêmes les mérites
de ce sang adorable, il nous pardonnera, il inspirera à ceux qui nous
survivront d'exercer envers nous la charité que nous aurons exercée
envers les autres, et il avancera aussi pour nous le moment heureux où nous irons pour jamais le posséder dans sa gloire. Ainsi soit-il.
PRIÈRE.
Soyez
béni, Seigneur, Dieu de bonté et de miséricorde, qui, dans votre
infinie tendresse, daignez mettre entre les mains de pauvres et
misérables pécheurs comme nous, les intérêts des saintes âmes du purgatoire, de ces âmes que
vous aimez et que vous ne châtiez qu'à regret. Si votre justice exige
que vous paraissiez insensible à leurs larmes et à leurs gémissements,
vous daignez recevoir les nôtres comme un sacrifice d'agréable odeur,
vous prêtez une oreille favorable à nos supplications et aux humbles
prières que nous vous adressons en leur faveur; vous nous donnez enfin le pouvoir
de fléchir votre justice, de la désarmer et d'être non pas seulement
les consolateurs, mais les libérateurs de ces saintes captives en leur
ouvrant les portes de l'éternelle patrie. Elle est bien belle et bien
consolante, ô mon Dieu ! la mission que vous daignez nous confier envers
elle, et désormais nous voulons l'accomplir avec un zèle et un
dévouement qui ne se démentiront plus, et notre joie la plus vive sera
de venir en aide, par tous les moyens en notre pouvoir, à ces âmes qui nous sont si chères et de hâter par nos suffrages le moment où elles iront vous glorifier éternellement dans le ciel. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Le vénérable curé d'Ars avait une grande dévotion aux saintes âmes du purgatoire «
il encourageait, » dit M. l'abbé Monnin, son biographe, toutes les
entreprises qui avaient pour objet leur soulagement. Comme saint
Dominique, dont il est dit qu'il faisait trois parts de son sang, il
faisait dans son cœur trois parts de ses travaux, de ses souffrances et
de ses larmes : la première pour ses péchés, la seconde pour les péchés des vivants, la troisième pour les péchés des morts.
Il offrait de plus à leur intention toutes ses insomnies et toutes ses
douleurs nocturnes. Nous insérons ici, dit encore M. l'abbé Monnin, un
nouveau témoignage de sa sollicitude pour les membres de l'Eglise
souffrante.
C'est
une lettre qui nous a été adressée par M. l'abbé Serra, aumônier de
l'Hôtel-Dieu de Kimes, et dans laquelle il nous fait connaître le résultat des deux entrevues qu'il eut avec M. le curé d'Ars, au sujet de la confrérie de Notre-Dame-du-Suffrage qu'il avait le projet d'établir dans cette ville ; on y verra combien le saint curé s'est montré favorable à cette belle institution.
Cette année-ci, j'étais aux pieds de M. Viannay, pour la seconde fois, et je lui disais : Il y a deux ans, mon père, que j'eus le bonheur
de vous voir et de vous parler entre autres choses d'une pieuse
association de prières et de bonnes œuvres que je voulais établir à
Nîmes, pour le soulagement et la délivrance des pauvres âmes du purgatoire en général et spécialement de celles qui sont le plus abandonnées. Vous daignâtes alors m'adresser quelques paroles d'encouragement et de sympathie, vous me prédites même le succès
de cette œuvre qui vous parut sainte et salutaire. J'ai aujourd'hui la
consolation de vous apprendre que vos encouragements ont porté leurs
fruits. L'association par le secours de
vos saintes prières s'est établie comme par enchantement, elle a été
reçue avec une sorte d'enthousiasme, et Mgr Plantier lui a donné toute
la protection que vous m'aviez annoncée. Elle compte aujourd'hui de cinq
à six mille membres, et elle a fait célébrer en moins de deux ans plus
de cinq mille messes pour le repos des âmes du purgatoire.
«
Oh ! me dit-il, je n'en suis pas étonné, c'est l'Esprit saint lui-même
qui vous a inspiré la pensée de cette belle œuvre, et quand l'Esprit
saint veut une chose, elle réussit toujours. Tâchez maintenant de la
répandre et de la bien établir. »
Je
lui recommandai ma chère fondation, il me promit de la prendre sous son
patronage. Je ne doute point que ce ne soit à ses prières que nous
devions attribuer l'extension extraordinaire qu'elle a prise depuis la
mort du bienheureux ; elle a pénétré dans sept ou huit diocèses de France et de Belgique. Après m'avoir donné la raison du succès de notre œuvre, qu'il ne voulut point attribuer à ses prières, le saint curé s'arrêta et il me parla d'une manière admirable sur la dévotion aux âmes du purgatoire et sur les avantages de cette dévotion pour ceux qui la pratiquent. Oh ! me dit-il, en levant vers le ciel ses yeux mouillés de larmes, si l'on savait combien nous pouvons obtenir de grâces par le moyen des âmes du purgatoire, elles ne seraient pas tant oubliées ! Ces saintes âmes sont
les épouses de Jésus-Christ. Elles sont bien plus agréables à ses yeux
que nous, et quoi qu'elles ne puissent pas mériter par elles-mêmes,
elles peuvent cependant prier pour leurs bienfaiteurs ; leurs prières
sont plus puissantes que les nôtres, parce qu'elles sont plus saintes et
confirmées en grâces. D'ailleurs, ne pouvant par elles mêmes ni se
délivrer, ni se soulager dans les terribles
souffrances qu'elles endurent, ne pouvant pas même, selon l'ordre établi
par la divine Providence, recevoir directement de Dieu la rémission de
la peine due à leurs péchés, elles sont obligées de recourir à nous, qui
sommes comme leurs sauveurs, pour obtenir du soulagement et leur délivrance. Elles sont donc intéressées à prier le bon
Dieu pour toutes les personnes qui pensent à elles et à leur faire
sentir les bons effets de leurs prières afin de les engager de plus en
plus à ne pas les oublier. Il ajouta bien d'autres considérations qu'il
serait trop long de rapporter, et finit en m'engageant à faire prier
beaucoup pour les âmes oubliées, et je le lui promis.
Je lui demandai ensuite comme une grâce de me permettre de l'inscrire au nombre des associés dans le registre de la confrérie de Notre-Dame-du Suffrage, à la condition que les autres associés auraient part à toutes ses prières et dans le temps
et dans l'éternité. Eh bien ! me dit-il, soit... J'y gagnerai, et nous
serons par ce moyen en union de prières et dans cette vie et dans
l'autre ; et comme je lui avais dit que j'étais bien convaincu qu'il
n'irait pas en purgatoire, il me répondit : Hélas ! quels sont ceux qui n'y vont pas ; il faut être si pur pour entrer au ciel ; le plus sûr est de prier pour tout le monde. De retour à Nîmes, je me hâtai d'inscrire le nom du saint
curé dans nos registres, et vingt jours après ayant appris la nouvelle
de sa bienheureuse mort nous avons fait célébrer neuf messes à son
intention, auxquelles sont venus communier tous les jours un grand
nombre d'associés.
PRATIQUE.
Ne passer aucun jour sans offrir à Dieu quelques prières en faveur des saintes àmes du purgatoire.
IIIe JOUR
Souffrances du Purgatoire. Peine du sens.
Aux portes de l'enfer, Seigneur, arrachez mon âme.
1er Point. Nous devons aujourd'hui nous occuper des terribles expiations du purgatoire et des peines qu'y endurent les saintes âmes que
la justice de Dieu y tient enfermées. Quelles sont ces peines ? quelle
est leur nature ? Pour répondre à cette question la foi seule doit être
consultée, et nous nous contenterons de rapporter simplement
l'enseignement de l'Eglise et les sentiments des saints Péres et des Docteurs à ce sujet.
Il y a dans le purgatoire une double peine, celle du sens et celle du dam ; celle-là consiste dans la privation de Dieu, et nous nous en occuperons dans le chapitre suivant. L'Eglise ne s'est pas prononcée ; elle n'a rien défini sur la nature des souffrances du purgatoire, elle enseigne seulement que le purgatoire est un lieu de peines où les âmes des justes achèvent d'expier leurs péchés avant d'être admises à la gloire du paradis qui leur est assurée. Mais cette tendre mère montre assez dans les prières qu'elle ne cesse d'adresser à Dieu pour des enfants qui n'ont pas cessé d'être l'objet de son inquiète sollicitude, qu'elle croit à la rigueur des peines qu'ils endurent puisqu'elle demande instamment pour eux un lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix.
Ecoutons
maintenant les Pères et les Docteurs de l'Eglise, ces fidèles
interprètes de sa foi et de ses sentiments. Saint Cyprien nous dit qu'il
vaut mieux expier ses péchés ici-bas, même par le martyre, que de remettre à le faire dans l'autre vie, dans cette prison terrible où il faudra payer à Dieu jusqu'aux plus petites fautes.
Si nous interrogeons saint Césaire d'Arles, il nous répond que personne ne dise qu'importe le temps que je resterai dans le purgatoire pourvu que je parvienne à la gloire éternelle ; car, mes frères, les tourments du purgatoire sont plus insupportables que tous les tourments que l'on peut souffrir ou même imaginer dans cette vie.
Si je m'adresse à saint Augustin il me tient le même langage : « Toutes les tortures de ce monde, me dit-il, ne sont rien, si on les compare avec ce qu'il faut souffrir dans le purgatoire. »
Saint Jérôme, saint Grégoire, pape, tous les saints parlent de même ; saint Thomas, le théologien par excellence, l'oracle de son siècle et de tous les siècles , saint Thomas ne craint pas de dire que les peines du purgatoire sont les mêmes que celles de l'enfer et qu'elles n'en diffèrent que par la durée.
Tous ces Pères, tous ces Docteurs croient et enseignent également que les âmes du purgatoire sont purifiées par le feu
; mais de quelle nature est ce feu ? Est-ce réellement un feu matériel
ou faut-il prendre ce mot feu dans un sens métaphorique qui signifie une
peine vive et insupportable. Quelques Pères ont été de cette opinion,
comme Origène, Lactance et saint Jean Damascène ; mais le plus grand nombre des saints Docteurs ont cru que l'on devait entendre à la lettre les passages de l'Ecriture à ce sujet, et que le feu par lequel les âmes sont
purifiées après cette vie est réellement un feu matériel. Les
théologiens enseignent également qu'il n'y a aucune raison de penser que
ce ne soit pas un feu matériel et de prendre ce mot dans un sens
métaphorique.
Ici il faut nous rappeler une chose enseignée par la toi, c'est que l'âme, séparée du corps, est capable de ressentir des douleurs
semblables à celles qu'elle souffre lorsqu'elle lui est unie.
Inutilement demanderions-nous comment il peut en être ainsi ? Tout ce
qu'on peut répondre c'est qu'il n'est certainement pas plus difficile à
Dieu de faire éprouver de la douleur à une âme séparée du corps qu'à une âme unie à un corps.
Mais comment un feu matériel peut-il agir sur l'âme, qui est une substance immatérielle ? Pour le comprendre
il faut remarquer avec les théologiens que tous les êtres créés ont
deux sortes de puissances, les unes naturelles et les autres
surnaturelles ; les dernières se nomment puissances d'obéissance. Les
puissances naturelles regardent la nature et l'exigence des êtres créés ; les puissances d'obéissance regardent le souverain domaine et le bon plaisir de Dieu, le créateur et le maître absolu de tous les êtres. Or, pour expliquer la difficulté qui nous occupe, disons que le feu,
qui est un élément créé par Dieu, a une double puissance. L'une est une
puissance naturelle, et par elle il brûle les corps et non les esprits
séparés des corps, car un être matériel comme le feu
ne saurait agir naturellement sur un être immatériel comme l'esprit.
L'autre puissance est une puissance d'obéissance, et par elle le même feu, animé du souffle de Dieu, peut surnaturellement brûler et tourmenter les esprits. C'est ainsi, disent les théologiens, que le feu agit dans l'enfer et dans le purgatoire.
Il y a plus, Dieu, en vertu de sa puissance et de son domaine infini sur le feu comme sur toutes les autres créatures, peut s'en servir pour faire souffrir les âmes de diverses manières ; ce feu, entre les mains de sa justice, est un instrument docile à toutes ses volontés. Il brûle ces âmes quand il le veut ; il les glace comme la neige ; il les remplit d'amertume ; il les pénètre et les déchire comme le glaive. C'est en ce sens que l'Ecriture sainte nous représente dans les enfers une transition subite du froid de la neige aux ardeurs intolérables du feu. Ad nimium calorem transeat ab aquis nivium(1) (1) Job. 24, 19. Ce supplice du feu en enfer et en purgatoire réunit
en lui seul tous les autres supplices ; il brûle, il glace, il torture
de toutes les manières Qui ne tremblerait à la seule pensée des terribles justices du Seigneur,
et quel est celui qui peut y songer sans mettre tout en œuvre pour
éviter pour lui-même de si redoutables châtiments et pour venir en aide
aux saintes âmes qui les subissent?
IIe Point. Le supplice du feu, dans le purgatoire, n'est pas le même pour toutes les âmes; comme
les fautes qu'il est destiné à châtier ont été inégales en nombre et en
malice, les peines sont également inégales dans leur rigueur. Ce feu
terrible semble doué par la justice de Dieu d'intelligence et de
discernement ; il agit sur les âmes selon la nature et la grièveté de leurs fautes, et il y a autant de degrés divers dans les souffrances des âmes du purgatoire qu'il y en a dans leur culpabilité, et il n'est presque pas d'âmes qui
éprouvent également les mêmes souffrances, parce qu'il n'en est presque
pas qui soient coupables au même degré. Deux personnes ayant commis la
même faute peuvent cependant ne pas être aussi coupables devant Dieu
l'une que l'autre ; cela dépend de l'intention et de la malice avec
lesquelles elles ont commis cette faute, et la justice de Dieu discerne
admirablement le degré de culpabilité de chacun pour y proportionner la peine qui doit en être le châtiment.
La puissance d'obéissance qui est dans le feu,
dit un pieux auteur, sert d'instrument à la justice de Dieu. Or, les
causes instrumentales entre les mains d'une cause libre agissent de la
façon dont elles sont appliquées. C'est ainsi qu'un sabre manié d'un
bras puissant et robuste ne fera qu'effleurer la peau, si ce bras
l'applique doucement il déchirera et emportera la pièce s'il est
déchargé avec violence. La justice de Dieu tient en main une épée de
flammes, elle en frappe les âmes en purgatoire ; mais,
parce qu'elle est sage, raisonnable et clairvoyante, elle mesure les
coups d'après les fautes qu'elle veut châtier. Elle trouve des péchés nombreux et graves, elle frappe plusieurs coups, et des coups plus rigoureux ; elle trouve moins de fautes, et des fautes de moindre importance, elle frappe moins de coups, et elle les donne avec plus de douceur. En un mot, elle pèse dans de justes balances les péchés et les peines (1) . »
Non, rienne peut échapper à la clairvoyance de la justice du Seigneur
; son œil pénètre dans les plus intimes profondeurs de l'âme, et il y
découvre les plus imperceptibles taches. Les juges de la terre peuvent
se tromper ; ils ne sont obligés de se prononcer que sur les faits qui
sont à leur connaissance, sur les dépositions des témoins, mais ils ne peuvent pénétrer le secret des cœurs des coupables
cités à leur tribunal, ni voir ce qui peut atténuer leurs fautes ou en
augmenter la gravité. Par là même ils peuvent souvent appliquer des peines qui ne sont pas proportionnées aux délits des coupables.
Aussi la peine sera trop forte pour la faute de l'un et trop légère
pour celle de l'autre ; mais il n'en est pas de même de Dieu, rien ne
peut le tromper ; pour lui l'erreur n'est pas possible, il voit la faute des coupables
telle qu'elle est en réalité, l'intention qui l'a fait commettre, la
malice plus ou moins grande avec laquelle elle a été commise, comme il
voit aussi les circonstances qui peuvent en diminuer la gravité, et
comme ce Dieu de bonté ne punit pas pour le plaisir de punir, mais parce que sa sainteté et sa justice exigent qu'il le fasse,
il proportionne exactement la peine à la grandeur de la faute. Ainsi
une âme qui n'est coupable que de fautes légères n'aura à subir que des peines
légères ; cette autre dont les fautes auront été plus graves subira
encore nécessairement un châtiment plus rigoureux, et celle dont les
fautes auront été énormes, subira encore nécessairement un châtiment
plus sévère et plus long.
Hélas
! nous ne songeons guère que cette multitude de petites fautes que nous
commettons avec tant de facilité, que nous nous reprochons si peu,
deviendront un jour l'aliment de ce feu terrible de la justice de Dieu
et qu'aucune d'elles ne restera impunie, si elle n'a pas été expiée
ici-bas par la pénitence. Ah ! pensons-y, toutes ces légères médisances
dont nous ne nous faisons aucun scrupule, toutes ces paroles de vanité,
de plaintes, de murmures, toutes ces recherches de nous-mêmes, cet amour
de nos aises, du luxe, de la toilette,
tout cela deviendra pour nous la matière de cruelles et peut-être de
bien longues souffrances. Ne soyons donc pas ennemis de nous-mêmes et
cherchons à nous en préserver en évitant avec le plus grand soin tout ce qui peut nous rendre passibles de ces terribles expiations du purgatoire. .
Combien il est peu de personnes qui songent sérieusement à les éviter, ces expiations si redoutables du purgatoire. Elles
n'y pensent guère ces femmes mondaines si vaines de leur beauté, si
avides de plaisirs, si désireuses de plaire, si sottement occupées du soin
de leur parure et de celui de suivre tous les caprices de la mode.
Hélas ! comment soutiendront-elles l'ardeur de ces flammes dévorantes,
ces femmes si sensibles à la moindre douleur, si idolâtres
d'elles-mêmes, si empressées à se procurer des jouissances, du bien-être,
à rechercher tout ce qui peut flatter leur sensualité et satisfaire
leurs sens. Elles fuient, elles redoutent la pénitence, ici-bas rien ne
leur coûte pour le monde, mais tout ce
qu'on leur conseille de faire pour Dieu leur parait impraticable ; un
jour de jeûne, une légère mortification leur semblent des exagérations
imprudentes, qu'elles repoussent bien loin comme capables de
compromettre leur santé, et elles s'avancent ainsi vers l'éternité
redevables à la justice divine d'une dette énorme qu'elles augmentent
tous les jours sans songer à l'acquitter jamais. Ah ! quels regrets,
quelles longues et terribles expiations elles se préparent.
Quel terrible purgatoire encore
n'auront pas à subir tant de personnes dont la vie entière se passe
loin de Dieu , dans l'infraction de toutes ses lois et dans l'oubli des devoirs les plus sacrés de la religion. Nous le savons, la miséricorde de Dieu est infinie et beaucoup de ces âmes échapperont
par l'effet de cette divine miséricorde aux flammes éternelles de
l'enfer. Mais si Dieu, dans son infinie bonté, écoute le cri du repentir
qu'elles feront monter vers lui au moment de leur mort, s'il leur remet
la coulpe de leurs péchés, la peine due à ces mêmes péchés leur restera
tente entière à subir, et l'inflexible justice de Dieu ne relâchera
rien de ces droits, elle exigera jusqu'à la dernière obole le paiement
de cette immense dette contractée envers elle pendant une vie entière
d'indifférence et de désordres. Ah ! sans doute, pour ces âmes le purgatoire
est une grâce inestimable, car hélas ! que deviendraient-elles s'il
n'existait pas ? Mais il n'en est pas moins vrai que la pensée des tourments qui attendent ces âmes infortunées glace d'effroi et fait trembler pour elles, car c'est bien pour elles que se vérifient les paroles du grand apôtre. C'est une chose horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, puisque rien ne peut échapper à sa justice et que personne, quel que soit son rang, sa condition dans le monde, ne peut s'y soustraire, et que tous, riches ou pauvres, grands ou petits, seront forcés de subir ses arrêts.
PRIÈRE.
Si
la pensée de vos miséricordes, ô mon Dieu ! dilate nos cœurs et les
remplit de joie et de confiance, celle de vos redoutables et terribles
justices y porte la crainte, la consternation et l'effroi. Hélas !
Seigneur, nous écrions-nous avec le saint roi David, si vous tenez un compte exact des iniquités,
qui pourra subsister devant vous ? Tous nous sommes pécheurs, tous par
conséquent, nous sommes redevables à votre justice, nous l'avouons,
nous le confessons à vos pieds ; mais
nous vous supplions en même temps, ô grand Dieu ! de détourner la vue de
nos iniquités, pour ne voir que notre humiliation et notre repentir.
Souvenez-vous, Seigneur, de la faiblesse et de l'infirmité de notre
nature, et ne nous traitez pas selon la grandeur de nos iniquités, mais
selon celle de votre infinie miséricorde. Ayez pitié de nous, ô mon Dieu
! mais ayez aussi pitié des âmes de nos
frères, qui nous ont précédés dans l'éternité, et qui sont maintenant
sous l'empire de votre justice ; laissez-vous fléchir par les humbles
supplications que nous vous adressons en leur faveur, oubliez les fautes
dont elles sont redevables à votre justice, ne voyez en elles que la
conquête assurée du sang adorable de votre divin Fils, faites couler sur elles ce sang dont elles sont le prix,
qu'il les lave, les purifie, et que par ses mérites les portes de
l'éternelle patrie leur soient bientôt ouvertes. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Sainte
Brigitte, étant un jour plongée dans une profonde contemplation, fut
tout à coup ravie en extase, pendant laquelle Dieu lui fit connaître les
peines endurées par les saintes âmes du purgatoire. Transportée
en esprit dans ce lieu de supplices, elle remarqua parmi cette
multitude d'àmes souffrantes, une jeune fille dont la condition dans le monde
avait été distinguée et qui se désolait au souvenir de l'aveugle
tendresse que sa mère avait eue pour elle. Cette tendresse lui avait été
plus nuisible que ne l'eût été sa haine, puisqu'elle l'avait portée à
flatter la délicatesse de la pauvre enfant et à lui laisser une entière
liberté de suivre son goût naturel pour les folles dépenses du luxe et de la vanité. Au lieu de chercher à mettre un frein à l'amour du plaisir déjà trop développé dans le cœur de cette jeune fille, et de chercher à le contrebalancer, en lui inspirant l'amour de la retraite et des devoirs sérieux du christianisme,
elle l'avait fomenté encore en la conduisant dans les réunions
mondaines. « Il est vrai, disait la malheureuse enfant, que ma mère me
conseillait de temps en temps quelques actes de vertu et quelques
dévotions utiles ; mais comme d'autre part elle consentait à ce qui
m'éloignait de Dieu, ce bien se mêlait au mal, c'était un aliment sain
de lui-même, mais qui mêlé à des aliments mauvais
et empoisonnés, ne pouvait n'être d'aucune utilité. Toutefois,
ajouta-t- elle, je dois rendre grâces à l'infinie miséricorde du Sauveur
qui n'a pas permis ma damnation éternelle que je méritais si bien pour
tant de fautes. Avant de mourir, touchée de repentir, je me suis
confessée, et quoique cette conversion fût l'effet de la crainte, au
moment où j'entrais en agonie, je me ressouvins de la douloureuse
passion du Sauveur, et cette pensée
m'inspira une sincère contrition ; je m'écriai donc, non de bouche, mais
de cœur, Seigneur Jésus , je crois que vous êtes mon Dieu, ayez pitié
de moi, ô Fils de la Vierge Marie, au nom de vos douleurs du Calvaire, j'ai un vif regret de mes péchés, et je souhaiterais les réparer si j'en avais le temps. En achevant ces mots j'expirai, j'ai été délivrée de l'enfer, mais condamnée à de cruels tourments dans le purgatoire. »
Après
ce discours que Dieu permit que la sainte entendit distinctement afin
qu'il servit à l'instruction de tous, cette âme qui souffrait comme si
elle eût été encore unie au corps qu'elle avait animé expliqua à sainte
Brigitte, que les peines qu'elle endurait étaient exactement
proportionnées aux fautes qu'elle avait commises. « Maintenant, lui
disait-elle, cette tête que je me plaisais à orner avec tant de soins et
de vanité pour attirer les regards, est dévorée de flammes à
l'extérieur et à l'intérieur, et de flammes si pénétrantes, qu'il me
semble que je suis le point de mire de
toutes les flèches de la justice de Dieu. Ces épaules et ces bras, que
j'aimais tant à découvrir, sont cruellement étreints comme par des chaînes de feu ; ces pieds ornés pour la danse éprouvent
la cuisante morsure de ces flammes dévorantes ; tous ces membres enfin
chargés de colliers, de bracelets, de joyaux et de fleurs, sont en proie
à d'affreuses tortures, et éprouvent à la fois les brûlantes ardeurs du feu et l'insupportable froid de la glace. »
L'infortunée poursuivit encore le récit
de ses douleurs, afin d'émouvoir la compassion de Brigitte, et
d'obtenir ses suffrages. La sainte raconta tout à une cousine de la
défunte qui avait elle-même beaucoup de vanité et d'amour pour les
plaisirs du monde. Ce récit fît sur elle
une si vive impression, qu'elle renonça de suite à ces vains
ajustements, aux plaisirs qui avaient tant d'attraits pour elle, et plus
tard elle se voua à la pénitence dans un ordre très austère, où elle
n'avait de bonheur que dans la mortification, le jeûne et la prière quelle offrait à Dieu non-seulement pour elle, mais pour le soulagement de sa pauvre parente. Révélations de sainte Brigitte, liv. VI, ch. xxxvm et Lii.)
PRATIQUE.
S'imposer quelques mortifications en faveur des saintes âmes du purgatoire.
IVe JOUR
La privation de Dieu.
J'ai soif.
ler Point. J'ai soif : Ces paroles que du haut
de la croix l'Homme de douleur laissait tomber de ses lèvres mourantes,
et qui étaient bien plus encore l'expression de l'ardent désir qu'il
avait du salut des âmes, que de la soif naturelle qui consumait sa poitrine sacrée, peuvent bien s'appliquer aux saintes âmes du purgatoire. Elles
ont soif de Dieu, soif de Jésus, comme cet adorable Sauveur a eu soif
de leur salut ; et cette soif qui ne peut être satisfaite avant qu'elles
soient entièrement purifiées des taches que le péché a laissées en elles, devient leur plus cruel tourment.
Loin de la terre qu'elles ont quittée pour ne plus y revenir, exilées peut-être pour longtemps encore du ciel qui leur est assuré, ces saintes âmes qui ont reçu de la bouche du souverain Juge l'assurance de leur bonheur éternel, qui se savent aimées de lui et qui sont désormais assurées de l'aimer et de le posséder
éternellement, se portent et s'élancent vers Dieu avec une ardeur, une
véhémence de désirs qu'il ne nous est pas possible de comprendre
ici-bas. Le grand jour de l'éternité s'est levé pour elles, éclairées un instant des doux rayons du soleil de justice,
tous les voiles sont tombés de leurs yeux , toutes les illusions de
leur vie passée se sont évanouies, et un seul instant a suffi pour leur
donner de Dieu et de ses perfections adorables, une connaissance
infiniment supérieure à celle qu'en ont ici-bas les saints les plus
éclairés des lumières de la grâce et les
plus consommés en vertu. De cette connaissance naît naturellement un
amour qui excite en elles les plus violents transports, et un ardent
désir de posséder et de s'unir pour toujours à celui qu'elles savent
être la source de toute beauté, de toute bonté et de tout amour.
L'amour que ces pauvres âmes ont
pour Dieu, ce désir incessant qui les porte vers lui avec une force qui
est au-dessus de toute expression, devient leur plus cruel tourment ;
leur amour est un feu qui les brûle et qui allume en elles une soif
inextinguible de Dieu et les brûlantes ardeurs de ce feu divin leur
causent de plus insupportables souffrances que celles du feu
allumé par la justice divine pour les purifier. Séparées de leurs
corps, entrées dans cette éternité qui leur a dévoilé tant de mystères,
elles apprécient les choses du temps à
leur juste valeur, et celles qui autrefois leur paraissaient si
importantes , si dignes de leurs soins, de leur attention, leur
apparaissent maintenant dans leur réalité, et ne sont plus pour elles
que ce que déjà elles devraient être pour nous, moins que rien.
Mais en comprenant le néant de toutes les choses du monde, la folie qu'il y a de s'attacher à des biens dont la mort dépouille si vite ces saintes âmes comprennent aussi que Dieu est le seul bien réel, le seul qui puisse satisfaire l'immensité de leurs désirs ; elles
voient qu'elles n'ont été créées que pour lui, qu'il est leur premier
principe et leur dernière fin, et qu'elles ne trouveront qu'en lui le repos, la paix et le bonheur.
Que ne pouvons-nous comprendre cette vérité comme elles la comprennent
aujourd'hui ! Que d'illusions s'évanouiraient pour nous. Combien de
fautes seraient retranchées de notre vie et que d'amers regrets nous
seraient épargnés pour plus tard. Demandons à Dieu qu'il laisse tomber
dans notre âme un rayon de sa divine lumière et qu'elle nous désabuse de
toutes nos fausses appréciations, nous apprenant à estimer à leur juste
valeur les objets qui nous séduisent. à ne désirer que lui, à
n'estimer, à ne rechercher que ce qui peut nous rapprocher de lui, nous
unir à lui dans le temps et nous faire mériter le bonheur de la posséder dans l'éternité.
Le désir de posséder Dieu, de s'unir à lui pour toujours presse donc incessamment ces saintes âmes, sans
cesse emportées vers lui. Par l'ardeur de leur amour elles aspirent à
ce bien suprême avec toute la force de leur volonté et se sentent sans
cesse repoussées par l'inexorable justice de ce Dieu dont l'infinie
sainteté se refusera à leurs brûlants désirs aussi longtemps que son
divin regard découvrira en elles la moindre trace des souillures du péché.
Elles sentent elles-mêmes qu'elles ne sont pas dignes encore de l'union
divine à laquelle elles aspirent, elles prouvent contre elles-mêmes les
intérêts de la justice de Dieu, elles aiment en quelque sorte leurs
tourments et bénissent la main qui les frappe pour les purifier.
IIe Point. Deux désirs contraires se combattent donc dans ces saintes âmes et viennent ajouter à la rigueur de leur expiation. Le premier
de ces désirs est de satisfaire à la justice de Dieu, qu'elles aiment
comme tous ses autres attributs, et dont elles adorent les inflexibles
arrêts, se sentant indignes de jouir encore des embrassements
de l'époux divin, elles aiment et bénissent les souffrances qui les
purifient, et l'idée qu'elles ont de la sainteté de Dieu est si grande,
qu'alors même qu'il leur serait libre d'entrer dans le ciel,
sans être entièrement purifiées, elles se précipiteraient d'elles-mêmes
jusqu'au plus profond abîme de leur prison brûlante, plutôt que de
paraître devant le divin objet de leur amour souillées de la moindre tache capable de blesser l'infinie pureté de son regard.
D'un
autre côté, la force de l'amour les entraîne sans cesse vers Dieu ;
elles se sentent en même temps attirées et repoussées par lui ; attirées
par son amour, repoussées par sa justice, sûres de le voir, de le posséder
un jour, elles sont impatientes de jouir de ce bonheur, elles y
aspirent de toutes les forces de leur être, et cette incessante
aspiration vers Dieu, unie au désir, à la volonté sincère de satisfaire,
à sa justice, produisent en elles un effort contraire qui leur devient
un cruel martyr.
Quel amer, quel profond regret le souvenir de leurs péchés ne fait-il pas éprouver à ces saintes âmes. Leur amour, il est vrai, est trop pur pour qu'elles puissent, dans ce regret, s'envisager elles-mêmes, elles ne voient que le malheur
qu'elles ont eu d'offenser ce Dieu, qu'elles voient même comme la
sainteté, la bonté, la miséricorde même ; l'amour qu'elles ont pour lui
leur cause une inexprimable douleur. Elles regrettent d'avoir offensé Dieu, parce qu'elles l'aiment, parce qu'elles lui ont déplu, bien plus qu'à cause des châtiments que le péché
a attirés sur elles ; leur douleur est profonde, incessante, mais elle
est pleine d'amour, et elles ne croient pas pouvoir jamais aimer assez le Dieu
qui pouvait les perdre et qui les a sauvées, qui leur a pardonné avec
tant de miséricorde les fautes peut-être bien grandes qui ont souillé
leur vie.
Il nous est difficile, pour ne pas dire impossible, de nous faire une juste idée du tourment que causent à ces saintes âmes ces
deux désirs contraires qui se combattent en elles. L'amour qu'elles ont
pour Dieu leur fait comprendre toutes les joies, toutes les délices
dont elles seront inondées quand elles le posséderont, et elles souhaitent avec une brûlante impatience l'heureux moment où il leur sera donné de les goûter. Tandis que le regret d'avoir offensé ce Dieu qu'elles aiment si ardemment leur fait vouloir encore leur douloureux exil du ciel et les rend inconsolables jusqu'à ce que sa justice soit complétement satisfaite. L'amour de Dieu leur fait désirer le ciel, le regret de l'avoir offensé leur fait accepter avec une entière soumission les rigueurs du purgatoire.
Elles ne veulent goûter les joies célestes de la patrie qu'après avoir
supporté les douleurs de cet exil qui les rendent dignes d'en jouir,
puisqu'elles les purifient. Le conflit de
ces désirs contraires est un tourment qui ne leur laisse pas de repos.
L'amour de Dieu, il est vrai, adoucit leur supplice ; mais le regret de l'avoir offensé l'augmente, l'amour les console, le regret les attriste. L'amour, dit un pieux auteur, leur montre la vraie vie, le regret les tient dans une vraie mort. Je me trompe, l'amour conspire avec le regret pour les faire souffrir davantage, car l'amour, éloigné de la jouissance, est toujours plus avide, et le regret d'avoir péché demeure implacable.
Aucun des amours de la terre, quelque passionné qu'il soit ne peut donner une idée de l'amour que ces saintes âmes ont pour Dieu ; aucun des désirs que peut éprouver le cœur humain, quelque ardent qu'il soit, ne peut nous faire comprendre la vivacité, la force, la douloureuse anxiété du désir qu'elles ont de posséder Dieu. L'enfant, séparé de la meilleure et de la plus tendre des mères, pleure, se désole et languit loin d'elle ; il appelle de tous ses vœux le moment
où il lui sera donné de revoir cette mère chérie, de jouir encore de
ses caresses, de son amour ; il souffre, ce pauvre enfant, et cependant
sa souffrance, ses regrets, ses désirs, ne sont rien si on les compare à
la douleur de ces saintes âmes, pour
lesquelles Dieu est plus qu'un père, plus qu'une mère, plus qu'un ami,
plus qu'un époux. L'épouse séparée par la mort de celui qu'elle aimait
uniquement, de l'époux qui était sa gloire, son protecteur, son appui,
reste inconsolable. Celui qu'elle pleure et qu'elle regrette semble
avoir emporté avec lui la moitié de son âme ; rien ne peut la distraire
de sa douleur et de ses regrets, le monde
lui semble désert, la vie lui est devenue un supplice, et la mort qui
la réunira un jour à celui qu'elle pleure est l'objet de tous ses vœux.
La douleur de cette épouse désolée n'est encore qu'une imparfaite image
de celle des âmes du purgatoire bannies de la présence de l'époux divin, qui n'est pas seulement leur protecteur, leur gloire, leur trésor, leur vie ; mais leur fin dernière et le seul objet capable d'assurer leur bonheur. Non, non, je le répète
, rien ne saurait nous donner une idée de la véhémence de leurs désirs,
de l'ardeur avec laquelle elles s'élancent vers Dieu. Le cerf consumé de soif ne court pas avec autant d'ardeur vers la source d'eau vive qui doit le désaltérer, l'homme que la faim torture ne désire pas aussi vivement le morceau de pain qui peut le rassasier.
On comprendra en quelque sorte cette vérité si on pense que c'est l'âme
qui a faim, qui a soif de Dieu, et que l'âme, étant bien plus parfaite
que le corps, est aussi capable d'endurer des souffrances
bien plus intenses, surtout lorsqu'elle est séparée de son corps. On la
comprendra surtout, en se rappelant que c'est Dieu lui-même qui allume
dans les âmes du purgatoire la soif
qu'elles ont de lui, et cette peine, comme toutes celles qui viennent
directement de Dieu, a quelque chose de bien plus poignant, de plus vif
que toutes celles qui viennent des créatures ou de nous-mêmes.
Pourquoi donc ce Dieu, si passionnément aimé, si ardemment désiré par les saintes âmes du purgatoire,
l'est-il si peu par nous ? Hélas ! indifférents pour celui qui est
notre premier principe et notre Un dernière, nous nous passons de lui
avec une étrange facilité. Loin d'avoir soif de Dieu comme les saints en
avaient soif, comme une sainte Thérèse, qui, dévorée des ardeurs du divin amour, se mourait du regret de ne pouvoir mourir, Dieu ne semble être pour nous qu'un objet secondaire, qu'un bien dont nous ne voulons que le plus tard possible, et dont la possession ne saurait nous dédommager des jouissances
que nous trouvons dans ceux de la vie présente. Oh ! que nous gémirons
un jour de notre peu d'amour pour Dieu, de notre coupable indifférence,
et que peut-être nous l'expierons chèrement. N'attendons donc pas que le grand jour de l'éternité se soit levé pour nous, pour nous désabuser des illusions qui nous séduisent, souvenons-nous que Dieu seul est le bien suprême, que seul il peut satisfaire l'immensité de nos désirs, seul assouvir le besoin
de bonheur qui dévore notre âme ; que toutes les aspirations de cette
âme s'élèvent donc désormais vers lui ; désirons Dieu, cherchons-le uniquement, afin qu'après l'avoir aimé, désiré et cherché sur la terre, nous le trouvions dans l'éternité, non pas dans sa justice, mais dans sa miséricorde et son amour. Ainsi soit-il.
PRIÈRE.
0
mon Dieu, Dieu si saint, mais aussi si bon, Dieu si terrible dans vos
justices, mais en même temps si riche dans vos miséricordes. Ah !
laissez-vous fléchir par l'amour de ces saintes âmes, que
vous aimez bien plus encore que vous n'en êtes aimé ; ne vous dérobez
pas plus longtemps à l'ardeur de leurs désirs, ne les repoussez plus ;
ouvrez-leur votre sein et laissez-les se perdre et s'abimer en vous.
Vous êtes, ô mon Dieu, la lumière, la vérité, l'amour, souffrez que ces
pauvres exilées de la terre, qui ont soif de ces biens dont vous êtes la
source, viennent pour jamais s'y désaltérer. Oubliez, Seigneur, les
fautes que la fragilité de notre nature leur a fait commettre, ne voyez
en elles que le prix du sang de votre divin Fils. Ecoutez la voix de ce sang adorable qui vous demande encore leur grâce en coulant à toutes les heures du jour sur tous les autels du monde chrétien et au nom du sang précieux, au nom des mérites
de notre miséricordieux Sauveur, que nous vous supplions de vouloir
bien leur appliquer ; mettez fin à leurs peines et comblez leurs vœux en
leur ouvrant les portes de la bienheureuse patrie. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
L'exercice continuel des plus
éclatantes vertus religieuses, et plus encore les macérations et les
pénitences les plus austères avaient porté frère Antoine Corso, de
l'ordre des Capucins, à un degré de perfection qui le faisait
considérer comme un saint. Cependant, étant venu à mourir, il ne put
monter directement au ciel, mais fut retenu dans les cruelles prisons du purgatoire, d'où sortant par la permission de Dieu, il se fit voir dans le plus lamentable état à l'infirmier du couvent. Celui-ci s'étant remis de sa première surprise, lui dit : « Comment, frère Antoine, dans le purgatoire ! vous que nous croyions entré dans la gloire ; et quelle peine souffrez-vous ? — Je souffre une double peine, répondit le défunt, celle du sens
est plus grave et plus cruelle qu'on ne pourrait l'exprimer ; mais
celle qui n'a pas d'égale et que l'esprit ne saurait comprendre, c'est
la peine du dam, qui me prive de la vision béatifique du bien suprême. Privé d'elle, tout me manque, et je serai la plus malheureuse des créatures, tant que je serai éloigné de mon Dieu. Recommandez-moi donc à tous mes frères en religion, afin qu'ils m'aident de leurs suffrages. » (Annales des H. P. Cap.)
PRATIQUE.
Il y a des âmes en purgatoire qui
n'ont plus à supporter d'autre peine que celle de l'attente, c'est la
plus cruelle, prions aujourd'hui pour elles, et efforçons-nous de gagner
quelques indulgences en leur faveur.
V JOUR
Séparation entière. Isolement des saintes âmes du purgatoire.
Vanités des vanités, tout n'est que vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.
Ier Point. Quel
ne doit pas être l'étonnement, la surprise d'une âme que la mort vient
de séparer de son corps et de jeter dans les profondeurs de l'éternité ;
quel changement ne s'opère-t-il pas en elle au moment où le regard divin du souverain
Juge, en s'arrêtant sur elle, porte la lumière jusque dans ses plus
intimes profondeurs. Cette lumière qui la pénètre, qui l'investit de
toutes parts, dissipe toutes les ombres, fait évanouir toutes les
illusions, rectifie toutes les appréciations, redresse tous les
jugements erronés, et lui montre la vérité dans sa divine et éternelle
splendeur.
Quels
mystères doivent alors se dévoiler aux yeux éblouis de cette âme, qu'un
seul pas, mais un pas sur lequel il lui est impossible de revenir,
sépare seulement de la terre. Toutes ces vérités qu'elle a crues,
qu'elle n'a fait qu'entrevoir à la pâle lumière du flambeau
de la foi, lui sont manifestées dans toute leur majestueuse beauté.
Tous ces mystères divins qu'il adorait sans les comprendre lui sont
dévoilés, et son œil peut en contempler les divines et
insondables profondeurs. Un seul instant a suffi pour éclairer cette
âme et pour lui donner une science et les connaissances surnaturelles,
que les docteurs et les théologiens les plus érudits ne parviendront
jamais à acquérir ici-bas, malgré leurs longues et laborieuses études.
Et
cependant, je ne parle pas ici de cette lumière de gloire qui ravit les
élus et les plonge dans d'immortelles extases, mais seulement de celle
dont Dieu éclaire toute âme qui entre dans l'éternité, lumière qui force
chacune d'elles à reconnaître l'équité de l'arrêt qu'il a prononcé sur
elle et à adorer sa justice, alors même que cette justice condamne, soit
aux peines éternelles de l'enfer, soit aux peines temporelles du purgatoire. Ce n'est que de ces saintes âmes élues par Dieu, et qui ont reçu de la bouche du souverain
Juge l'assurance de leur bonheur éternel, mais qui ; avant d'entrer en
possession de ce bonheur, doivent encore subir une douloureuse
expiation, dont la rigueur et la durée est toujours proportionnée à la
grièvcté de leurs fautes, ce n'est que de ces âmes, dis-je, que nous avons à nous occuper.
Représentons-nous donc l'état d'une de ces âmes qui vient d'entrer dans le lieu
de son expiation. Il n'y a qu'un instant, une minute, une seconde
qu'elle a quitté cette terre où elle avait peut-être miré toutes ses
espérances, fait tant de rêves de bonheur, où elle s'était laissée
séduire par tant d'illusions, et déjà son arrêt est fixé pour
l'éternité. Des parents, des amis en pleurs entourent encore sa dépouille mortelle, des larmes bien sincères coulent peut-être sur ces restes inanimés, et déjà toutes les choses terrestres
ont pris fin pour elle, tous ses liens sont brisés, toutes ses
espérances temporelles détruites, et si ses affections ne sont pas
évanouies, elles ont au moins complètement changé de nature.
La
séparation de cette âme est entière, sa solitude absolue. Pour elle il
n'y a plus rien, plus de parents, plus d'amis, plus de serviteurs, plus
de richesses, plus d'honneurs, plus de plaisirs, plus de patrie, plus de
monde, plus de corps, plus de temps, plus rien enfin, plus qu'elle-même
et Dieu seul, Dieu, l'unique et souverain bien, mais qu'elle entrevoit
seulement de loin, qui l'attire à lui et se soustrait en même temps à
l'ardeur de ses désirs, Dieu, enfin, qu'elle ne pourra posséder que
lorsque les flammes qui la consument auront effacé en elle jusqu'aux
dernières traces du péché. Quel dénùment, quelle solitude, quelle amère séparation !
En vain cette pauvre âme cherche autour d'elle et appelle avec des larmes
ses enfants, ses parents si tendres, si dévoués, qui naguère
l'entouraient de leur sollicitude, de leurs soins empressés ; ils ne
l'entendent plus, une distance immense, une barrière infranchissable la
sépare d'eux, et tout entiers à leur douleur, peut-être ne songent-ils
pas même à la rendre profitable à l'âme de celui qu'ils pleurent en
offrant pour elle à Dieu l'amertume de leurs regrets et de leurs larmes.
Que
doit penser alors cette âme de toutes les affections de la terre ? quel
cas doit-elle faire de toutes les choses périssables d'ici-bas ? De
quel œil voit-elle ce qu'elle appelait il y a quelques jours des biens, biens qui lui paraissaient si désirables et qu'elle poursuivait avec tant d'ardeur ? Quel cas l'âme de ce riche
fait-elle maintenant de ses riches hôtels, de ses terres, de ses vastes
propriétés, de ses magnifiques ameublements, de ses somptueux équipages
? De tout cela, que lui reste-t-il ? Plus rien que le regret
d'avoir attaché son cœur à ces biens périssables et peut-être à subir
la longue expiation que cette attache force la justice de Dieu à lui
faire subir.
Que pense également l'âme de ce savant, qui s'est consumée dans l'étude des sciences,
qui a usé sa vie dans de laborieuses et pénibles recherches, que
penset-il de ses connaissances, de la réputation qu'elles lui avaient
acquise, des emplois honorables qu'elles
lui avaient valu ? Que pense l'âme de cette jeune personne si vaine de
sa beauté, de ses agréments, si empressée à les relever encore par
toutes les fri volités de la vanité, par toutes les excentricités de la
mode, par tous les raffinements d'un luxe effréné et ruineux ? La
première de ces âmes reconnaît en
gémissant, que la seule connaissance vraiment utile était celle de Dieu
et d'elle-même, la seule science nécessaire, celle qui fait les saints.
L'autre séparée de ce corps qui était son idole et qui n'a plus à
attendre que la corruption du tombeau,
regrette amèrement son aveuglement, ses vanités, ces folies qui ont
attiré sur elle de si redoutables, de si terribles châtiments. La vie du temps, à chacune de ces âmes, ne parait plus qu'un songe, que le réveil
de l'éternité a fait évanouir. En ouvrant les yeux à la véritable
lumière à laquelle elles ne peuvent plus se soustraire, elles s'écrient :
Vanité des vanités, tout n'est que vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.
2° Point. Ce que les saintes âmes du purgatoire ont une peine extrême à comprendre, c'est que le monde,
les biens périssables de la terre, les jouissances matérielles aient pu
les fasciner, les aveugler, au point de leur faire préférer ces
fantômes fugitifs à Dieu, à sa grâce, à son amour, au bonheur du ciel. Combien n'y en a-t-il pas parmi elles pour lesquelles tout cela n'était que des choses
secondaires dont elles ne s'occupaient jamais sérieusement, et qui
eussent volontiers consenti à rester toujours sur la terre pour y jouir des biens
de la vie présente, si on leur en avait assuré la possession, et cela
sans donner aucun regret à ceux de la vie future. Ces âmes sauvées
par un effet de l'infinie miséricorde, voient maintenant leur
déplorable illusion. Cette vue les plonge dans la stupeur, dans
l'étonnement le plus profond, et leur
inspire de trop tardifs, mais bien amers regrets. Oh ! si nous pouvions
voir les choses au point de vue où elles les voient en ce moment, nous
ne nous laisserions ni fasciner, ni séduire par l'appât trompeur de ces
biens périssables dont la mort nous dépouille si vite. Nous serions
sages de la sagesse dont parle le pieux auteur de l'Imitation, lorsqu'il dit : « Le suprême degré de la sagesse, c'est de tendre au royaume des cieux par le mépris des choses d'ici-bas. »
Il est encore dans le purgatoire des âmes pour lesquelles cette entière séparation a quelque chose de plus amer, de plus douloureux. Ce sont celles des personnes
pieuses qui ont cherché ici-bas leur bonheur et leur consolation en
Dieu, et dans toutes les choses qui se rapportaient à lui, retenus dans le lieu de l'expiation pour de légères fautes échappées à la fragilité humaine, et que la mort ne leur a pas laissé le temps d'expier. Ces saintes âmes souffrent
d'autant plus qu'elles aiment Dieu davantage, leurs souffrances sont en
quelque sorte proportionnées à leur amour. Déjà pendant leur vie elles
étaient détachées des choses de la terre, séparées du monde au moins de cœur et d'affection ; leur bonheur, elles le cherchaient en Dieu, car le salut
n'était pas pour elles une chose secondaire, mais leur unique, leur
plus importante affaire, celle à laquelle se rapportaient, se
subordonnaient toutes les autres. Ces âmes ne demandaient rien au monde, elles ne voulaient ni de son luxe, ni de ses plaisirs, ni des jouissances matérielles dont il est si avide. Elles cherchaient les leurs à des sources plus pures, dans la prière, dans la réception des sacrements,
dans l'audition de la parole sainte, dans les pieuses lectures, et
surtout dans la sainte communion, dans de fréquentes visites à Jésus
dans le sacrement de son amour. Quelques pures que soient ces jouissances, en purgatoire, ces saintes âmes en
sont privées comme de toutes les autres. Elles peuvent encore prier,
c'est vrai, mais il ne leur est plus possible de se purifier dans le sacrement
de pénitence. La voix paternelle de celui qui leur tenait la place de
Dieu ne vient plus les consoler, relever leur courage, ni adoucir leurs
peines par de douces et compatissantes paroles. Jésus, qu'elles aimaient
tant à recevoir, qu'elles ont reçu si souvent dans son Eucharistie, cet
hôte si bon, si condescendant du tabernacle,
qui est venu à elles quand elles ne pouvaient plus aller à lui, qui les
a visitées sur leur lit de douleur, consolées, fortifiées dans leur
dernier combat, ne se montre plus ; elles l'appellent, elles le désirent en vain, il ne descend pas dans leur prison brûlante, il n'a cependant pas cessé de les aimer, mais le temps de sa miséricorde est passé, et, quoique à regret, il laisse sa justice s'appesantir sur ces âmes si
aimées de son cœur, et avant de les couronner, cette justice exige
qu'il n'y ait plus en elles un seul grain de cette poussière du péché qu'elles ont remporté de la terre.
Souvenons-nous que la figure du monde, qui s'est évanouie pour ces saintes âmes,
passe maintenant devant nous, et s'évanouira bientôt pour nous aussi.
Prenons garde qu'en passant elle nous séduise et nous égare ; ne nous
laissons pas éblouir par ses charmes trompeurs, mais souvenons-nous de
cette parole de l'Imitation : « Celui qui s'attache à la créature
tombera avec elle ; mais celui qui s'attache à Jésus demeurera
éternellement. » Rentrons en nous-mêmes, interrogeons notre conscience,
et dans le silence du recueillement
voyous si nous sommes détachés de toutes les choses dont la mort nous
dépouillera un jour, et peut-être bientôt. Sommes-nous détachés de notre
fortune ? Faisons-nous assez large la part des pauvres
? Ah ! soyons saintement prodigues pour eux. Souvenons-nous que nous
prêtons à Dieu l'or que nous versons dans leur sein, nous ne lui prêtons
pas sans intérêt; mais cette usure est la seule qu'il autorise, qu'il
recommande, et c'est à la banque du Ciel qu'il nous remboursera éternellement le capital et les intérêts.
L'apôtre bien-aimé nous dit : « N'aimez point le monde, ni tout ce qui est du monde, car le monde est tout entier dans la corruption, et il n'y a en lui que concupiscence. » Ce conseil de l'apôtre, qui avait puisé sur le sein de Jésus la lumière et une divine sagesse, ne nous parait-il pas trop sévère ?Le goûtons-nous, et surtout y conformons-nous notre conduite ? Ah ! si cela était, pauvres âmes qui vous faites d'étranges illusions, vous n'auriez pas un goût si vif pour les sociétés et les divertissements du monde.
Pourquoi, si vous n'aimez pas ce monde trompeur, craignez-vous tant de
lui déplaire, pourquoi entretenez-vous avec ses partisans tant de
relations inutiles, pourquoi enfin désirez-vous tant son estime et
craignez-vous si fort d'encourir ses censures.
Sommes-nous
enfin détachés de notre corps, ne l'aimons-nous pas avec déréglement ?
S'il en est ainsi, pourquoi tant de délicatesse et de sensualité ?
Pourquoi tant d'horreur pour la souffrance et cette recherche
continuelle du plaisir ? Pourquoi, surtout jeunes personnes, cet amour excessif des parures
? Pourquoi cette incessante attention à relever par tous les moyens en
votre pouvoir l'éclat d'une beauté dont vous êtes si vaines, beauté que le temps ou la mort flétriront si vite, et dont bientôt il ne vous restera plus rien.
Reconnaissons humblement que notre cœur est encore tout plein d'attaches, humilions-nous-en devant Dieu, reconnaissons le néant de toutes ces choses qui le captivent
et arrêtent ses aspirations vers les biens invisibles, et demandons à
Dieu la force de rompre tous nos liens, et de nous détacher d'avance de
toutes ces choses qui doivent nous échapper un jour, et dont la mort
nous séparera bientôt violemment. N'aimons que Dieu, ne tenons qu'à lui, ne désirons que lui, c'est le moyen de vivre heureux et de mourir sans regret.
PRIÈRE.
Brisez tous mes liens, ô mon Dieu ! créez en moi un cœur nouveau, un cœur pur, libre, détaché de tout, faites que j'aie le mérite
de vous sacrifier librement, et par amour tous les biens dont la mort
doit me séparer un jour. Je ne veux pas seulement, ô mon Dieu ! renoncer
à ce qui serait mauvais ou dangereux dans les objets de mes affections ;
mais je ne veux n'aimer qu'avec modération et sans attache, tout ce que
vous me permettez d'aimer, je veux enfin n'user qu'avec une sage
réserve des biens dont vous me permettez la jouissance, afin de les quitter un jour sans regret et sans peine. Saintes âmes du purgatoire, vous dont je désire si vivement hâter le bonheur; vous qui connaissez si bien le néant des biens
périssables de la terre, et qui souffrez peut-être pour expier
l'attache que vous y avez eue, daignez intercéder pour moi, et tandis
que je demande à Dieu votre délivrance, demandez-lui pour moi la grâce
d'être fidèle aux résolutions que la pensée de vos souffrances vient de
m'inspirer. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
L'âme d'une pieuse dame morte à Luxembourg, commença à apparaître le jour de la Toussaint, à une jeune fille de grande vertu, et à lui demander des prières. Toutes les fois que celle-ci allait à l'église et qu'elle s'approchait de la sainte table, elle était suivie par cette âme, dont à l'élévation de l'hostie, le visage
s'enflammait d'une ardeur qui la faisait ressembler à un Séraphin. Elle
ne se laissait jamais voir hors de l'église : La jeune fille lui en
demandant la raison, elle s'écria avec un profond soupir : « Ah ! tu ne
sais pas quelle peine on souffre d'être éloigné de Dieu. Rien ne le saurait
exprimer. Je suis portée vers Dieu par un ardent désir, une intolérable
anxiété, un élan irrésistible, et, rester privée de lui, est pour moi
une douleur si grande, qu'auprès d'elle l'intensité du feu qui me dévore n'est rien. Pour en adoucir la rigueur, le Seigneur m'a permis de venir dans cette église et de l'adorer au moins dans sa maison, sur la terre, jusqu'au jour où je le posséderai dans son céleste palais. Même sous les voiles des sacrés mystères sa présence me pénètre au point que je ne vis que pour lui ; que sera-ce quand je le verrai face à face dans le Ciel
? » Et elle priait, la jeune fille, de hâter cet heureux moment par ses
suffrages ; ce qu'elle fit avec tant de ferveur, que le 10 décembre elle la vit plus resplendissante que le soleil s'envoler dans le sein de Dieu. (P. Jos. Eusèbe. Nirebmergius , DePulchr. Dei, lib. II, cap. H.)
PRATIQUE.
Faire à Dieu le sacrifice des choses pour lesquelles nous avons trop d'attache, et le lui offrir en faveur des saintes âmes du purgatoire.
VIe JOUR
Amour, résignation des saintes âmes du purgatoire.
Non pas ma volonté ô mon Père, mais la vôtre.
Ier Point. Nous nous demandons souvent avec douleur pourquoi Dieu est si peu aimé sur la terre, pourquoi les âmes même les plus parfaites, celles qui désirent le plus
sincèrement l'aimer, ne parviennent jamais au degré d'amour qu'elles
voudraient avoir pour lui. Pourquoi enfin, malgré toute leur bonne
volonté, elles sentent parfois ce divin amour se ralentir en elles, et
leurs affections ballotées, comme malgré elles, par le vent
de l'inconstance et de l'instabilité humaines. La seule réponse que
nous puissions faire à cette question, c'est que Dieu n'est pas connu,
ou n'est connu que très imparfaitement sur la terre. Les Cieux, il est
vrai, et ces millions d'astres que la main du Créateur
a semé dans l'espace, nous racontent sa gloire et publient sa
puissance. La nature avec toutes ses magnificences ne cesse de nous dire
que Dieu est grand et qu'il est bon : lui-même s'est révélé à nous par
d'innombrables bienfaits et par les saints enseignements de la foi. Et
cependant les œuvres de Dieu, ses bienfaits, et les lumières de la
révélation, ne nous donnent encore de cet être infini en toutes ses perfections, qu'une imparfaite idée, et ne nous le ferons
connaître que d'une manière superficielle. Si nous connaissions Dieu
tel qu'il est, nos cœurs se porteraient vers lui avec une force, un
attrait irrésistibles, et nous ne pourrions plus aimer autre chose que
lui, ni supporter la vie qui nous tient éloignés de lui.
Nous pouvons toujours , il est vrai, croître ici-bas dans la connaissance et dans l'amour de Dieu, plus nous le connaîtrons, plus aussi nous l'aimerons. Mais ce n'est qu'au Ciel que cette connaissance sera parfaite. Là seulement nous le connaîtrons tel qu'il est, là nous le verrons,
et notre âme ravie, enivrée d'un ianénarrable amour, se plongera avec
un bonheur toujours nouveau dans l'éternelle contemplation de ses
perfections infinies. Les anges et les âmes des élus sont donc les seules créatures raisonnables qui aient de Dieu une connaissance parfaite ; mais après elles, celles qui le connaissent le mieux, et qui, par conséquent l'aiment davantage, sont les saintes âmes du purgatoire. Séparées de leurs corps, éloignées de tous les objets sensibles, dégagées de la matière et des sens,
elles ne voient pas Dieu comme les saints ; mais elles l'entrevoient de
loin, il se révèle à elles d'une manière que nous ne pouvons pas
comprendre ici-bas. Il les attire à lui avec une force dont rien ne peut
nous donner une idée, et allume en elles un amour qui est à la fois
leur consolation et leur plus cruel tourment.
Sûres de posséder un jour le Dieu qu'elles aiment, ces saintes âmes comprennent
tout ce qu'elles lui doivent, elles voient leur vie enveloppée toute
entière de la miséricorde de Dieu, comme d'un réseau qui les a préservées d'une infinité de dangers où elles eussent infailliblement péri sans le secours de la grâce et la vue des bienfaits
dont il les a comblées, augmente l'amour qu'elles ont pour lui ; mais
l'espoir même qu'elles ont de posséder Dieu, dit le cardinal de la Luzerne, augmente leur amour par le délai
qu'il leur fait éprouver, leur amour de Dieu qui en est accru, redouble
leurs désirs et la peine de leur privation. Ce sentiment qui fait les
désirs du paradis par la jouissance est un supplice dans le purgatoire par l'éloignement. Ainsi leur félicité future fait leur supplice actuel. »
L'amour que ces saintes âmes ont
pour Dieu est plus fort, plus profond, plus ardent que tous les amours
qu'elles ont pu autrefois éprouver sur la terre, et cet amour est à la
fois leur consolation et leur tourment. Le cœur si brûlant d'amour de la séraphique Thérèse, connut par expérience quelque chose des angoisses et des douleurs
de ce mystérieux et divin tourment. « En vain, nous dit-elle, » j'en
voudrais faire connaître la nature. L'âme parfois sent je ne sais quel
besoin irrésistible de Dieu qui la met dans un profond désert, où elle
ne voit plus rien sur quoi se reposer. Elle n'aspire qu'à mourir. Ce que
Dieu lui communique de ses grandeurs n'a pas pour but de la consoler,
mais de lui montrer à combien juste titre elle s'afflige d'être retenue
loin du bien qui renferme tous les biens.
» Alors s'accroissent et sa soif de Dieu et sa solitude. » Il ne lui
vient de consolation , ni du ciel où elle n'habite pas encore, ni de la terre à laquelle elle ne tient plus. Elle est vraiment crucifiée entre le ciel et la terre, en proie à la souffrance, sans soulagement ni d'un côté, ni de l'autre. Ce sont comme les suprêmes angoisses du trépas.
0
Jésus ! qui pourrait de ceci faire une fidèle peinture ? Ce martyre est
parfois d'une rigueur si excessive que la nature a bien de la peine à le supporter.
Mes os se séparent et demeurent déboités ; mes mains sont si raides que
je ne puis les joindre ; il m'en reste jusqu'au lendemain une douleur
aussi violente que si tout mon corps eût été disloqué. Un seul désir me
consume, celui de mourir. Cet état est celui des âmes du purgatoire (1). (1) Ste Thérèse, ch. 23 de sa vie.»
Hélas ! chez la vierge du Carmel, ce douloureux martyre n'était que passager ; dans les âmes du purgatoire,
il est permanent, nécessaire et incomparablement plus douloureux
encore, c'est lui qui les purifie et qui constitue proprement le purgatoire, et c'est surtout dans cette peine causée par l'amour, que consiste la différence qui existe entre ces saintes âmes et les âmes infortunées
que la justice de Dieu a condamnées aux peines éternelles de l'enfer.
Pour celles-là, il n'y a plus ni espérance, ni amour, il n'y a plus que le désespoir et la haine de Dieu.
IIe Point. Sainte Catherine de Gênes, dans son admirable traité du purgatoire, qu'on ne saurait trop lire, et surtout trop méditer, nous peint mieux encore les souffrances de ces saintes âmes, dont le Saint-Esprit
lui avait révélé, et en quelque sorte fait expérimenter les douleurs.
Ecoutons-la : « Quand une âme retourne à la pureté et à la netteté de sa
première création, l'instinct qui la portait vers Dieu, comme à son
terme béatifique, se réveille aussitôt ; croissant à tous moments, il
agit sur elle avec une effrayante impétuosité, et le feu
de charité qui la brûle lui imprime un si irrésistible élan vers sa fin
dernière, qu'elle regarde comme un intolérable supplice de sentir en
soi un obstacle qui arrête son élan vers Dieu, et plus elle reçoit de
lumières, plus son tourment est extrême.
La tache ou la coulpe du péché n'existant pas dans les âmes du purgatoire, il n'y a plus d'autre obstacle à leur union avec Dieu que les restes du péché dont elles doivent se purifier. Cet obstacle qu'elles sentent en elles leur cause le tourment que je viens de dire et retarde le moment
où l'instinct qui les porte vers Dieu comme vers leur souveraine
béatitude, recevra sa pleine perfection. Elles voient avec certitude ce
qu'est devant Dieu le plus petit empêchement causé par les restes du péché, et que c'est par nécessité de justice qu'il retarde le plein
rassasiement de leur instinct béatifique. De cette vue naît en elles un
feu d'une ardeur extrême et semblable à celui de l'enfer, sauf la tache
ou la coulpe du péché.
C'est pourquoi voyant que le purgatoire est établi pour purifier les âmes de
leurs taches, elles s'y précipitent avec bonheur et regardent comme une
grande miséricorde de trouver ce moyen de détruire en elles l'obstacle
qui les empêche de s'élancer dans les bras de leur Dieu.
La connaissance que ces saintes âmes ont de la malice du péché,
de l'injure qu'il fait à Dieu et de l'opposition qu'il y a entre celui
qui en est souillé, et ce Dieu de toute sainteté leur inspire une
vive horreur pour lui et une profonde et amère douleur de s'en être
rendus coupables ; mais cette douleur est calme, paisible, pleine de
résignation, loin d'accuser la justice de Dieu, elles l'adorent, loin de
se plaindre de la sévérité des châtiments
qu'elle leur inflige et de la rigueur de leurs souffrances, elles s'y
soumettent avec une sorte de joie, elles aiment ces souffrances qui
enlèvent insensiblement l'obstacle qui les empêche de s'unir au divin
objet de leur amour.
Reconnaître que Dieu est le bien souverain, le bien
pour lequel l'âme a été créée, son premier principe et sa fin dernière,
et ne pouvoir plus l'aimer, savoir qu'on l'a perdu par sa faute et
qu'on ne le possédera jamais, c'est la peine du dam en enfer et le plus cruel supplice des réprouvés. Aimer Dieu d'uu indicible amour, être sûr de le posséder un jour et ne pouvoir encore s'unir à lui, c'est la peine du dam propre en purgatoire,
et si la haine que la privation de la grâce fait concevoir aux damnés
contre Dieu est la plus insupportable de leurs souffrances, de même
l'ardent amour que la grâce développe dans les âmes du purgatoire augmente
tellement l'intensité de leurs peines, qu'il les rend presque
supérieures à celles de l'enfer, car l'amour qui ne peut se satisfaire
est le plus grand tourment du cœur humain.
Dans les grandes peines de la vie, si la résignation , la soumission à la volonté de Dieu n'ôtent pas la douleur, du moins
ces vertus en adoucissent l'amertume au point de la rendre supportable,
et quelquefois même de la faire aimer. Mais pour les âmes du purgatoire il n'en est pas ainsi, et c'est parce
que leur volonté est parfaitement conforme à celle de Dieu qu'elles
souffrent davantage, car en vertu de cette conformité elles voudraient
être entièrement dignes de lui, et reconnaissant qu'elles ne le sont pas encore, elle se consument du désir de le devenir
à force de tourments. Ainsi, plus elles souffrent, plus elles veulent
souffrir et ne se sentent jamais rassasiées de supplices. Ainsi l'amour
qui adoucissait les tourments des martyrs augmente ceux de ces saintes âmes et devient lui-même pour elles le plus cruel et le plus douloureux de tous les martyres.
N'attendons pas pour fuir et détester le péché que nous soyons à notre tour entrés sous le domaine
de la justice de Dieu. N'attendons pas surtout pour l'expier que la
nuit où l'on ne peut plus rien faire nous ait enveloppés de ses ombres,
et que le temps où la redoutable justice du Seigneur ne se laisse pas fléchir soit arrivé pour nous, comme il est arrivé pour les saintes âmes du purgatoire. Evitons
avec soin, non-seulement les fautes graves qui pourraient nous faire
perdre l'amitié de notre Dieu, mais les plus légères, car pour une âme
qui aime Dieu, rien n'est léger de ce qui lui déplaît; elle craint plus
que la mort, tout ce qui peut le refroidir pour elle, mettre obstacle à l'effusion de sa grâce et empêcher sa parfaite union avec lui dans le temps et dans l'éternité. Aussi fuit-elle avec le plus grand soin non-seulement le péché, mais l'ombre même du péché.
Efforçons-nous
aussi d'expier par une sincère pénitence les fautes dont nous nous
sommes rendus coupables, et ne nous épargnons pas ici-bas si nous
voulons que Dieu nous épargne un jour. Maintenant Dieu se contente de
peu, et nous pouvons aisèment acquitter les dettes que nous avons
contractées et que nous contractons tous les jours envers lui ; plus
tard il n'en sera plus ainsi, et sa justice exigera jusqu'à la dernière
obole l'acquit de notre dette. Ne soyons donc pas cruels envers
nous-mêmes, et ne nous préparons pas d'amers, mais trop tardifs regrets ;
détestons le péché que nous avons eu le malheur de commettre, repentons-nous sincèrement de l'avoir commis ; mais ne nous contentons pas de cela, expions-le par
la pénitence. N'oublions pas surtout que de toutes les pénitences la
plus sûre, la plus méritoire est l'acceptation humble et résignée des peines de notre état, des épreuves, des afflictions qu'il plaît à Dieu de nous envoyer. Elles sont, je le répète,
de toutes les pénitences, les plus méritoires, et par là même les plus
capables d'expier nos fautes, parce que n'étant pas de notre choix,
elles ne sont pas sujettes aux illusions de l'amour propre, qui se
glisse souvent dans celles que nous nous imposons nous-mêmes. Elles
viennent de Dieu ; c'est lui qui nous les impose, et par là même elles
sont bien plus propres à satisfaire à sa justice.
PRIÈRE.
Après
vous avoir tant offensé, mon Dieu, pourrai-je être assez ennemi de
moi-même pour ne pas profiter avec une sincère reconnaissance des moyens que vous me donnez dans votre miséricorde d'expier mes fautes et de satisfaire à votre justice, maintenant
qu'elle se contente de si peu et qu'il m'est encore si facile de la
désarmer et de la fléchir. Aidé de votre grâce et soutenu par elle, je
veux, ô mon Dieu, supporter à l'avenir toutes les peines, toutes les
afflictions qu'il vous plaira de m'envoyer avec une entière soumission à
votre sainte volonté. Cette soumission, qui est sans mérite pour les
saintes âmes du purgatoire, puisqu'on ne peut pas mériter là où elles sont, ne le sera
pas pour moi, et votre bonté acceptera mon humble résignation à votre
adorable volonté comme une marque de mon sincère repentir et du profond
regret que je ressens de vous avoir offensé, comme une expiation de ces
fautes que je déteste parce qu'elles vous ont déplu, et surtout parce
que je vous aime. Si vous frappez mon corps par d'amères afflictions,
toujours et en tout je bénirai votre main, et à travers les coups de
votre justice je verrai encore votre miséricorde qui ne me frappera dansle temps que pour m'épargner dans l'éternité. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Sainte
Gertrude chérissait, à cause de ses hautes vertus, une de ses
religieuses qu'il plut à Dieu de rappeler à lui dans la fleur de son
âge. Après sa mort, tandis qu'elle la recommandait à Dieu avec ferveur,
elle fut ravie en esprit et la vit se présenter au Sauveur revêtue
d'ornements précieux et brillante de lumière, mais avec le visage triste et comme honteuse de paraître devant Jésus, son divin époux. La sainte, étonnée, se tourna d'abord vers le Rédempteur et le supplia d'encourager sa bien-aimée par un doux appel qui la fit avancer avec confiance. Le Rédempteur
tourna vers l'humble vierge un regard plein de bonté, et même étendit
la main vers elle en lui faisant signe d'approcher davantage ; mais
elle, encore plus confuse, paraissait se soustraire à cette invitation.
Sainte Gertrude lui dit alors : « Est-ce ainsi qu'on doit correspondre
aux grâces du céleste époux, et n'est-ce pas, au con» traire, le moyen
de se rendre indigne de lui ? » La vierge lui répondit : « Pardonnez, ô
mère ! mais je ne suis pas encore en état de presser et de baiser cette
main qui m'invite. Je suis, il est vrai, confirmée en grâce, je suis la
fiancée de l'Agneau immaculé, mais il faut que toute souillure soit
parfaitement effacée avant de pouvoir jouir de ses éternels
embrassements. Il y a encore en moi quelques taches qui offensent sa vue
très pure, et jusqu'à ce que je sois absolument telle qu'il me veut, je
n'oserai jamais entrer dans cette joie du ciel, où rien d'imparfait ne peut être admis. » (ltjdov. Blosius, in Monit. spirit., ch. xm.)
PRATIQUE,
Accepter
avec résignation toutes les peines qui pourront se présenter dans la
journée et les offrir à Dieu, soit pour l'expiation de ses fautes, soit
pour les âmes du purgatoire.
VIIe JOUR
Durée des peines du purgatoire.
Jusques à quand mon Dieu ! jusques à quand.
Ier Point. En considérant la rigueur, l'intensité des peines du purgatoire, peut-être nous rassurons-nous sur le sort
de ceux que nous avons perdus et sur celui qui nous attend nous-même un
jour, en pensant que la durée de ces terribles expiations doit être
très courte. Mais, hélas ! qui oserait affirmer qu'il en soit ainsi.
Dieu ne nous a rien fait connaître à cet égard, il s'est réservé le secret des mystères de son éternité, ses jugements sont impénétrables, et il ne nous est pas permis de jeter des regards envieux dans leur profondeur, et de chercher à en mesurer les abîmes.
L'Eglise, qui n'a rien défini sur la nature des peines du purgatoire, n'a
rien défini non plus sur leur durée, mais elle montre assez ce qu'elle
en pense, en autorisant, non-seulement les services anniversaires pour le repos de l'âme des défunts, mais les fondations par des messes et des services à perpétuité. En agissant ainsi, elle prouve qu'elle croit qu'il y a des crimes, dont la terrible expiation peut durer des siècles, et ne finir même qu'au grand jour du dernier jugement ; dès les premiers Siècles de l'ère chrétienne, nous voyons des services célébrés pour les morts, non pas seulement le jour de leurs obsèques, mais le septième et le trentième
jour après leur décès. A la fln de l'année se célébrait encore un
service anniversaire, auquel on assistait avec fidélité et empressement,
et si le jour anniversaire d'un mort tombait un dimanche ou un jour de fête, la tendre compassion des premiers fidèles pour leurs frères défunts, faisait célébrer le service la veille, afin que le soulagement que son âme devait éprouver de l'oblation du saint sacrifice ne fût pas différé.
Tous les Pères, tous les saints qui ont parlé du purgatoire, s'accordent à penser que sa durée n'est pas la peine d'un jour, et que pour bien des âmes, ces
terribles expiations sont souvent prolongées au delà de toutes nos
prévisions et de tous nos calculs. Plus de vingt ans après la mort de sa
mère sainte Monique, saint Augustin demandait encore des prières pour elle. Lui-même assure n'avoir jamais oublié de la recommander à la miséricorde divine dans la célébration des saints mystères. Mais écoutons le grand Docteur lui-même, faisant monter vers Dieu le cri de son cœur et de son amour reconnaissant, pour cette mère, le modèle des mères,
à laquelle il ne devait pas seulement la vie naturelle, mais qui par
ses prières et par ses larmes, l'avait réellement enfanté à la vie de la
grâce. « Dieu de mon cœur, » s'écriait-il, je ne songe point aux vertus
de ma mère, pour lesquelles je vous rends grâces avec joie. C'est pour
ses péchés que je vous prie. Pardonnez-lui, Seigneur, pardonnez-lui,
n'entrez point en jugement avec elle, souvenez-vous qu'étant près de sa
fin, elle ne songea point à son corps, qu'elle
ne demanda point les honneurs funèbres ; tout ce qu'elle souhaita fut
qu'on fit mémoire d'elle à votre autel, où elle savait qu'on offre la
victime sainte qui efface la cédule de notre condamnation. Inspirez, ô
mon Dieu, à tous mes frères qui liront ce que j'écris, de se souvenir à
l'autel de Monique, votre servante, afin qu'elle trouve, non-seulement
dans mes prières, mais dans celles des autres l'accomplissement de sa dernière volonté (1) (1) Confessions, livre 9, chap. 13.. »
Saint Ambroise s'engagea publiquement à prier tous les jours de sa vie pour l'âme de Tliéodose le Grand.
Tertullien
nous apprend que d'année en année, au jour anniversaire de la mort d'un
défunt, on renouvelait en sa faveur les prières et l'oblation du saint sacrifice comme au jour de ses funérailles, indépendamment de la commémoration que le célebrant faisait tous les jours à l'autel des morts inscrits dans les dyptiques.
Ces dyptiques étaient de grandes feuilles ou tablettes pliées en deux que le diacre
ouvrait et mettait sous les yeux de l'officiant. Il en faisait la
lecture à haute voix après avoir dit à l'assemblée : « Prions pour les
trépassés. » C'est ce que fait encore, avec quelques différences dans la
forme, le prêtre au second Memento du canon (2) (2) Voyez dom Guéranger.
Saint
Bernard faisait prier longtemps pour tous ses religieux après leur mort
; lui-même, pendant son noviciat à Citeaux. disait tous les jours les
sept
Psaumes de la pénitence pour le repos de l'âme de sa mère.
Que ces prières, si longtemps continuées par les premiers fidèles et par les saints, ne nous étonnent point, puisque le vénérable Bède affirme qu'il y ades âmes qui devront souffrir jusqu'au jour du jugement dernier, à moins d'un secours extraordinaire.
Le cardinal Bellarmin, dont l'autorité est d'un si grand poids à cause de sa profonde érudition, dit lui-même que la durée des peines du purgatoire, d'après des révélations très dignes de foi, pourrait se prolonger jusqu'au jour du jugement dernier.
Combien la durée n'ajoute-t-elle pas à la rigueur des peines. Avec de l'énergie et du courage, on se résigne à une opération douloureuse ; mais s'il s'agissait de rester toute sa vie sous le scalpel du chirurgien, les forces humaines n'iraient pas jusque-là, et il n'est personne qui ne préfère la mort.
Et
maintenant, s'il est vrai que tout ce que nous pouvons imaginer, toutes
nos conjectures ne nous donnent qu'une idée imparfaite de l'intensité des peines du purgatoire, comment
penser sans trembler et sans être saisi d'une juste frayeur, que ces
peines peuvent se prolonger, non pas seulement pendant des années, mais pendant des siècles ?
IIe Point. Nous avons peine à comprendre comment Dieu, qui est la bonté même, peut imposer de si terribles et de si longues souffrances à des âmes qui lui sont spécialement chères, et dont il désire le bonheur plus encore qu'elles ne le désirent elles-mêmes. Mais quelques instants de réflexion nous convaincront que la rigueur et la longueur des peines imposées par Dieu, à quelques âmes du purgatoire, ne sont pas seulement un effet de sa justice, mais de sa miséricorde, de sa bonté et de l'amour qu'il a pour elles.
En effet, toutes les âmes détenues dans les prisons brûlantes du purgatoire n'ont pas été pendant leur vie des âmes pures,
innocentes, pleines de ferveur, d'amour de Dieu, constamment fidèles à
l'observation de ses lois, et n'ayant à expier sous l'empire de sa
justice que des imperfections et des fautes inhérentes à la fragilité humaine. Combien parmi elles ne sont revenues à Dieu qu'à la dernière heure du jour de leur vie et ne doivent leur salut qu'à un miracle de l'infinie miséricorde du Seigneur. Or, s'il y a plusieurs demeures dans la maison du Père
céleste, si les récompenses y sont distribuées selon les mérites,
pourquoi n'y aurait-il pas également plusieurs demeures dans les prisons
de la justice divine ? Pourquoi les bâtiments ne seraient-ils pas
proportionnés pour la rigueur et pour la durée à la grandeur, et au
nombre des fautes des âmes passives de cette divine justice ?
Combien
de pécheurs vieillis dans les désordres de tous genres, et dont la vie
entière s'est passée dans l'indifférence pour Dieu ; dans l'oubli de
tous leurs devoirs religieux, dans l'infraction de toutes les lois du Seigneur,
reviennent cependant à lui aux approches de la mort ; Dieu s'est laissé
fléchir par les prières, par les larmes d'une mère, d'une fille, d'une
épouse chrétienne, il a jeté sur ce pécheur un regard de compassion et
de miséricorde, un de ces regards dont la puissance change les cœurs,
l'âme du moribond s'est retournée vers lui avec un repentir sincère, le pardon du Seigneur
est descendu sur elle par la grâce de l'absolution, et elle est entrée
dans l'éternité purifiée de ses fautes qui lui ont été remises quant à
la coulpe, mais ayant à en subir toute la peine, puisque le temps de les expier par la pénitence ne lui a pas été accordé.
Or, qui ne comprend que l'expiation d'une telle âme doit être longue et terrible, qu'elle puisse même se prolonger pendant des siècles
? Qui pourrait trouver mauvais que la justice de Dieu lui fasse acheter
par de vives souffrances et de longs délais, un bonheur qu'elle n'a
jamais désiré, qu'elle a si longtemps dédaignée, et dont elle s'était,
par le nombre et par la grandeur de ses
fautes, rendue souverainement indigne. Ah ! la sainteté, l'infinie
pureté de Dieu repoussent cette âme et s'opposent à ce qu'elle vienne à
lui avant de s'être entièrement purifiée. Et la justice divine exige
impérieusement qu'elle le soit avant d'être admise au bonheur éternel.
Mais qui ne voit encore dans les longues expiations imposées à cette âme une preuve de la miséricorde, de la bonté du Seigneur,
et de son ardent amour pour les pécheurs. Il pouvait la perdre et il
l'a sauvée, il l'a arrachée par un miracle de sa grâce à l'enfer qui la
regardait comme une proie assurée ; il lui a pardonnée et il change la
peine éternelle qu'elle avait méritée et qui lui était due en une peine
temporelle, qui, quelque longue qu'on la suppose, finira toujours par
avoir un terme, et qui peut être abrégée par les suffrages et les œuvres
satisfactoires des fidèles. Oh ! combien la reconnaissance de cette âme envers Dieu doit être vive et profonde. Elle sent que s'il l'avait traitée selon ses mérites, l'enfer et le désespoir
eussent été son seul partage, qu'elle eût été condamnée à haïr Dieu
éternellement et elle peut encore l'aimer ! Elle pouvait le perdre pour toujours et elle a l'espoir, que dis-je, elle a la certitude de le posséder
un jour. Certes, ce n'est pas cette âme qui se plaindra que Dieu en
exerçant en sa faveur une si grande miséricorde ait su en même temps
sauvegarder les droits de sa justice. Il existe dans le monde une erreur bien commune, c'est la facilité avec laquelle certains chrétiens se rassurent sur le sort
éternel de ceux qu'ils ont perdu. Que la mort vienne à leur enlever un
parent, un ami tendrement aimé, quelle qu'ait été sa vie, ses principes
religieux, il leur suffit qu'un prêtre ait pu l'approcher à ses derniers
moments, et qu'il n'ait pas refusé les secours de son ministère pour
qu'ils le croient entré aussitôt après sa mort en possession de la gloire et du bonheur
éternel. C'est là une étrange et déplorable illusion qui peut être bien
préjudiciable à l'âme qui vient d'entrer dans son éternité, puisqu'elle
ne tend à rien moins qu'à la priver du soulagement
qu'elle devait trouver dans les prières de ses parents et de ses amis,
prières qu'ils ne penseront pas à offrir à Dieu pour elle puisqu'ils la
croient heureuse.
En
vain essaieriez-vous de détromper de tels chrétiens et de leur laisser
entrevoir que celui qu'ils pleurent peut bien ne pas être encore en
possession du bonheur dont ils croient
qu'il jouit déjà, ils ne vous croiraient pas, et vous répondraient que
Dieu est trop bon pour faire, encore souffrir dans l'autre vie celui
qui, déjà, a tant souffert dans celle-ci. Puis faisant l'éloge du mort,
ils Vous diront : « Il était si bon, si charitable ! Puis il a tant
souffert, et avec tant de patience, dans sa dernière maladie, que bien
sûrement Dieu lui a fait miséricorde et n'a pas différé de le récompenser
de ses vertus. » Hélas ! cette confiance présomptueuse prouve que ceux
qui tiennent un semblable langage connaissent bien peu la sainteté et la
justice de Dieu. Ah ! sans doute Dieu est bon, il est infiniment bon ,
infiniment miséricordieux, et nous ne pouvons jamais trop compter sur sa
bonté et sa miséricorde ; mais il ne faut pas confondre la bonté avec
la faiblesse et croire que Dieu ait jamais promis l'impunité au pécheur.
Il ne faut pas oublier que si le Seigneur
est infiniment bon, il est aussi infiniment juste, et que si sa bonté
pardonne au pécheur et lui remet ses fautes, sa justice d'un autre côté
en exige l'expiation.
C'est
également à tort qu'on allègue en faveur de ceux qu'on a perdu leurs
vertus naturelles, si ces vertus n'ont pas eu la foi pour principe, si
elles n'ont pas été pratiquées en état de grâce pour Dieu et pour son
amour, ce ne sont que des vertus humaines, sans aucun mérite devant Dieu et auxquelles il ne doit et n'accordera aucune récompense. Il en est de même des souffrances,
si celui qui les endure est privé de la grâce de Dieu elles lui sont
inutiles, et combien de pauvres pécheurs ne recouvrent cette grâce qu'au
moment où il ne leur reste plus qu'un souffle de vie. Ne nous rassurons
donc pas si vite sur le sort de ceux que
la mort ravit à notre amour. Comptons pour eux, comme nous y comptons
pour nous, sur l'infinie miséricorde de Dieu ; nous le devons, quel
qu'ait été leur passé ; mais souvenons-nous aussi de la justice du Seigneur, pensons que les âmes de
ceux que nous pleurons sont maintenant passives de cette inexorable
justice, et n'oublions rien pour la fléchir en leur faveur et leur
ouvrir au plus tôt les portes du ciel.
PRIÈRE.
Saisi d'effroi à la pensée de vos redoutables jugements, de l'intensité et de la longueur des peines que votre justice impose aux âmes qui ont négligé de la satisfaire ici-bas, je tombe à vos pieds, ô mon Dieu ! et plein de compassion pour ces âmes infortunées
qui ne peuvent plus vous fléchir, ni désarmer votre bras vengeur, je
viens vous supplier au nom de Jésus-Christ, notre adorable Sauveur, de
jeter sur elles un regard de miséricorde, d'oublier leurs iniquités et
de vous souvenir seulement que ces âmes sont le prix du sang
de votre divin Fils, et que ce sang précieux dont une seule goutte
aurait suffi pour sauver l'univers, vous a été offert tout entier pour
leur rançon. O Marie ! douce consolatrice de tous les affligés,
souvenez-vous que si c'est pour elles que votre cœur maternel a été
déchiré sur le Calvaire, c'est là aussi
que vous êtes devenue leur mère, là que Jésus, mourant, les a confiées à
votre amour, et puisque vous avez accepté le legs de son cœur, puisque en cet instant solennel vous avez ouvert le vôtre à la grande famille des pécheurs.
Ah ! je vous en conjure, montrez aujourd'hui que vous êtes leur mère,
intéressez-vous à elles, plaidez leur cause auprès du Seigneur, et qu'elles doivent à votre puissante intercession la fin de leur peine et leur éternel bonheur. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
La vénérable Mère, Marie-Denise de Martignat, religieuse de la Visitation, fut inspirée de se dévouer au soulagement des âmes du purgatoire. Elle communiquait bien souvent avec elles ou avec leurs anges gardiens, et voici un trait qu'elle rapporte :
« Un prince illustre se prit de querelle avec un de ses parents dans le mois de février 1644. Un duel en fut le résultat malheureux ; frappé au premier coup d'épée, le prince tomba mort.
L'Eglise, qui réprouve ces actes barbares, lui refusa ses suffrages ; mais la mère Denise connut, par révélation, que le malheureux prince se voyant aux prises avec la mort, fit un acte de contrition et échappa au démon ; mais son purgatoire était terrible. La vénérable Marie-Denise le vit dans le fond
de ces brûlants abîmes, condamné à souffrir pour un temps indéterminé, à
moins d'un dévouement généreux de sa part. Elle se dévoua, et cependant
toutes ses prières, toutes ses mortifications restèrent longtemps
impuissantes.
Elle
connut enfin que la justice de Dieu avait abrégé ses rigueurs de
quelques heures. Comblée de joie, elle en fit part à ses supérieures,
qui étaient étonnées de ce qu'elle faisait tant de cas d'un soulagement
en apparence si léger. Ah ! leur dit-elle, c'est beaucoup d'avoir gagné
quelques heures. Ce court espace de temps en purgatoire n'est nullement comparable aux plus longues années de la plus douloureuse maladie sur la terre.
Pendant plus de dix ans elle jeûna, se macéra le corps, pria pour cette pauvre âme. Enfin, elle obtint de Dieu d'endurer en elle une partie de ses tourments.
Dans
la maladie, résultat de cet acte héroïque, elle était en même temps
dévorée d'un feu qui la consumait, saisie d'un froid glacial qui
raidissait les parties extrêmes de son corps, son esprit était livré à des désolations mortelles.
Le sacrifice s'acheva et fut accepté du Seigneur ; toutefois, sans pouvoir obtenir la délivrance entière de la pauvre âme. » [Les Saintes Ames du Purgatoire, par un religieux de Notre-Dame de la Trappe.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes qui sont depuis longtemps en purgatoire et offrir à Dieu en leur faveur quelques mortifications.
VIIIe JOUR
Quelles sont les âmes qui souffrent en purgatoire.
Rien de souillé ne peut entrer dans le royaume des cieux.
Ier Point. Les âmes que Dieu éloigne momentanément de sa divine présente, et qu'il châtie avec tant de sévérité dans le purgatoire, ne sont pas seulement les âmes de ces pécheurs dont nous parlions dans le chapitre
précédent, dont la vie s'est passée dans une coupable indifférence pour
Dieu, dans l'omission de tous leurs devoirs religieux, et qui n'ont dù
leur salut qu'au miracle de la miséricorde du Seigneur
qui leur a fait recouvrer sa grâce avant leur mort. Hélas ! ces prisons
brûlantes de la justice divine contiennent aussi une multitude d'âmes dont
la vie a été régulière, même pieuse et édifiante, et qui sont sorties
de ce monde chargées de vertus et de mérites, mais dont la robe
d'innocence s'est trouvée encore souillée de quelques grains de la
poussière de la terre. Ce sont, en un mot, toutes les âmes sorties de ce monde dans la grâce de Dieu, mais qui n'ont pas fait de leurs péchés une pénitence suffisante. Hélas ! le nombre
en est incalculable ; car quels sont ceux parmi nous qui s'imposent une
pénitence proportionnée au nombre et à la grandeur des fautes qu'ils ont commises ? Il n'y en a point ; et bien loin de
s'en imposer de volontaires, on se dispense généralement, sous les plus
légers prétextes, de celles qui sont obligatoires. On craint tout ce
qui gêne, on évite avec le soin qu'on devrait mettre à éviter le péché
tout ce qui pourrait servir à l'expier. On fuit la souffrance, elle
fait horreur ; à peine peut-on supporter quelques jours de jeûne et
d'abstinence, tant on craint d'altérer sa santé. Enfin, chaque jour on
augmente la somme de ses dettes, sans songer jamais à les acquitter.
Dans
les siècles de foi et de ferveur, alors que l'Eglise voyait encore ses
enfants se soumettre humblement à ses lois, cette mère aussi sage que
tendre s'armait contre ses enfants coupables d'une sainte sévérité, et
pour les préserver des redoutables Châtiments du Seigneur, elle prenait contre eux les intérêts de sa justice en imposant pour les péchés qui avaient été publics des pénitences de trois, de cinq, de huit, de dix, de quinze ans, et même de toute la vie. Le canon quarante-cinquième prescrit sept années de pénitence pour le blasphème, le parjure
et les péchés d'impureté ; bien plus, dans la préface de ces canons
pénitentiaux, il est réglé qu'on doit imposer une pénitence de sept ans
pour tout péché mortel, quel qu'il soit. Cette ancienne discipline de
l'Eglise dont elle s'est départie à cause de la diminution de notre foi
et du refroidissement de notre ferveur
nous montre assez combien elle craignait pour ses enfants les châtiments
de l'autre vie, et cependant toutes ces pénitences qu'imposait l'Eglise
n'étaient et ne seraient encore qu'une partie de l'expiation que Dieu a
droit d'exiger de nous dans sa justice.
Parmi cette multitude d'âmes que la mort jette tous les jours au pied du tribunal redoutable du Souverain
Juge, combien y en a-t-il qui n'ont pas fait dans toute leur vie, je ne
dis pas une année, mais un seul jour de pénitence. Admettons encore que
parmi ces âmes il y en ait un certain nombre qui n'aient pas commis de fautes graves, qui pourrait supputer le nombre des fautes journalières, de ces fautes qu'on nomme vénielles, et qu'elles doivent expier dans le purgatoire. En
vérité ces fautes sont innombrables. Hélas ! combien de pensées
inutiles, de paroles oiseuses, de vaines curiosités, combien
d'impatiences, de sentiments d'amour-propre, de mouvements d'humeur
n'a-t-on pas à se reprocher seulement dans le cours d'une seule journée. Combien encore de vanité, de sensualité, de recherches dans les repas, de temps perdu au jeu, dans des promenades, des conversations inutiles, dans les plaisirs et les fêtes du monde. Quels sont ceux qui se reprochent de semblables fautes, qui pensent à les expier pendant leur vie ? Il y en a, mais le nombre en est petit. Ce sont ces fautes, cependant, qui, n'ayant pas été expiées, alimenteront le feu du purgatoire. La vie de la plupart des chrétiens
est jour par jour remplie de dettes contractées envers la justice de
Dieu, et en même temps elle est à peu près vide de toute espèce de
satisfaction. Comme cette satisfaction, après le péché, quelque léger qu'il soit, est rigoureusement exigée de la justice divine, nous pouvons d'après cela nous former une idée du nombre des âmes qu'elle retient prisonnières dans les brûlants abîmes du purgatoire.
Les âmes qui souffrent dans le purgatoire sont celles de nos parents, de nos amis, de ces justes que
nous avons connus et admirés, de ces pécheurs pour lesquels nous avons
peut-être si longtemps prié ; ce sont celles de nos concitoyens, de nos
compatriotes, celles de nos frères dans la foi. Pourrions-nous être
insensibles à leurs souffrances, les oublier, les délaisser, alors que
tant de liens, des liens si forts et si sacrés nous unissent à elles ? Ces liens sont ceux du sang
et de l'amitié ; la mort n'a pas pu les briser, mais au contraire les a
resserrés et perfectionnés en épurant notre amour par la douleur et
par le sacrifice. Ces liens ne sont pas
seulement encore ceux de la fraternité qui doivent unir entre eux tous
les membres de la famille d'Adam, mais ceux bien plus étroits encore de
la charité chrétienne qui fait de tous les fidèles les membres d'un seul
corps, dont Jésus-Christ est lechef, ou plutôt les membres de Jésus-Christ lui-même. Ces saintes âmes sont actuellement, il est vrai, des membres souffrants du corps mystique de notre adorable Sauveur, mais qui, loin d'être retranchés, seront bientôt glorifiés dans le ciel ; les liens qui nous unissent à elles sont encore ceux du patriotisme, et si nous ne sommes pas indifférents aux malheurs qui atteignent ici-bas ceux dont le berceau fut placé à côté de notre berceau, de ceux qui ont peut-être partagé les jeux de notre enfance, qui ont du moins toujours respiré l'air que nous respirons, et dont les ancêtres dorment à côté des nôtres,
pourrions-nous être indifférents à leurs souffrances et leur retirer
l'intérêt que nous leur portions pendant leur vie, parce que leurs
peines sont cachées à nos yeux. Non, non, habitants du même pays, de la même patrie, la mort ne doit pas rompre les liens qui nous unissent. Ces relations commencées dans la patrie de la terre s'achèveront un jour dans la grande patrie du ciel,
où tous nous serons réunis dans une éternelle charité ; mais tant que
nous n'y serons pas arrivés, nous devons remplir envers les âmes du purgatoire les devoirs de bons citoyens et de vrais patriotes.
IIe Point. Parmi les âmes qui souffrent dans le purgatoire il
en est peut-être qui nous ont été bien chères, et ce sont celles
surtout qui doivent nous inspirer une plus tendre compassion, et que
nous devons nous efforcer de secourir. Hélas ! quelle est donc dans une
ville la maison à la porte de laquelle la mort n'a jamais frappé, le foyer
où elle n'ait pas fait de vide, la famille dont elle n'ait pas
retranché quelques membres ? Ah ! ce ne sont pas seulement les
vieillards qui peuvent amener ces jours de deuil qui brisent le cœur,
font tant de vides dans une vie et laissent dans la mémoire de
déchirants et impérissables souvenirs. La mort est impitoyable, elle
frappe partout et fait tomber sous sa faux la mère du petit enfant dont les yeux s'ouvrent à peine à la lumière, la compagne du jeune homme qui croyait vieillir avec elle, le père de famille, seul appui de sa jeune épouse et de ses petits enfants. Elle arrache sans pitié la mère des bras de sa fille, la fille des bras de sa mère, le frère,
l'ami, de ceux de son frère et de son ami, et parmi toutes les
personnes qui liront ces lignes, il ne s'en trouvera peut-être pas une
qui n'ait déjà arrosé de larmes bien amères la tombe d'un être
tendrement aimé.
Telle personne se dira : parmi les âmes qui souffrent en purgatoire se trouve l'âme de ma mère, de
cette mère si tendre, si bonne, qui a veillé sur moi avec tant de
sollicitude, qui m'a entouré d'un amour et d'un dévouement qui ne se
sont jamais démentis. Elle comptait sur mon cœur comme je comptais sur le sien,
et c'était avec raison ; ses peines étaient mes peines, ses souffrances
mes souffrances, mon amour filial s'ingérait pour adoucir ses moindres
douleurs, et j'eusse donné avec joie ma propre vie pour conserver la
sienne et l'arracher à la mort. Et maintenant que la vue de ses
souffrances ne vient plus déchirer mon âme, mon amour lui ferait-il
défaut ? Pourrais-je l'oublier, la délaisser, alors qu'elle a plus que
jamais besoin de mon appui, alors qu'elle compte encore sur ma tendresse
et qu'elle en réclame le secours. Ah !
cette tendresse la suivra au delà de la tombe, elle plaidera sa cause
auprès de Dieu ; mes larmes, mes prières, fléchiront sa justice, et
puisqu'elle expie peut-être maintenant les fautes qu'un excès d'amour et
une trop grande indulgence pour moi lui ont fait commettre, je me
chargerai d'une partie de son expiation et je m'efforcerai par tous les
moyens en mon pouvoir de hâter l'instant de sa délivrance et de son
bonheur.
Tel autre se dira : l'àme qui languit en purgatoire et
dont les gémissements et la voix plaintive ne peuvent plus arriver
jusqu'à moi est celle de mon père, de ce père si bon dont j'étais la
joie et l'orgueil. Hélas ! pour assurer mon avenir et ce qu'il appelait
mon bonheur, il n'a épargné ni labeurs, ni fatigues, et pour m'amasser des richesses
ou m'assurer une honnête aisance, il a engagé ses plus chers intérêts,
ceux de son salut. Il ne souffre peut-être que pour m'avoir trop aimé ;
pourrais-je donc sans manquer à tous les devoirs
de l'amour filial, ne pas chercher à abréger ses souffrances, non pas
seulement en priant pour lui, mais en répandant dans le sein des pauvres une petite partie des biens qu'il m'a laissés. Agir autrement serait me rendre coupable d'une ingratitude que le monde ne flétrirait peut-être pas, mais que Dieu me reprocherait un jour et qu'il punirait sévèrement.
Telle
mère peut se dire : l'âme pour laquelle je dois prier est celle de
cette enfant chérie, de cette fille bien-aimée, enlevée si jeune à mon
amour. Hélas ! elle était mon idole ; plus vaine de sa beauté qu'elle ne
l'était elle-même, j'ai favorisé ses goûts de vanité, son amour pour le monde
et ses faux plaisirs, peut-être l'ai-je en quelque sorte forcée d'y
participer, me servant de mon autorité maternelle pour modérer ce que
j'appelais une piété exagérée et calmer les justes craintes de sa
conscience timorée. Ah ! puisque mon aveugle tendresse ou l'abus de mon
autorité maternelle sont cause de ses souffrances , que ne dois-je pas
faire pour y mettre un terme, et n'est-ce pas à moi à satisfaire à la
justice divine pour des fautes dont je suis responsable ?
Tel père ne peut-il pas se dire : si le fils
que je pleure aujourd'hui a abandonné la pratique de ses devoirs
religieux, il n'a fait que suivre mon exemple. Si mon regard attristé
n'ose encore s'élever vers le ciel pour y chercher celui que je regrette, c'est que, fier de lui, je n'ai songé qu'à lui faire acquérir des connaissances qui pouvaient le pousser dans le monde
et lui assurer un brillant avenir ; sa fortune, ses intérêts temporels
absorbaient tous mes soins, et oublieux de ses intérêts éternels, j'ai
négligé de former son cœur à la pratique des vertus
chrétiennes. Ce sont mes fautes, autant que les siennes, qu'il expie
maintenant. Plus coupable que lui devant Dieu, je dois à sa justice une
double satisfaction ; l'amour paternel me fait un devoir de ne pas la
différer pour celui que je pleure, et ce serait folie de la différer
pour moi-même.
Enfin, disons-le en terminant ce chapitre : toutes les âmes que renferme le purgatoire, quel qu'ait pu êtré leur passé, sont des âmes saintes et infiniment chères à Dieu, puisqu'elles possèdent sa grâce et ne peuvent plus la perdre. Toutes sont des pierres vivantes destinées à l'édifice de la céleste Jérusalem, et que le ciseau du divin
sculpteur achève de tailler et de polir avant de les faire entrer dans
la place qu'il leur a destinée de toute éternité. Oui ! toutes ces âmes aujourd'hui si souffrantes, si affligées, brilleront un jour comme des étoiles resplendissantes dans le séjour des élus
; quelques-unes y occuperont une place distinguée, car de légères
imperfections échappées à la fragilité humaine les empêchent seules
d'aller prendre possession du trône de gloire qui les attend dans le ciel. Soyons donc compatissants pour ces saintes âmes pendant
qu'elles ont encore besoin de notre assistance et de nos suffrages.
Bientôt les rôles changeront : elles deviendront nos protectrices dans le ciel,
nos médiatrices auprès de Dieu, et alors elles nous rendront avec
bonheur, avec usure, ce que nous aurons fait pour elles au jour de leur
affliction.
PRIÈRE.
Prosterné à vos pieds, je viens vous offrir, ô mon Dieu ! le sacrifice de ma douleur, de mes larmes et de mes prières, en faveur des âmes de ceux gui m'ont été si chers, et que mon cœur n'a pas cessé d'aimer. Vous le savez,
Seigneur, ils vivent encore dans ce cœur tout plein de leur souvenir,
et si profondément déchiré par leur perte et notre séparation. Mais ce
ne sont pas des regrets et des larmes
que ces êtres chéris me demandent aujourd'hui, ils attendent autre
chose de mon amour et de mon dévouement pour eux. C'est sur moi qu'ils
comptent pour fléchir votre justice et acquitter une partie de la dette
qu'ils ont contractée envers elle. Ah ! leur attente ne sera pas vaine,
car si la vue de leurs souffrances n'attriste plus mes yeux, si leurs
plaintes et leurs gémissements ne frappent pas mes oreilles, mon cœur
n'en est pas moins ému à la pensée de leurs peines ; peines, ô mon Dieu !
dont je suis peut-être la cause et que votre justice leur inflige pour
punir leur faiblesse, leur trop grande indulgence, et l'excès de leur
amour pour moi. Ah ! pardonnez, Seigneur, à ceux auxquels vous m'avez
uni par des liens si étroits et si doux,
et que vous me faisiez un devoir d'aimer. Laissez-vous fléchir par mes
larmes, par mes humbles prières, et par la promesse que je vous fais de
satisfaire pour eux par tous les moyens qui seront en mon pouvoir.
Daignez, ô Vierge sainte ! douce consolatrice des affligés, suppléer à mon impuissance en puisant dans le trésor des mérites de votre divin Fils et de vos propres mérites, la rançon de ces âmes si
chères que je recommande à la bonté de votre cœur immaculé, et confie
avec une entière confiance à votre sollicitude maternelle. Ainsi
soit-il.
EXEMPLE.
La sœur de saint Malachie, étant morte, fut condamnée aux flammes du purgatoire. Son pieux frère la secourut par de nombreux suffrages ; puis ayant cessé de le faire, il entendit pendant la nuit une voix inconnue lui dire que sa sœur l'attendait hors de l'église et lui demandait des consolations. Le saint
comprit quels étaient les besoins de sa sœur, et ayant repris ses pieux
exercices, il la vit à quelque temps de là, à l'entrée de l'église,
vêtue de deuil, triste et désolée. Cette vision redoubla sa ferveur, et
il ne passa pas un seul jour sans faire à son intention de grandes
œuvres de piété. L'âme alors se fit voir vêtue, non plus de noir, mais
de gris et entra dans l'église, sans toutefois avancer jusqu'à l'autel.
Son frère, à cette vue, sentit augmenter sa confiance et multiplia ses
suffrages, de telle sorte qu'il parvint à satisfaire complétement la
justice divine. Il en eut la certitude quand, à la troisième apparition,
il vit sa sœur couverte de vêtements d'une éclatante blancheur,
s'approcher de l'autel au milieu d'une troupe d'élus.
Les
divers états dans lesquels se fit voir cette pauvre âme nous font bien
connaître l'économie ordinaire de la divine Providence qui ne délivre
pas les âmes du purgatoire par un acte absolu de puissance et de volonté, mais qu'il exige d'elles, avec la justice la plus exacte, le paiement de toutes leurs dettes, acceptant toutefois les suffrages des fidèles, d'autant plus utiles à ces âmes souffrantes, qu'ils sont plus abondants. Travaillons-donc à en offrir beaucoup pour les âmes qui
nous sont chères, et que nos efforts soient si constants qu'ils leur
procurent bientôt l'éternel bonheur. (S. Bern., In vita S. Malachite.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour nos parents et nos amis, et offrir à Dieu en leur faveur quelques œuvres satisfactoires.
I Xe JOUR
Les âmes du purgatoire ne peuvent plus rien par elle-même. Voix d'outre-tombe.
Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous vous du moins qui êtes nos amis et nos frères.
Ier Point. La
nuit, cette nuit profonde et terrible que notre adorable Sauveur nous
avertissait de prévenir par nos œuvres, parce qu'elle doit suspendre
pour toujours le travail de notre sanctification, et nous fixer pour jamais dans l'état où elle nous surprendra, est arrivée pour les saintes âmes du purgatoire qu'elle
enveloppe de ses ténèbres et de ses ombres épaisses. En descendant sur
elles peut-être à l'improviste, cette nuit de la mort les a fixées dans
la grâce, il est vrai, mais elle leur a ôté en même temps le pouvoir
d'acquérir de nouveaux mérites, et de croître en vertus. Ici-bas,
lorsque nous sommes en état de grâce et que nous souffrons avec patience
et résignation, non-seulement nous expions nos fautes, mais nous
amassons des trésors de mérites ; chaque
jour nous pouvons croître en vertu, en amour pour Dieu, et par-là même
accroître la somme de notre bonheur éternel et ajouter de nouveaux
degrés au trône de gloire que nous devons occuper dans le ciel.
Si nous avons péché, notre repentir, nos prières et nos larmes
fléchissent aisément la justice divine et nous obtiennent promptement
notre pardon, parce que le temps de la vie présente est le temps de la miséricorde.
Mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire
; leurs souffrances, quelque grandes qu'elles soient, sont sans mérites
pour elles, maigre la patience et la résignation avec lesquelles elles
les endurent, parce que le temps de
mériter est passé et qu'elles ne sont plus une épreuve pour elles, mais
un châtiment qui doit les purifier. Elles ne peuvent plus ni acquérir de
nouvelles vertus, ni croître en amour pour Dieu. Elles l'aiment, mais
leur amour ne saurait s'augmenter d'un seul degré.
De
même, leurs prières, leurs supplications, leurs larmes, la sincérité de
leur repentir, la vivacité de leurs regrets ne peuvent plus fléchir le Seigneur, et malgré l'amour qu'il a pour ces saintes âmes,
il reste sourd à leurs gémissements, parce qu'elles ne sont plus sous
l'empire de sa miséricorde, mais sous celui de sa justice.
Plus
une âme fait de progrès dans la perfection, plus elle pratique de
vertus, plus elle acquiert de mérites, plus aussi elle s'élève vers le ciel,
où elle occupera une place d'autant plus élevée qu'elle aura aimé Dieu
avec plus d'ardeur et de générosité. Celui qui aura le plus acquis, le plus
amassé, pendant la vie, de ces trésors impérissables qui se composent
d'actes de vertus, abnégation, humilité, charité, sacrifice, brillera
parmi les élus d'une gloire proportionnée à ses mérites. L'âme fidèle
sait bien que pas un de ses actes, pas un de ses désirs, de ses
sacrifices, quelque légers qu'il soit, ne restera sans récompense, elle
sait que le Dieu pour lequel elle
agit ne se laisse pas vaincre en générosité, qu'il sera magnifique dans
ses récompenses, et cette pensée soutient son courage, enflamme son
ardeur, et lui adoucit ce que l'accomplissement du devoir et la pratique de la vertu ont quelquefois de pénible, mais il n'en est plus ainsi pour les âmes du purgatoire
; la mort en les fixant dans l'état où elle les a trouvées, en leur
ôtant l'exercice de leur volonté, leur a, par-là même, fermé à tout
jamais la carrière du mérite, et quelque
héroïques que soient leurs actes de vertus, quelque brûlant, quelque pur
que soit leur amour pour Dieu, elles n'acquièrent plus rien, leur
bonheur dans le ciel n'en sera pas augmenté d'un seul degré.
Ah ! si la souffrance est dure à supporter en ce monde, si elle est pénible à la nature, l'espérance chrétienne lui offre des compensations
qui peuvent non-seulement la faire supporter avec patience, mais encore
la faire désirer avec ardeur. N'a-t-on pas vu les martyrs tressaillir
de joie sur les chevalets, sous l'action des instruments de supplice, et se rire des plus affreux tourments. Où puisaient-ils cette intrépidité, ce courage surhumain ? Dans la pensée des récompenses
éternelles dont leurs souffrances allaient être couronnées. Cette
pensée soutenait également les solitaires au fond de leurs déserts, elle
adoucissait toutes leurs privations, et leur faisait trouver légère une
pénitence dont le seul récit effraie notre délicatesse. Mais les souffrances du purgatoire ne sont point adoucies par de telles compensations, elles sont simplement le paiement d'une dette, et s'il est permis de parler ainsi, l'absolue et pure souffrance.
Que
cette pensée, tout ce que je souffre ne peut plus ni m'acquérir de
mérite devant Dieu, ni me faire croître dans son amour, est cruelle,
désolante pour ces saintes âmes, et
combien n'ajoute-t-elle pas à leurs tourments ? Avec quelle amertume
elles regrettent la perte de ce temps qui n'existe plus pour elles, et
où il leur eût été si facile d'acquitter leurs dettes et d'accroître en
même temps le trésor de leurs mérites.
Que leur exemple nous apprenne à en l'aire un saint usage, et nous anime
à travailler avec plus de sollicitude et de ferveur à l'amendement de
notre vie.
Souvenons-nous
que la vertu ne naît pas en nous, nous devons l'acquérir à force de
combats et de sacrifices. Livrés à nos propres forces, nous serions
incapables de ces efforts, de ces combats et de ces sacrifices, mais
Dieu qui les exige de nous, ne nous abandonne pas à notre propre
faiblesse, il nous donne sa grâce pour nous aider et nous soutenir. Le travail de notre sanctification est tout à la fois l'œuvre de Dieu et celle de notre volonté. La grâce nous invite à faire le bien,
notre volonté doit coopérer à la grâce ; ainsi la vertu ne s'acquiert
que par les actes constamment renouvelés, plus nous les multiplions,
plus nous devenons vertueux et parfaits. Le travail du chrétien consiste donc à se perfectionner, autant qu'il peut, par l'exercice des vertus,
mais n'oublions pas que cet exercice ne durera qu'autant que notre vie,
et que la mort nous fixera pour jamais dans l'état où elle nous aura
surpris. Alors aussi, il n'y aura plus de temps pour nous, et comme ceux
qui nous ont précédé dans l'éternité, nous nous trouverons dans
l'impuissance d'acquitter nos dettes et de rien ajouter à la somme de
nos mérites.
II° Point. C'est donc en vain que du fond des brûlants abîmes où elles gémissent, les saintes âmes du purgatoire font monter vers Dieu le cri
de leur douleur, en vain qu'elles essaient de fléchir sa justice et
qu'empruntant les supplications de David pénitent, elles répètent après
lui : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'avez-vous abandonné ? Je crie
vers vous pendant tout le jour, et vous
ne m'exaucez pas. La nuit j'exhale mes gémissements et personne ne me
répond. Souvenez-vous, Seigneur, de vos miséricordes, jetez dans l'oubli
les égarements de ma jeunesse. Ah ! ayez pitié de moi, parce que vous
êtes bon. Je suis seule, pauvre, délaissée, les afflictions se sont
multipliées autour de moi. Rompez les liens qui me retiennent loin de
vous, délivrez-moi des tourments que
j'endure. Voyez mon humiliation et remettez-moi mes péchés. Que mon exil
est long. Hélas ! Seigneur, qu'il est dur ! J'ai levé mes yeux et mon
cœur vers le sanctuaire de votre gloire, comme fait le serviteur vers celui de qui dépend son sort. Miséricorde, Seigneur ! miséricorde , car ma tribulation est extrême ; mais, je le répète, c'est en vain que ces saintes âmes font monter vers Dieu le cri de leur douleur ; il reste sourd, et comme insensible à leurs plaintes et à leurs gémissements.
Où donc ces pauvres exilées trouveront-elles des secours
? A qui s'adresseront-elles pour en obtenir ? Si elles regardent autour
d'elles, elles n'y voient que les tristes compagnes de leur captivité,
qui sont aussi impuissantes à leur venir en aide, qu'elles-mêmes le sont à pouvoir leur procurer le moindre soulagement. Si elles regardent au ciel pour y chercher parmi les saints des protecteurs et des amis,
sans doute elles en trouvent ; mais si les saints peuvent par la
puissance de leur intercession auprès de Dieu leur venir en aide et leur
obtenir du soulagement, ils ne peuvent
plus, comme pendant leur vie mortelle, prendre sur eux une partie de
leurs dettes et satisfaire pour elles à la justice divine.
Dans leur profonde détresse, ces pauvres âmes tournent
leurs regards vers la terre, elles se souviennent de ceux qu'elles y
ont laissés, de ces parents, de ces amis qu'elles ont si tendrement
aimés et qui les aimaient également avec tant de tendresse et de
dévouement ; ce souvenir est pour elles une espérance, car elles
comptent encore sur un amour dont elles ont reçu tant de preuves, tant
d'assurances, elles ne croient pas qu'il ait pu s'éteindre si vite et
leur manquer au jour où elles en ont le plus
besoin ; aussi, est-ce avec une entière confiance qu'elles s'adressent à
ceux qu'elles-mêmes n'ont pas cessé d'aimer, et que dans l'affliction
qui les presse, elles leur crient : Ayez pitié de nous, ne nous
abandonnez pas, vous du moins qui êtes
nos amis et sur l'affection desquels nous comptons encore. Ah ! de
quelle compassion ne serions-nous pas saisis, si les gémissements et les
supplications de ces voix plaintives pouvaient arriver jusqu'à nos
oreilles, et que ne ferions-nous pas pour adoucir les souffrances de
ceux qui nous sont toujours chers, que nous regrettons et pleurons
encore.
Si Dieu le permettait, ce fils, cette fille qui versent des larmes si amères à la seule pensée de cette mère si tendre, si dévouée, que la mort vient de ravir à leur tendresse, entendrait la voix chérie leur crier du milieu des flammes
où elle endure de si cruelles douleurs : « Ayez pitié de moi, vous les
bien-aimés de mon cœur, souvenez-vous de mon amour, de mon dévouement, des soins
dont j'ai entouré votre enfance et votre jeunesse, souvenez-vous de mes
angoisses à la vue de vos moindres douleurs ; vos larmes ont-elles
jamais coulé sans que ma main les ait essuyées ? un seul de vos cris,
une de vos plaintes me remuait jusqu'au fond des entrailles ; pour adoucir vos souffrances rien ne me coûtait ; la nuit, le jour,
j'étais à vos côtés et je vous sacrifiais sans regret mon repos, mon
sommeil, ma santé, et j'eusse sacrifié avec joie jusqu'à ma vie pour
sauver la vôtre. Aujourd'hui, serez-vous sourds à mes cris et
insensibles à mes douleurs ? m'abandonnerez-vous au jour de ma détresse,
et me refuserez-vous le secours que
j'implore et que j'attends de votre amour ? Oh non, car. vous aussi vous
m'aimiez, vos cœurs étaient reconnaissants, et jusqu'à ma dernière
heure vous m'avez entourée de vos soins et de votre dévouement. J'y
compte encore sur ce dévouement. Offrez pour moi à Dieu votre douleur,
vos larmes, vos prières, et que votre amour, plus fort que la mort, me
suive au delà du tombeau et m'ouvre les portes du ciel. »
Ailleurs
cette mère, que la mort prématurée d'un enfant bien-aimée rend
inconsolable, l'entendrait lui crier aussi : Ayez pitié de moi, vous, ma
mère chérie, vous dont l'amour ne m'a jamais fait défaut, vous qui
m'entouriez de si tendres soins, de tant de sollicitude et de
dévouement. Ne m'abandonnez pas, vous dont la tendresse savait toujours
alléger mes souffrances ; au milieu de vos douleurs vous trouviez des paroles pour adoucir les miennes, des sourires
pour dissiper mes tristesses et ramener l'espérance dans mon cœur.
Hélas ! je souffre, je languis loin de vous. Je pleure, et personne ne
me console ; j'implore du secours, et nul
ne répond à ma voix. Ah ! soyez encore mon ange consolateur ; vous
pouvez encore essuyer mes larmes, me protéger, me délivrer des tourments
que j'endure ; soyez mon avocate, plaidez ma cause auprès de Dieu,
plaidez-la par vos larmes, par l'acceptation généreuse du sacrifice qu'il vous a imposé en m'enlevant à votre amour. Il se laissera fléchir, et après lui je vous devrai mon bonheur.
De même l'épouse entendrait son époux, la sœur son frère, l'ami son ami, implorer son secours au nom des liens
qui les unissaient ici-bas, et lui demander par leur mutuelle
affection, de ne pas les abandonner au jour où leur dévouement leur est le plus
nécessaire. Dieu ne permet pas à ces voix si tristes, si plaintives,
d'arriver jusqu'à nous ; mais les abandonnerons-nous, les
oublierons-nous parce parce que nous ne les entendons pas, parce que la
vue de leurs souffrances ne vient pas émouvoir nos cœurs et attrister
nos regards. Ah ! ne soyons pas du nombre de ceux qui oublient si vite ceux qu'ils ont aimés, ceux dont la perte leur a dans le moment causé une si vive douleur. Cessons de les ..pleurer, la source des larmes
finit par se tarir ; mais ne cessons pas de prier pour eux.
Laissons-les vivre dans notre souvenir aussi longtemps que nous vivrons,
que notre amour soit plus fort que la mort, et que notre dévouement les
suive jusque dans les profondeurs de l'éternité, pour les arracher, si
je puis ainsi m'exprimer, aux mains de la justice de Dieu.
PRIÈRE.
Accordez-moi, ô mon Dieu, d'user saintement de la vie présente et d'employer le temps
que vous m'accordez dans votre miséricorde, à faire une abondante
moisson de bonnes œuvres, à augmenter les trésors qui doivent m'enrichir
pour le ciel, mais surtout à croître
sans cesse dans votre amour. Ne permettez pas, Seigneur, que par une
coupable négligence, j'attende au dernier jour pour régler mes comptes
avec votre justice, et que je me laisse surprendre par cette nuit
redoutable de la mort qui me fixera pour jamais dans l'état où elle me
trouvera, et mettra fin au travail de ma sanctification. Aidé de votre
grâce, je veux la prévenir cette nuit et travailler avec ardeur à
l'amendement de ma vie et à l'acquisition des vertus qui me manquent pendant que le jour luit encore pour moi.
Souffrez, ô mon Dieu, que je vous recommande ces pauvres âmes que
cette nuit terrible enveloppe aujourd'hui de ses ombres ; hélas ! elles
ne peuvent plus rien, vous ne vous laissez plus fléchir par leurs
prières et par leurs larmes, et malgré l'amour que vous avez pour elles,
vous restez sourd à leurs supplications et à leurs gémissements, mais
vous nous permettez d'être leur médiateur et de nous interposer entre
votre justice et elles. Jetez donc sur ces saintes âmes, ô mon Dieu, un regard de pitié et de miséricorde, remettez-leur leurs peines au nom des mérites
de votre divin Fils, finissez leur douloureux exil, et qu'elles
reçoivent enfin de vos mains divines la couronne de justice et de gloire
que vous leur avez préparée. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Saint Nicolas de Tolentin professait une grande dévotion pour les âmes du purgatoire, et celles-ci avaient de leur côté une grande confiance dans la piété du serviteur
de Dieu. Une nuit elles lui envoyèrent pendant son sommeil Fr.
Pellegrino d'Ossino, qui avait été son ami pendant sa vie, pour obtenir
de lui des prières. Cette âme ayant appris au saint qu'elle était en purgatoire :
«Viens père, ajoutat-elle, et contemple nos misères, et l'ayant conduit
dans la grande plaine de Valmanente, saint Nicolas la vit toute
couverte de flammes ardentes, au milieu desquelles une multitude d'âmes jetaient des cris lamentables et imploraient du secours par les gestes les plus expressifs. « Vois, reprit alors l'esprit, quelles sont les peines des âmes du purgatoire, et comme elles se recommandent à ta pitié ! Elles souffrent des tourments plus atroces qu'on ne le saurait imaginer, et ne peuvent en aucune façon se secourir elles-mêmes ; mais toi, au contraire, tu le peux aisément, en offrant pour elles des prières, des pénitences, le saint sacrifice, et je te prie de dire à leur intention la messe des morts et de te livrer à d'autres exercices de piété, car si tu veux bien intercéder pour elles auprès du Seigneur, je ne doute pas que tu ne brises les chaînes brûlantes de la plupart, et qu'elles ne montent au ciel. Se réveillant à ces mots, le saint quitta aussitôt sa couche, se prosterna sur le sol, et versant un torrent de larmes, offrit à Dieu les plus ferventes prières pour ces infortunés. Le lendemain il obtint du père prieur du couvent la permission de célébrer pour eux la sainte messe pendant toute la semaine, et le fit avec tant de ferveur, que le dernier jour, Fr. Pellegrino vint le remercier de sa généreuse charité, grâce à laquelle il avait, avec beaucoup d'autres âmes, été délivré de ses peines et admis à la gloire du ciel. {In vita S. fficolai.)
PRATIQUE.
Employer aujourd'hui le temps comme on voudrait l'avoir employé au moment de la mort.
Xe JOUR
Communion entre l'église triomphante du ciel, l'église militante de la terre et l'église souffrante du purgatoire.
Je crois à la communion des Saints. (Symô. des Ap. )
Ier Point. L'Eglise chrétienne est un corps moral dont Jésus-Christ est le chef ; elle se divise en trois Eglises particulières, dont l'une composée des élus triomphe déjà dans le ciel ; l'autre qui comprend toutes les âmes que la mort a surprises dans la grâce, mais auxquelles toute la peine due au péché n'avait pas été remise et qui sont dans le purgatoire, et
la troisième, qui se compose de tous les fidèles qui militent encore
sur la terre. Membres d'un même corps, enfants d'une même famille, il
existe entre tous ceux qui font partie de ces trois Eglises un lien de
charité que la mort même ne peut rompre et qu'on nomme la communion des saints.
Ce lien mystérieux et divin formé par Jésus-Christ lui-même, unit
d'abord chacun de ses membres à son cœur adorable, puis par lui, par la
charité dont ce cœur sacré est la source, elle les unit entre eux par
l'amour le plus tendre, le plus fort et le plus constant, en sorte que le bonneur et la gloire de ceux qui triomphent dans le ciel, deviennent en quelque sorte la gloire et le bonheur et de ceux qui, assurés de les partager un jour, souffrent encore dans le purgatoire, et de ceux qui sur la terre combattent encore les combats du Seigneur,
parce que les uns et les autres se réjouissent et applaudissent au
triomphe de leurs frères. De même les peines de l'Eglise souffrante
deviennent communes par une tendre compassion aux bienheureux pour
lesquels toutes douleurs ont cessé, et aux fidèles qui, dans cette
vallée de larmes, portent encore le poids du jour
et de la chaleur. De même encore l'Eglise triomphante et l'Eglise
souffrante ne sauraient rester indifférentes aux luttes, aux combats,
aux épreuves et aux dangers de tous genres qui environnent les frères
qu'ils ont laissés dans la lice, et ils s'y associent par leurs vœux et
par leurs prières.
Dieu, qui aime tendrement les saintes âmes du purgatoire, qui
les aime d'autant plus qu'il les voit confirmées dans sa grâce et dans
son amour, s'est cependant, par un décret de sa Providence, imposé la
loi de ne pas les secourir ordinairement par lui-même ; mais ce qu'il ne
veut pas faire, il laisse à l'Eglise triomphante et à l'Eglise
militante le pouvoir de le faire,
et en cela nous devons admirer la magnifique économie de sa Providence,
qui, tandis qu'elle se réserve les droits d'une rigoureuse justice,
confère à d'autres les droits de la miséricorde et de la compassion.
Semblable à un tendre père qui, forcé par devoir d'imposer un châtiment
à des enfants coupables, ne veut pas
revenir de lui-même sur l'arrêt qu'il a prononcé contre eux, mais se
laisse aisément fléchir par les larmes, par les prières que leurs frères
lui adressent en leur faveur, et s'estime pour ainsi dire heureux, et
se regarde comme leur obligé lorsqu'ils le désarment et lui rendent le droit d'exercer la miséricorde sans blesser la justice.
Tous les membres de l'Eglise triomphante usent dans le ciel du pouvoir que Dieu leur a donné, de venir au secours de l'Eglise souffrante du purgatoire. Nulle, parmi ces âmes bienheureuses, n'oublie ces saintes âmes qu'elles
ont hâte de voir associées à leur éternel bonheur. Il n'en est pas une
qui ne prie pour elles, et qui ne s'efforce par d'ardentes supplications
de hâter, le moment de leur délivrance.
Elles ne peuvent plus, il est vrai, mériter pour ces sœurs chéries, mais
elles peuvent puiser dans la surabondance de leurs mérites, unis aux
mérites de Jésus-Christ, de quoi acquitter leurs dettes. Connaissant
presque toutes par leur propre expérience la rigueur des peines du purgatoire, les âmes des élus au souvenir des souffrances qu'elles y ont endurées, de ce désir du Ciel,
de cette soif de Dieu qui les consumait, éprouvent pour ces saintes
captives, une compassion bien plus vive que celle que nous éprouvons
nous-mêmes pour des douleurs que nous ne connaissons que d'une manière bien imparfaite. Connaissant également par leur propre expérience le bonheur du Ciel, ces délices, ces joies inébranlables, les âmes des bienheureux remplis du double amour de Dieu et de leurs frères, le désirent pour eux avec une sainte impatience. Le zèle qui les dévore leur fait souhaiter avec ardeur le moment où ces pauvres exilées du ciel viendront y prendre place, pour y glorifier Dieu avec elles, par leurs louanges et d'éternelles actions de grâces.
Les saints sont donc non-seulement remplis de zèle et d'un zèle ardent pour les âmes du purgatoire, mais ce zèle est efficace ; ils sont pour elles des protecteurs, des amis
dévoués, de puissants médiateurs ; sans cesse ils prient, ils
intercèdent en leur faveur, ils intéressent Marie à leur cause, et Dieu
se laisse souvent fléchir par les ardentes supplications de ces enfants
chéris ; par amour pour eux, il se relâche des droits de sa justice, il abrége, il adoucit leurs souffrances, et souvent encore il y met un terme et leur ouvre les portes du Ciel.
Quelle joie ne cause pas alors à leurs saints protecteurs, l'entrée de
ces sœurs bien-aimées dans la céleste patrie, avec quels transports
d'allégresse ne les accusent-ils pas et n'applaudissent-ils pas à leur
triomphe. L'arrivée de chacune d'elles occasionne dans le ciel
comme une fête de famille. Ces nouvelles venues sont fêtées,
congratulées par leurs frères qui, tous à l'envie, se montrent jaloux
d'essuyer de leurs yeux jusqu'aux dernières des larmes qu'elles ont versées.
Les saints anges aussi s'intéressent aux âmes du purgatoire, ils les visitent, les consolent, ils prient pour elles, et inspirent aux fidèles la compassion pour leurs souffrances et le zèle
pour leur délivrance ; mais ce sont surtout les anges gardiens de ces
pauvres captives qui se montrent vraiment alors leurs amis les plus
vrais, les plus compatissants et les plus dévoués. Loin de les
abandonner au jour de leur détresse, ils descendent souvent dans leur
prison brûlante, ils les consolent, raniment leur espérance en leur
montrant dans un avenir prochain le terme de leurs peines, puis ils les rappellent au souvenir de ceux qui les oublient sur la terre ; par leurs inspirations ils obtiennent des suffrages, ils font en sorte que le saint sacrifice de la Messe soit offert en leur faveur, que des indulgences leur soient appliquées, et lorsque la justice de Dieu est satisfaite, et que ces saintes âmes entièrement
purifiées, ont fini leur douloureuse expiation, ces célestes amis se
hâtent de leur en apporter l'heureuse nouvelle, et pleins de joie ils
s'envolent avec elles vers les parvis éternels, heureux de les y
introduire et de les présenter eux-mêmes au Dieu qui les attend pour les
couronner.
IIe Point. L'Eglise militante est également en communion avec l'Eglise souffrante du purgatoire, et comme l'Eglise triomphante du ciel, elle a reçu de Dieu le pouvoir de lui venir en aide et de la soulager. Plus encore que l'Eglise du ciel, l'Eglise de la terre peut le faire d'une manière efficace, puisqu'à la prière elle peut joindre des œuvres satisfactoires, qu'elle peut faire couler en leur faveur le sang adorable de son divin Epoux, et leur appliquer ses mérites en leur ouvrant le trésor des indulgences.
Mère tendre et dévouée, l'Epouse immaculée du Christ
enveloppe de sa maternelle sollicitude et d'un égal regard d'amour tous
les enfants qu'elle a enfantés à son divin Epoux ; mais si elle se
réjouit de la gloire et du bonheur de
ceux qui sont arrivés à la bienheureuse patrie, si déjà elle triomphe
avec eux et en eux, tranquille désormais sur leur sort, elle reporte
toute sa sollicitude et sur ceux qui militent et combattent encore avec
elle sous leglorieux étendard de la croix, et sur ceux qui, entrés sous le domaine de la justice de Dieu, languissent loin du ciel et l'implorent dans leur détresse.
Comme
une mère qui semble préférer à tous les autres celui de ses enfants
qu'elle voit souffrant et affligé, l'Eglise, elle aussi, loin d'oublier
les saintes âmes du purgatoire, semble
avoir pour elles une tendresse plus vive, un dévouement plus actif que
pour ses autres enfants. Chaque jour, elle exige que sur tous les
autels du monde catholique, il soit fait mémoire d'elle au saint Sacrifice de la Messe, afin que le sang
adorable de son divin Epoux plaide leur cause auprès de son Père, et
vienne comme une rosée rafraîchissante tomber au milieu des flammes
qui les dévorent pour en amortir l'ardeur. Dans les prières de son
admirable liturgie elle fait également mémoire d'elles : il en est
encore de même dans l'office que récitent chaque jour ses ministres.
Enfin, elle a institué une fête spéciale en faveur des fidèles
défunts, et aussitôt après avoir excité notre émulation en nous
montrant la gloire dont Dieu couronne les vertus de nos frères dans le ciel, elle veut également exciter notre charité et notre compassion pour ces autres frères qui, assurés du même bonheur, le voient différé jusqu'à ce que les moindres souillures du péché
soient effacées dans leur âme. Et pour cela, elle ouvre en quelque
sorte à nos regards les tristes prisons où gémissent ces saintes âmes, elle
se hâte de faire monter vers Dieu la voix de ses soupirs, de ses
gémissements et de ses prières, nous engageant à y unir les nôtres pour
fléchir sa justice et faire déborder les trésors de sa miséricorde sur
ses enfants affligés.
Enfin, tous les Souverains Pontifes qui viennent successivement s'asseoir sur le trône de saint Pierre, les montrent animés de la même charité pour les saintes âmes du purgatoire,
tous semblent comprendre la grandeur de leurs souffrances, et se
montrent empressés de les abréger et d'y mettre un terme en étant
saintement prodigues pour elles des mérites
de Jésus-Christ. Remarquons que presque toutes les indulgences que les
Souverains Pontifes accordent aux fidèles, sont applicables aux âmes du purgatoire. Ne
semble-t-il pas par là les inviter à se montrer généreux envers leurs
frères défunts, à s'oublier pour leur venir en aide et à user pour eux
de la charité dont ils auront bientôt besoin qu'on use envers eux.
Enfants
de l'Eglise, laissons nos cœurs se pénétrer de la charité de notre mère
commune ; soyons à son exemple compatissants et miséricordieux envers
les âmes du purgatoire. Souvenons-nous que nous sommes unis à ces saintes âmes par des liens d'une fraternité spirituelle et toute divine ; comme nous elles ont été régénérées par les eaux du saint baptême, et nous pouvons dire avec vérité que le même sein nous a portés, que nous avons été nourris du lait de la même doctrine, puisque nous sommes enfants de la même mère. Ces saintes âmes n'ont pas seulement été, comme les nôtres, marquées du sceau de l'adoption divine, mais comme nous aussi et peut-être à côté de nous, elles ont pris place à la table des anges, et le pain
divin de l'Eucharistie leur a été rompu comme à nous ; comme nous elles
ont reçu ce gage sacré de la vie éternelle et de la résurrection
glorieuse marquées du sang adorable de
l'Agneau divin ; elles ont emporté dans l'éternité les mêmes espérances
qui adoucissent maintenant les labeurs de notre triste pèlerinage. Ne
sont-ce pas là des droits incontestables à notre compassion, et des titres
sacrés à notre amour ? Ah ! si les enfants d'une même famille, quand
ils sont bien unis, s'aiment tendrement entre eux, si les peines de l'un
deviennent les peines de tous, ne doit-il pas en être de même des enfants de l'Eglise ? Ces liens spirituels qui unissent ceux qui ont la même foi, la même espérance, qui attendent le même héritage seraient-ils donc moins forts et moins tendres que les liens du sang et de la nature ?
Non, il n'en est pas ainsi, et nous voyons toutes les âmes véritablement pieuses animées d'une tendre et compatissante charité pour les âmes souffrantes du purgatoire ;
non-contentes de prier pour elles, de leur appliquer toutes les
indulgences qu'elles peuvent gagner, elles s'efforcent encore de payer
une partie de leurs dettes en leur cédant généreusement leurs œuvres
satisfactoires. Imitons-les et soyons convaincus que notre charité loin
de nous appauvrir nous enrichira devant Dieu, et que parmi les œuvres de
miséricorde celle qui a pour objet le soulagement de ces saintes âmes n'est pas la moins agréable au Seigneur et la moins méritoire à ses yeux.
PRIÈRE.
0
Dieu infiniment bon, infiniment miséricordieux, qui avez voulu que la
charité la plus tendre unisse entre eux tous les membres de la grande
famille chrétienne, montrez-vous donc favorable aux prières et aux
supplications que l'Eglise triomphante du ciel ne cesse de vous adresser en faveur de l'Eglise souffrante du purgatoire. Soyez aussi touché des larmes et des gémissements que l'Epouse de votre divin Fils fait sans cesse monter vers letrône de votre miséricorde. C'est une mère, ô mon Dieu, qui vous conjure d'avoir pitié de ses enfants, de vous relâcher des droits
de votre justice et de mettre fin à leurs peines. Ne soyez pas
insensible, Seigneur, à la douleur et aux ardentes supplications de
cette mère affligée. Elle ne se présente pas devant vous les mains
vides, mais elle vous offre pour la rançon de ses enfants, le sang adorable qui a coulé pour eux sur le Calvaire, et dont la voix puissante s'élève encore à toutes les heures du jour, de tous les autels du monde
chrétien, pour vous demander leur grâce. Laissez-vous donc fléchir, ô
mon Dieu, oubliez votre justice pour ne vous souvenir que de votre
miséricorde. Remettez à ces saintes âmes les
peines qui leur restent encore à subir, et admettez-les enfin dans ce
lieu de rafraîchissement, de lumière et de paix après lequel elles
soupirent, et que l'Eglise du ciel et celle de la terre vous demandent également pour elles. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Dans le monastère
de sainte Catherine, à Naples, on avait la louable coutume de terminer
toutes les œuvres de la journée en récitant au dortoir les vêpres des morts, afin d'obtenir du Seigneur la paix et le repos pour les âmes des trépassés avant de se livrer au sommeil. Cette pieuse pratique était chère au purgatoire autant qu'au ciel ; mais un soir que des occupations extraordinaires s'étaient prolongées dans le couvent
jusqu'à une heure avancée de la nuit, les religieuses allèrent prendre
leur repos sans offrir pour les morts leur suffrage accoutumé. Mais
pendant qu'elles donnaient il descendit du ciel une cohorte d'anges qui, se rangeant avec ordre dans le lieu
où les religieuses avaient l'habitude de prier, chantèrent avec une
mélodie toute céleste l'office qui avait été omis. Une sœur veillait
alors en prières, c'était la vénérable sœur Paule de Sainte-Thérèse,
qui, surprise à ces accents inattendus, sortit en toute hâte de sa
cellule pour s'unir à ses sœurs qu'elle croyait entendre chanter ; mais
quel ne fut pas son étonnement, quand elle vit les anges en nombre égal à
celui des religieuses du monastère, les suppléer dans leur œuvre de charité, afin que les morts ne restassent pas privés d'un suffrage si utile ! Le cœur de la vénérable servante du Seigneur devint alors encore plus compatissant pour les âmes du purgatoire, que les habitants du ciel, aussi bien que ceux de la terre se font un bonheur de secourir ; et ayant raconté le fait
à ses compagnes, il fut décidé que désormais aucune circonstance,
quelque importante qu'elle fût, n'empêcherait plus la récitation des vêpres à l'intention des âmes des trépasssés. (Vie de la V. Paule de Sainte-Thérèse.)
PRATIQUE.
Admirer la bonté de Dieu, qui permet que par la communion des saints,
les liens qui nous unissent à ceux que nous aimons sur la terre ne
soient pas rompus, et lui rendre grâces de nous avoir donné un moyen si
facile et si doux de leur prouver encore notre dévouement et notre
amour.
XIe JOUR
Nous pouvons et nous devons soulager les âmes du purgatoire.
Heureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront miséricorde.
Ier Point. Ce ne sont pas seulement les suffrages universels de l'Eglise militante qui peuvent être utiles aux saintes âmes du purgatoire. Dieu, dans son infinie bonté, communique à chacun de ses membres le pouvoir
qu'il a donné à l'Eglise tout entière ; il consent à se laisser fléchir
par chacun d'eux, et il permet, si je puis ainsi m'exprimer, que le plus petit, le plus faible d'entre nous, puisse, quand il le veut, arrêter son bras vengeur et le désarmer. Sa justice, il est vrai, a marqué le nombre d'heures, de jours et même d'années que doit durer leur expiation, mais il nous a laissé le pouvoir de l'abréger. Il les a condamnées à un feu qui les brûle, mais il a mis à notre disposition des cœurs qui peuvent l'éteindre ; il a enfermé ces saintes âmes dans une obscure prison ; mais il a remis entre nos mains la clef qui peut la leur ouvrir.
Quelle joie, quelle consolation pour vous, âmes affligées,
pour vous qui pleurez un père, une mère, un époux, un enfant bien-aimé.
Ah !_séchez vos larmes, consolez-vous, vous pouvez encore leur donner des preuves
de votre dévouement, de votre amour, vous pouvez être leurs anges
consolateurs et leurs liberateurs. Captifs de la justice de Dieu, ceux
que vous aimiez attendent votre secours, ils l'implorent et l'espèrent
de votre affection. Hâtez-vous donc, venez briser leurs chaînes ; fils,
ouvrez à votre père, à votre mère ; épouse, ouvrez à votre époux ; mère,
ouvrez à votre enfant les portes de leurs prisons enflammées, afin que
libres de s'envoler au ciel, ces âmes qui vous sont si chères vous puissent en quelque sorte vous devoir leur bonheur.
Que n'avez-vous pas fait autrefois, que n'avez-vous pas sacrifié pour le bonheur
de ces êtres si tendrement aimés ; que ne faisiez-vous pas pour les
consoler dans leurs peines, pour alléger et adoucir leurs plus légères
souffrances ? Que n'eussiez-vous pas donné dans leur dernière maladie
pour les soustraire à la mort qui les menaçait ? Ah ! vous n'eussiez
reculé devant aucun sacrifice, pas même devant celui de votre propre
vie. Leurs plaintes, leurs soupirs déchiraient votre cœur ; sans cesse à
côté de leur lit de douleur, vous les entouriez des soins
les plus tendres et les plus dévoués, et vous trouviez dans votre cœur
de douces et consolantes paroles pour ranimer leur courage et leur
espérance. Et cependant qu'étaient les souffrances que vous étiez si
empressés, si ingénieux à soulager auprès de celles qu'elles endurent
aujourd'hui ? Hélas ! rien, moins que rien ; et ces douleurs dont il ne
vous est pas même possible de vous former une juste idée, sont sans
soulagement, sans consolation. Ah ! s'il vous était donné d'en être
témoin, quelle ne serait pas votre douleur, de quelle compassion ne
seriez-vous pas saisis et que ne feriez-vous pas pour y mettre un terme.
Dieu vous évite cette douloureuse et terrible vision, mais croyez-le bien, les souffrances de ces âmes que
vous avez si tendrement aimées et qui vous sont encore si chères,
quoique invisibles pour vous, n'en sont pas moins réelles et ne doivent
pas vous inspirer une compassion moins vive que que si vous pouviez les
contempler de vos yeux ; et l'impuissance où sont ces pauvres âmes de se faire entendre de vous et de réclamer le secours
qu'elles ont droit d'attendre de votre affection, ne doit pas être pour
vous une raison de les oublier, mais un nouveau motif pour redoubler de
zèle et de sollicitude pour leur venir en aide.
Ce ne sont pas des larmes, des regrets que ceux que vous avez perdus demandent de vous ; mais des prières,
quelques aumônes, quelques œuvres satisfactoires pour apaiser la
justice de Dieu et acquitter une partie de la dette qu'ils ont
contractée envers elle. Mais, hélas ! à la mort d'un parent, d'un ami,
on se livre à une douleur immodérée, à une douleur qu'on peut appeler
égoïste, parce qu'on se laisse absorber par elle au point de ne penser
qu'à soi, sans songer que celui qui vient d'entrer dans son éternité a
peut-être bien plus besoin de vos prières que de vos larmes. Non pas
qu'il soit défendu de pleurer ceux que la mort ravit à notre tendresse ;
non, sans doute, les larmes, les regrets sont légitimes. Dieu ne les
condamne pas, mais il ne faut pas pleurer comme ceux qui n'ont pas
d'espérance, il faut surtout savoir s'oublier soi-même et faire de la
douleur même qui brise et torture alors le cœur, un sacrifice qui, offert à Dieu avec une entière résignation, suffirait peut-être seul pour ouvrir le ciel à ceux dont la perte voue le reste de votre vie au deuil et à la tristesse. « Nous voyons tous les jours, disait saint Bernard, des morts
pleurer d'autres morts. Ce ne sont que lamentations, transports de
douleur, excès de désolation, mais peu de prières, pas de bonnes œuvres,
pitié stérile et infructueuse. En vérité, ceux qui pleurent ainsi
méritent bien eux-mêmes d'être pleurés.
Le saint Docteur ne condamne pas par ces paroles le tribut
de douleurs et de regrets que nous payons à la mémoire de ceux que nous
aimons ; il ne blâme ni notre deuil, ni notre tristesse, il ne
désapprouve pas davantage les larmes dont nous arrosons la dépouille
mortelle des parents, des amis
que Dieu nous avait prêtés et qu'il vient de rappeler à lui ; mais il
veut nous faire entendre qu'à ses larmes qui ont leur source dans une
tendresse toute naturelle et qui ne soulagent que notre douleur, doivent
se joindre celles de la compassion et de la charité, seul vrai tribut
de l'amour chrétien. De telles larmes surnaturalisent et sanctifient la
douleur, elles sont utiles à ceux dont le souvenir les fait couler, et saint Ambroise les appelle le prix de leur salut, la rançon de leurs péchés.
IIe Point. Non-seulement nous pouvons soulager les âmes du purgatoire, mais nous le devons
comme chrétiens ; c'est pour nous un devoir de charité, c'est un devoir
de justice quand il s'agit de nos parents ou de nos bienfaiteurs. En
effet, la charité chrétienne nous oblige tous à secourir, selon nos
moyens, ceux de nos frères que nous voyons dans la peine et dans le besoin. Elle nous fait un devoir de verser notre superflu dans le sein des membres
souffrants de Jésus-Christ, de donner à manger au pauvre qui a faim, à
noire à celui qui a soif ; de vêtir celui qui est nu, de visiter cet
autre qui languit sur un lit de douleur, ou qui au fond d'un cachot
pleure sa famille et la perte de sa liberté. Si notre adorable Sauveur
nous fait une obligation de toutes ces œuvres de charité, s'il refusera
un jour le ciel à ceux qui les auront
omises, s'il les repoussera loin de lui avec indignation, en leur disant
: « Retirez-vous, maudits, j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à
manger, j'étais nu et vous ne m'avez pas couvert, malade, prisonnier, et
vous ne m'avez pas visité » pouvons-nous croire qu'il ne nous fasse pas
également une obligation de la charité envers les morts, et qu'il
verrait avec une moindre indignation notre dureté envers des âmes qui lui sont d'autant plus chères que les mérites de sa rédemption n'ont pas été perdus pour elles, qu'elles sont le prix de son sang, et que son divin cœur brûle du désir de sécher leurs larmes et de partager avec elles son éternel héritage.
Notre adorable Sauveur nous a donné lui-même l'exemple de la charité envers les fidèles défunts. En effet, nous lisons dans le saint Evangile que l'âme de Jésus, aussitôt qu'elle fut séparée de son corps, descendit aux enfers, c'est-à-dire dans le lieu où les âmes des justes morts dans le cours des siècles qui avaient précédé son avénement, attendaient qu'il vint leur rouvrir les portes du ciel qui avaient été fermées par le péché
d'Adam. Ce fut comme consolateur, comme libérateur, que Jésus descendit
aux limbes pour consoler tous les saints de l'Ancien Testament, qui soupiraient avec tant d'impatience après la venue du Sauveur d'Israël, et pour mettre un terme à leur longue captivité.
Imitons notre divin modèle en nous efforçant de consoler, par tous les moyens en notre pouvoir, les âmes souffrantes de nos frères décédés. Nous pouvons exercer envers ces saintes âmes toutes les œuvres de miséricorde, ne négligeons-donc pas de le faire.
Elles ont faim, elles ont soif de Dieu ; nous pouvons, par nos prières,
par nos aumônes offertes à Dieu en leur faveur, obtenir que leur faim
soit rassasiée, que leur soif soit étanchée. Par l'offrande du saint sacrifice de la Messe nous pouvons les couvrir comme d'un riche vêtement des mérites de Jésus-Christ. En proie sur leur lit de flammes à des souffrances bien plus cruelles que celles des plus terribles maladies, nous pouvons les consoler, les soulager par des œuvres
satisfactoires offertes à Dieu pour elles. Enfin, prisonnières de la
justice divine, nous pouvons par la charité, par la prière, devenir leur
libérateur, briser leurs chaînes et mettre un terme à leur douloureuse
captivité.
Mais si c'est un devoir de charité de prier en général pour toutes les âmes des fidèles
trépassés, c'est un devoir de justice de prier plus encore pour nos
parents et nos bienfaiteurs. Enfants qui avez perdu votre père, votre
mère, n'oubliez pas que si la mort a rompu les liens naturels qui vous
unissaient à eux, Dieu ne Tous relève pas pour cela de la loi par
laquelle il fait aux enfants un devoir sacré de l'amour et de
l'assistance des parents. Ne soyez donc pas ingrats envers eux, souvenez-vous de tout ce qu'ils ont fait pour vous, de tout ce que vous
leur devez, et soyez empressés et heureux de pouvoir maintenant
acquitter envers eux la dette de reconnaissance que vous leur devez.
Songez
aux peines, aux douleurs que vous avez coûtées à votre mère, aux soins
si tendres, si empressés dont elle a entouré votre débile enfance, aux
larmes dont elle a tant de fois arrosé votre berceau ; que les vôtres
coulent maintenant pour elle devant le Seigneur
; qu'elles fléchissent sa justice, et que votre amour filial, plus fort
que la mort s'élance au delà de la tombe pour consoler et secourir
cette mère qui fut pour vous si tendre et si dévouée.
Vous
qui jouissez d'une brillante fortune, ou d'une honnête aisance,
souvenez-vous que vous la devez aux longs labeurs, à la prévoyante
tendresse de ce bon père qui, pour vous assurer un avenir tranquille,
s'est condamné à une vie de travail, de fatigues et peut-être de
privations. Pour vous il s'est oublié, il a fait abnégation de lui-même ;
les biens dont vous jouissez sont le fruit de ses veilles, de ses sueurs, de ses sacrifices. Et maintenant qu'il est dénué de tout, qu'il est souffrant, exilé du ciel sa patrie, serez-vous ingrat envers lui ? Refuserez-vous de lui faire une faible part des biens qu'il vous a si péniblement acquis en la versant en son nom dans le sein des membres souffrants de Jésus-Christ, afin que la voix de leurs prières, toute-puissante sur le cœur de Dieu , plaide sa cause et lui offre vos aumônes pour sa rançon.
Songez encore que si vous avez eu le bonheur de recevoir une éducation chrétienne, des principes de foi et de piété qui sont le fondement
et la garantie de votre bonheur à venir, c'est à vos parents que vous
êtes, après Dieu, redevables de cet inestimable bienfait. N'est-ce pas
sur les genoux de votre mère que s'est élevé vers le ciel le premier acte d'amour que son cœur dictait au vôtre pour le Dieu
qu'elle s'efforçait de vous faire connaître et aimer ? N'est-ce pas sa
main maternelle qui prenant votre main si débile, si faible encore, la
conduisait pour former sur vous pour la première fois lesigne
sacré de la croix ? N'est-ce pas elle, enfin, qui vous apprit encore à
bégayer, pour la première fois, les noms de Jésus et de Marie ?
Souvenez-vous de la sollicitude de cette mère si pieuse pour vous aider à
conserver le trésor précieux de votre innocence, pour vous préserver des dangers
sans nombre qui menaçaient votre inexpérience et votre faible vertu.
N'oubliez pas, enfin, les sages conseils de votre père, les exemples de
foi et de piété que vous en avez reçus, et puisqu'ils ont pris tant de
soins et de peines pour assurer votre bonheur éternel, pourriez-vous
n'avoir aucun souci, ne vous donner aucune peine pour assurer le leur et hâter le moment où ils recevront la récompense de ce qu'ils ont fait pour vous.
Enfin, pensez encore que ces âmes,
qui doivent vous être si chères, souffrent peut-être à cause de vous,
peut-être pour vous avoir trop aimé, pour avoir été trop indulgents pour
vous, pour avoir sacrifié leurs intérêts spirituels à vos intérêts
temporels. N'est-ce donc pas un devoir, et un devoir de stricte justice,
de les aider à obtenir le pardon de ces fautes, qui ont été commises par un excès d'amour pour vous, et si vous négligiez de le remplir,
croyez que Dieu ne verrait pas sans indignation votre indifférence et
votre ingratitude, et qu'il saurait aussi vous les faire expier un jour.
PRIÈRE.
Vous le savez,
ô mon Dieu, il n'est pas éteint dans mon cœur l'amour si profond et si
tendre que vous m'aviez donné pour les auteurs de mes jours ; leur
souvenir est toujours vivant, et ce cœur n'a pas perdu la mémoire de
leurs bienfaits. La perte de ces êtres chéris , vous le savez , ô mon Dieu, a fait à mon âme une plaie profonde, douloureuse, et que le temps
n'a pu guérir. Elle a voué ma vie au deuil et aux regrets. Mes larmes
ne peuvent pas ranimer la poussière de ceux que j'ai aimés, pas plus que
mes regrets ne peuvent les rendre à mon amour ; mais soumis et résigné à
votre volonté , qui a voulu cette séparation, les pleurs que je verse à
vos pieds peuvent devenir le prix de
leur rançon. Acceptez-les, Seigneur, comme un sacrifice d'agréable
odeur, comme un gage de mon entière soumission à votre adorable volonté.
Daignez, ô Marie, ma tendre mère, mêler à mes larmes une de celles que
vous avez versées au pied de la croix de votre divin Fils, et obtenez
qu'elles descendent comme une rosée rafraîchissante sur ces âmes qui
me sont si chères et que je confie avec une entière confiance à la
sollicitude de votre cœur maternel. Ayez-en pitié, ô Marie, priez pour
elles, et qu'elles vous doivent bientôt la fin de leurs peines et
l'entrée du ciel. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
I.
Gerson, chancelier de l'Université de Paris, aussi illustre par ses
vertus que par son éloquence, rapporte dans un de ses ouvrages (Quecrela
defunctorum) qu'une pauvre mère, oubliée depuis longtemps par son
enfant, reçut de Dieu la permission de lui apparaître pour en
solliciter des prières : « Mon fils, »
lui dit-elle, mon cher fils ; ah ! pensez un peu à votre mère qui
souffre, considérez les supplices au milieu desquels la justice de Dieu
me fait expier les fautes de ma vie mortelle ; considerez ce feu
terrible dont les flammes dévorent votre pauvre mère. S'il est vrai que
vous m'aimiez, hâtez-vous de venir à mon secours ; à mon lit de mort,
vous me témoigniez tant de reconnaissance, tant d'affection ; vous me
faisiez de si belles promesses ! Comment cet amour s'est-il si vite
éteint ? Ai-je cessé d'être votre mère ? Avez vous cessé d'être mon fils
? Comment donc consentez-vous à me laisser languir dans cet étang de
feu ? Entendez mes gémissements, compatissez aux douleurs de votre mère
; du fond de ma prison ardente, je vous
en conjure, mon fils, ayez pitié de moi. Si vous ne pensez point à me
soulager à qui pourrais-je recourir ? »
II. On lit dans la vie de sainte Elisabeth, fille du roi
de Hongrie, qu'elle avait une grande dévotion pour les morts. Elle ne
se lassait pas de donner de l'argent pour faire enterrer honorablement
les pauvres, les ensevelissait de ses mains pures, les accompagnait
jusqu'à la tombe et priait pour eux.
Mais son zèle redoublait lorsqu'il s'agissait des personnes de sa propre famille. Lorsque sa mère, Gertrude, reine de Hongrie, mourut, elle joignit des mortifications quotidiennes, des aumônes abondantes à ses prières.
Malgré cela , sa mère lui apparut, vêtue de deuil, le visage
triste, abattu, suppliant. Elle se mit à genoux devant elle, lui disant
: « Ma fille, vous avez à vos pieds votre mère accablée de douleur ; je
viens vous conjurer de ne point vous lasser d'implorer pour moi la
clémence de Dieu, j'endure des tourments épouvantables ; au nom des angoisses, des fatigues, des soins que votre enfance et votre éducation m'ont coûtés, retirez-moi des supplices. »
Sainte
Elisabeth, émue, attendrie, tout hors d'elle-même, recommence à
pleurer, à s'humilier, à se mortifier. Au souvenir de l'image de sa mère
qui souffre et qui l'appelle, elle ne voulait plus se donner de repos ;
elle chassait le sommeil, elle
n'interrompait plus ses oraisons et ses macérations, lorsqu'enfin sa
mère revint à elle une seconde fois, mais alors rayonnante, joyeuse,
revêtue d'habits somptueux et blancs, la bénissant, la remerciant de lui
avoir ouvert les portes du paradis.
(Les saintes Ames du Purg. connues, aimées et soulagées, par un religieux de N.-D. de la Trappe.)
PRATIQUE.
Se soumettre à la volonté de Dieu à la mort des personnes
qui vous sont chères ; modérer votre douleur, pour vous efforcer d'être
utile à ceux que vous aimez par vos prières et votre résignation.
XIIe JOUR
Votifs qui doivent nous engager à secourir les âmes du purgatoire.
Premier motif : la gloire de Dieu.
Le zèle de votre maison me dévore.
1er Point. Après avoir jusqu'à présent considéré la nature, la rigueur, la durée des souffrances du purgatoire, après avoir vu quelles étaient les âmes qui
les enduraient, après avoir pour ainsi dire entendu leurs voix
suppliantes nous demander de les secourir, nous allons, dans les
chapitres suivants, parcourir quelques-uns des principaux motifs qui doivent nous engager à le faire,
et nous verrons ensuite quels sont les moyens que Dieu, dans son
infinie miséricorde, nous a donnés pour atteindre ce but.
Le premier motif qui doit nous engager à hâter par tous les moyens en notre pouvoir la délivrance des saintes âmes du purgatoire est la gloire qui en reviendra à Dieu. Une âme qui aime véritablement le Seigneur ne saurait être indifférente à ce qui peut lui plaire et le glorifier. Elle oublie ses propres intérêts pour ne songer qu'à la gloire et au bon plaisir de celui qu'elle aime. Le règne de Dieu dans toutes les âmes, sa volonté en toutes choses, son honneur et sa gloire avant tout : voilà le but que se propose l'âme dont l'amour pour Dieu est réel ; voilà le motif
qui seul règle ses pensées, ses désirs, ses paroles et ses actions. La
devise de saint Ignace est la sienne : Tout à la plus grande gloire de
Dieu.
Cette âme ne se trouve pas seulement honorée, mais elle est heureuse de se sentir chargée des intérêts de Dieu et de pouvoir le glorifier,
non pas, il est vrai, de cette gloire essentielle que Dieu trouve en
lui-même dans son essence, dans sa connaissance, dans la jouissance de
ses perfections infinies et de ses divins attributs, gloire qu'aucune
créature ne peut lui ravir ni augmenter, mais de cette gloire extérieure
et secondaire qu'il retire des louanges, des actions de grâces et surtout des vertus et de l'amour de ses créatures.
Or
plus une âme est fidèle, plus elle se rapproche de Dieu par la
sainteté, par la pureté de ses intentions, par la ferveur et la
perfection avec laquelle elle fait ses moindres actions, plus aussi elle
glorifie Dieu et lui est agréable. Elle ne le glorifie pas seulement par les adorations et les actions de grâces qu'elle lui offre sans cesse dans le secret de son cœur, mais elle le glorifie aussi aux yeux des créatures par l'exemple de ses vertus et de la fidélité avec laquelle elle observe sa loi.
Mais la gloire que l'homme peut rendre à Dieu sur la terre n'approche pas de celle que les élus lui rendent dans le ciel. Purs de toutes fautes, exempts des moindres
souillures, confirmés en grâces, et pour jamais à l'abri de
l'inconstance et de la faiblesse de la nature humaine, auxquels ils ont
été sujets comme nous ; les saints ont avec Dieu une ressemblance qui ne
peut pas se comparer à celle que nous pouvons avoir ici-bas. Unis à lui par
l'union béatifique, vivant de sa vie, aimant de son amour, leur esprit,
leur volonté, leur cœur, tout est perdu, absorbé en Dieu, et ils se
sentent dans l'heureuse impuissance de s'occuper d'autre chose que de
lui, de vouloir autre chose que ce qu'il veut, d'aimer d'autres objets
que lui, et par cette divine transformation en l'objet de leur amour,
nos frères du ciel deviennent plus aptes à
glorifier Dieu ; leurs louanges, leurs adorations, et les cantiques
d'actions de grâces, de joie et d'amour, dont ils font sans cesse
retentir les voûtes de la sainte Sion, proclament et proclameront
éternellement les grandeurs, la puissance et l'infinie miséricorde de
celui par qui ils ont vaincu le monde, le démon, triomphé d'eux-mêmes et des penchants d'une nature corrompue., de celui enfin qui, couronnant leurs vertus, couronne ses propres dons.
Il
nous est aisé de comprendre, d'après ce que nous venons de dire, que
plus il y a d'élus au ciel, plus Dieu est glorifié, plus il a de
véritables adorateurs, et que l'éternel concert de louanges des anges et des saints
en son honneur est d'autant plus digne de lui, qu'un plus grand nombre
de voix s'y unissent et viennent augmenter les suaves et célestes
harmonies. D'où nous devons conclure qu'en avançant la délivrance des saintes âmes du purgatoire, en leur ouvrant les portes du ciel, nous procurons réellement la gloire de Dieu.
Les âmes du purgatoire sont
saintes ; mais nous l'avons dit, la nuit où l'on ne peut plus agir est
descendue sur elles, et enveloppées de ses ombres épaisses, elles sont
désormais dans l'impuissance de glorifier Dieu par leurs œuvres, elles
ne peuvent plus le glorifier
que par leur amour et leur entière soumission à son adorable volonté ;
mais cette gloire est bien moins parfaite que celle qu'elles sont
destinées à lui rendre dans le ciel, et c'est là surtout ce qui fait désirer avec tant d'ardeur à ces saintes captives le moment de leur délivrance.
IIe Point. Ce moment, il est vrai, arrivera infailliblement pour elles ; quelque longue que soit leur expiation elle aura un terme, et le jour
viendra où rien ne s'opposant plus à leur éternelle union avec Dieu,
elles verront s'ouvrir devant elles les portes de leur triste prison ;
mais si nous aimons Dieu, si nous désirons le glorifier et le voir glorifié par toutes ses créatures, quel bonheur, quelle consolation pour nous de penser que nous pouvons, en hâtant le moment de leur délivrance, envoyer au ciel des âmes qui, pendant des jours, des mois, des années peut-être, le glorifieront
en quelque sorte, en notre nom, en faisant dans cet heureux séjour
d'une manière parfaite ce que nous ne pouvons faire ici-bas que d'une
manière si imparfaite.
Et quand par nos prières, par nos bonnes œuvres, nous n'avancerions que d'une année, que d'un mois, que d'un jour, et même que d'une heure le bonheur d'une de ces saintes âmes, quelle joie pour nous de penser que pendant cette année, ce mois,
ce jour, cette heure, Dieu recevra par cette âme plus de gloire que
nous ne lui en aurons peut-être procuré pendant notre vie tout entière.
Que sera-ce donc si nous avançons le bonheur de ces âmes si
chères au Seigneur, non pas d'une année, mais d'un siècle et peut-être
plus, si par notre charité, notre dévouement, nous devenons vraiment les
libérateurs de ces saintes captives ? Ah ! comprenons-le bien, en leur ouvrant le ciel, nous donnons à Dieu des voix pour le louer, pour le bénir, nous lui donnons des âmes qui vont se consumer au pied du trône de son éternité dans les ardeurs d'un amour si pur, si parfait et si grand, qu'il ne nous est pas même donné de le comprendre dans le lieu de notre exil.
Parmi les âmes du purgatoire, il y en a de si riches en vertus et en mérites, que leur place dans le ciel est marquée parmi le chœur bridant des Séraphins,
et quand elles occuperont ces places, une seule d'entre elles rendra
plus de gloire à Dieu que ne lui en rendront plusieurs élus réunis dont
les vertus ont été moins parfaites et les mérites moins grands. Quel
honneur pour nous, quelle ravissante pensée que celle qui nous fait
espérer de pouvoir donner au ciel un Séraphin de plus, ne fût-ce qu'un
jour, qu'une heure plus tôt. Nous n'avons pas, il est vrai, la
jouissance de connaître pendant notre vie le résultat
de nos prières ; mais qu'importe, puisque c'est la gloire de Dieu
seulement que nous devons chercher, et non pas notre satisfaction
personnelle ; et puis Dieu n'oublie rien ; un jour il nous fera
connaître ce qu'il nous cache aujourd'hui, et en nous le faisant connaître il nous accordera la récompense de notre charité.
Si, comme le dit Bossuet, Dieu met sa gloire à nous combler de ses dons, il est glorifié en accordant aux saintes âmes du purgatoire le plus grand de tous, l'éternelle possession de lui-même. Aimer Dieu, le posséder, jouir de lui éternellement, tel a été le but de notre création, et le Seigneur dans son infinie charité veut que tous les hommes sortis de ses
mains retournent à lui pour partager sa gloire et sa félicité en vivant
de sa vie, qui est l'amour. Un bien grand nombre, hélas ! ne
correspondent pas à ses miséricordieux desseins et manquent le but qu'il s'est proposé en les créant ; mais les âmes du purgatoire ont atteint ce but, elles sont élues, et en leur facilitant l'entrée du ciel nous coopérons à l'achèvement de leur élection, à la grande œuvre de la gloire de Dieu.
Dieu
se plaît surtout à nous manifester son amour et sa miséricorde ; les
prodiges de grâces dont il sème les voies de l'homme proclament la
tendresse et la bonté de son cœur. Lorsqu'il pardonne au pécheur, il se
glorifie lui-même, car il rend la vie à une âme qui l'avait perdue par le péché ; de chacune de ces âmes qu'il ressuscite ainsi à la vie de la grâce, il se tresse une couronne, dit un pieux auteur ; elles sont comme Jérusalem, image du juste, autant de perles ajoutées à son sceptre.
Lors donc que par nos prières et nos œuvres satisfactoires nous ménageons à Dieu les éléments du pardon en faveur des âmes du purgatoire, nous lui donnons l'occasion de faire éclater les attributs qui sont sa gloire, d'abolir jusqu'aux derniers vestiges du péché, qui lui ravit les âmes, et d'établir sur des créatures qu'il chérit son règne éternel. Vis-à-vis de ces saintes âmes Dieu se trouve dans une sorte de contrainte, car il ne se plaît pas, dit le Sage, au malheur de ses créatures ; mais sa justice a des lois qu'il ne peut enfreindre, car il est l'ordre parfait. Ainsi, tandis que son amour attire ces saintes âmes, sa justice les repousse. Celui qui, en satisfaisant pour elles contente la justice divine, donne en quelque sorte à Dieu le pouvoir de contenter son amour.
En
exerçant sa miséricorde Dieu se glorifie bien davantage qu'en exerçant
sa justice, parce que, en nous châtiant, il nous laisse ce que nous
sommes, enfants de colère, pécheurs, débiteurs souillés et insolvables.
Au contraire, lorsqu'il nous pardonne et qu'il daigne nous réconcilier
avec lui, il nous rend ses enfants, ses amis, les cohéritiers de son
divin Fils, les citoyens du ciel ; c'est à ce bonheur que les saintes âmes du purgatoire aspirent,
et c'est aussi ce que nous devons nous efforcer de leur procurer, si
nous avons à cœur les intérêts de la gloire de Dieu.
Souvenons-nous qu'en hâtant par nos prières la délivrance de ces âmes souffrantes, non-seulement nous glorifions Dieu, mais nous réjouissons le ciel
tout entier. L'entrée d'un nouvel élu dans cette belle patrie est une
fête de famille pour tous ses heureux habitants ; chacun d'eux
l'accueille et le félicite avec une joie
fraternelle. Les anges prennent part à l'allégresse universelle, ils
entounent de nouvelles hymnes à la gloire de l'Agneau divin dont le sang a réconcilié le ciel avec la terre et dont la grâce victorieuse de la faiblesse humaine élève les fils d'Adam sur les trônes des anges déchus. Marie voit avec bonheur s'augmenter le nombre des élus, elle reconnaît dans chacun d'eux le prix du sang
de son divin Fils et de ses douleurs au pied de la croix, et son cœur
maternel tressaille d'une sainte allégresse en s'unissant à Jésus pour
poser sur leurs fronts la couronne de gloire et d'immortalité promise
aux vainqueurs.
PRIÈRE.
Dieu de bonté, vous dont l'amour est infini, glorifiez-vous, nous vous en supplions, en exerçant envers les saintes âmes du purgatoire votre miséricorde, le plus beau comme le plus doux de vos attributs. Ecoutez, Seigneur, les supplications que votre Eglise ne cesse de vous adresser en faveur de ces âmes souffrantes ; permettez que nous y joignions nos humbles prières, nos œuvres satisfactoires, et que, malgré l'immensité des dettes que nous avons nous-mêmes contractées envers votre justice, nous vous offrions le peu
que nous pouvons faire pour l'acquit de celles de nos frères. Oubliez,
Seigneur les droits de votre justice pour ne vous souvenir que de ceux
de votre miséricorde ; exercez-la dans toute son étendue sur ces âmes qui
vous sont si chères, et puisque vous ne les frappez qu'à regret,
laissez-vous fléchir, donnez un libre cours à votre amour, ouvrez-leur
votre sein paternel, et permettez-leur d'aller enfin vous glorifier
dans le ciel par leurs actions de grâces et leurs éternelles louanges. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Le nom du Père
Jean-Eusèbe Nieremberg (1) est fort connu par les ouvrages de piété
qu'il a publiés. On ne sait pas aussi bien peut-être à quel point il
portait la dévotion aux âmes du purgatoire.
(1) Ce père de la société de.Jésus était espagnol et vécut de 1590 à 1668. (Trad.)
«
Il y avait à la cour de Madrid, parmi ses pénitentes, une dame noble
que sa direction sage et expérimentée avait conduite à une haute
perfection au milieu du monde. Cette dame, d'une faible complexion, tomba dangereusement malade. Avertie du péril, elle en témoigna un profond chagrin, non seulement à cause des œuvres utiles qu'elle avait entreprises et qu'il fallait abandonner, mais aussi par la crainte du purgatoire, où elle prévoyait être retenue par la justice divine. Le Père
Eusèbe employa toutes les industries de sa charité pour lui inspirer de
la confiance et de la soumission à la volonté de Dieu, et voulait lui
administrer les derniers sacrements pour la fortifier dans ses combats ;
mais elle différait de jour en jour, jusqu'à ce qu'elle tomba dans une
sorte de léthargie et privée de connaissance. Alarmé à la pensée qu'une
personne qui avait donné de si saints exemples peut expirer sans avoir
reçu en pleine liberté d'esprit les secours de l'Eglise, le confesseur se retira dans une chapelle voisine. Il y offrit le saint sacrifice avec une grande ferveur, conjurant le Seigneur
d'accorder à la malade la grâce de se reconnaître et de recevoir les
sacrements ; il s'offrit à la justice divine pour souffrir lui-même dans
cette vie les tourments qui lui étaient réservés en purgatoire, afin
que, délivrée de cette appréhension, elle se résignât plus facilement à
mourir. Dieu exauça une si charitable prière : La Messe était à peine
achevée que la mourante reprit connaissance, demanda elle-même les
sacrements et les reçut avec la plus édifiante ferveur ; en entendant le Père Eusèbe l'assurer qu'elle ne devait plus craindre le purgatoire, elle se soumit à la mort, et expira dans la plus parfaite tranquillité. 0n vit bien que la prière du bon
religieux avait été doublement exaucée ; car à partir de cet instant,
et pendant seize ans qu'il vécut encore, son existence ne fut plus qu'un
long et rigoureux martyre ; aucun remède ne pouvait soulager ses
douleurs, et il n'avait d'autre adoucissement que le souvenir de la généreuse cause pour laquelle il les endurait. » (Les Merveilles divines dans les âmes du purgatoire, par le II. P. Rossignoli, de la compagnie de Jésus.)
PRATIQUE,
0ffrir aujourd'hui quelques mortifications en faveur des âmes du purgatoire, dans l'intention de glorifier Dieu en hâtant leur délivrance.
XIIIe JOUR
Second motif. L'amour que N.-S. a pour les âmes du purgatoire.
Tout ce que Vous ferez pour le plus petit des miens, je le regarderai comme fait à moi-même.
Ier Point. La foi nous apprend que c'est l'amour que le Fils de Dieu a pour l'homme, qui l'a attiré du ciel
sur la terre, qui l'a porté à épouser la nature humaine, à s'assujétir à
toutes ses faiblesses, à toutes ses misères, pour réhabiliter sa
créature déchue et lui rendre ses droits à l'héritage éternel. Oui,
c'est par amour pour nous que le Verbe du Père, des splendeurs de sa gloire, s'est abaissé jusque dans le sein de Marie, que celui dont la naissance est éternelle est né dans le temps, que celui dont la lumière est le vêtement et dont le trône est porté sur les ailes des séraphins, a été couvert de pauvres langes et couché dans une crèche. C'est par amour enfin que celui qui est la joie du ciel
s'est rassasié sur la terre de l'amertume de nos larmes, qu'il y a vécu
dans la pauvreté, l'humiliation, la souffrance, qu'il est mort dans
l'ignominie et les douleurs du plus affreux supplice.
Toute
la vie de notre adorable Sauveur n'a été qu'un long acte de dévouement
et d'amour pour l'homme. Personne n'a été exclu de ce divin
amour, justes et pécheurs ; Jésus a ouvert à tous les entrailles de sa
charité, et chacun de nous peut répéter après le grand Apotre : « IL m'a aimé et s'est livré pour moi. » C'est là une vérité de foi ; mais si le cœur de Jésus brûle pour tous les hommes des flammes
de la plus ardente charité, s'il aime avec une inexprimable tendresse
les justes de la terre, malgré les faiblesses auxquelles ils sont encore
sujets, malgré les fautes dont ils se rendent encore coupables, s'il
les aime à cause du faible retour dont
ils paient son amour, s'il aime même les plus grands pécheurs, malgré
les outrages dont ils ne cessent de l'abreuver parce qu'il espère
toujours pouvoir les sauver ; de quel amour ne doit-il donc pas aimer
les saintes âmes du purgatoire, qui
l'aiment avec tant d'ardeur, qui ne peuvent plus l'offenser, et qu'il
regarde avec une indicible joie comme une conquête assurée que l'enfer
ne peut plus lui ravir ?
Dans ces âmes élues, Jésus voit le prix de ses souffrances et de son sang, elles lui appartiennent, elles sont à lui pour jamais, et son cœur divin brûle du désir de les faire jouir du fruit
de sa rédemption en les rendant participantes de sa gloire et de son
bonheur. Bien plus, ce cœur si aimant, si compatissant et si tendre
souffre, en quelque sorte de leurs souffrances, et il se fait violence
pour ne pas y mettre un terme ; mais sa justice retient les brûlantes
effusions de son amour, et il désire que nous fassions ce qu'elle le met,
si je puis ainsi m'exprimer, dans l'impuisance de faire lui-même, en
nous rendant les médiateurs, les intercesseurs de nos frères auprès de
lui.
Oui, la justice lie les mains de notre adorable Sauveur. Il ne pourrait délivrer de leurs peines ces âmes qui lui sont si chères qu'en leur ouvrant le trésor de sa grâce ; mais, hélas ! le temps est passé pour elles, puisqu'elles ont quitté la vie, qui seule est le temps du mérite. Il ne peut pas davantage les mettre en possession des trésors de sa gloire, le temps d'en jouir n'est pas encore arrivé pour elles, et il n'arrivera que lorsqu'elles ne conserveront plus la moindre trace du péché.
C'est
donc entre nos mains que Jésus dépose à la fois les droits de sa
justice et les intérêts de son amour ; voudrions-nous que l'espèce de
confiance qu'il met en nous soit déçue, et nous qui implorons si souvent
son secours, serions-nous sourds à la voix de son divin cœur qui nous
crie : « Ayez pitié de ces âmes qui me sont si chères, de ces âmes pour lesquelles j'ai versé tout mon sang et enduré une mort si cruelle. Vous pouvez, si vous le voulez,
hâter mon éternelle union avec elles ; souvenez-vous que pour leur
acquérir l'héritage dont elles doivent bientôt prendre possession, j'ai
travaillé pendant trente-trois ans et dépensé pour elles comme pour vous
tous les trésors de ma grâce et de mon amour, épuisant tout le sang
de mes veines et leur sacrifiant tout, jusqu'à ma vie. Ah ! elles aussi
sont mon héritage, et cet héritage dont je ne puis jouir encore je l'ai
acheté si cher. Hélas ! les restes du péché dont ces âmes portent
encore les traces, élèvent entre elles et moi une barrière que ma
sainteté et ma justice m'empêchent de franchir. Ayez donc pitié d'elles,
et comblez les vœux les plus ardents de mon cœur, en renversant par vos
prières et vos bonnes œuvres la barrière qui nous sépare. Hâtez, hâtez le moment où il me sera donné de jouir de la conquête de mon sang et de mon amour. »
Qui
de nous pourrait rester insensible à la prière d'un père, d'une mère,
nous redemandant l'enfant qu'il serait en notre pouvoir de lui rendre ?
Reculerions-nous devant quelques légers sacrifices qu'il faudrait nous
imposer pour essuyer les larmes de ce père ou de cette mère, et ramener
son enfant dans ses bras ? Ah ! loin de là, ces sacrifices deviendraient
pour nous une jouissance à la seule pensée de leur résultat. Pourquoi
donc ne ferions nous pas pour contenter les désirs du cœur
de notre adorable Sauveur ce que nous ferions pour un de nos frères ?
L'amour d'un père, d'une mère pour leur unique enfant, n'approche pas de
celui que Jésus éprouve pour les saintes âmes du purgatoire, et le désir
qu'il ressent de les recevoir dans sa gloire et de s'unir pour jamais à
elles, surpasse en vivacité et en ardeur ceux qu'éprouve la plus
tendre des mères, dans l'attente du moment qui doit lui rendre le fils dont elle est séparée depuis de longues années. Ah ! loin d'être insensibles à ce désir du cœur si aimant et si tendre de notre bien-aimé Sauveur, estimonsnous heureux qu'il soit en notre pouvoir de le satisfaire,
n'épargnons rien pour atteindre ce but, et bénissons l'ingénieux amour
de Jésus, qui veut bien devoir quelque chose à ceux qui lui doivent
tout.
IIe Point. Nous admirons la générosité de ces héroïques religieux qui se vouent à la rédemption des captifs, et qui, au péril de leur vie, vont à travers mille fatigues et mille dangers briser leurs fers et les arracher des mains des infidèles. Notre cœur s'émeut, nos yeux se mouillent de douces larmes au récit de leur charité, de leur dévouement pour ces infortunés, et le plus
pauvre d'entre nous tiendrait à honneur de s'y associer en déposant
entre leurs mains l'aumône de son indigence, aumône qui servirait à
payer la rançon de nos frères captifs et à leur rendre la liberté.
-
Mais il est une autre rédemption plus sainte, plus admirable encore, à
laquelle nous pouvons avoir la gloire de nous associer : c'est à celle du fils de Dieu lui-même. Arrachés nous-mêmes par le Rédempteur à l'esclavage du démon,
à la tyrannie de cet odieux et implacable tyran, nous pouvons témoigner
notre reconnaissance à celui auquel nous devons tout, et faire une
œuvre qui comblera de joie son divin cœur, en devenant à notre tour et
en union avec lui les rédempteurs des saintes âmes du purgatoire. Notre
cœur doit bondir de joie à cette pensée, car c'est là une œuvre bien
plus noble, bien plus sainte, et par là même bien plus agréable à Dieu,
que celle de rendre à des captifs une liberté temporelle.
Oh ! qui ne tiendra à honneur de devenir, je ne dis pas seulement l'imitateur, mais le coopérateur
de Jésus-Christ dans une œuvre si excellente. Par ses souffrances et
par sa mort, cet adorable Sauveur a délivré l'homme du péché ; par nos suffrages nous effaçons les souillures, les taches que les restes du péché ont laissées dans ces saintes âmes. Jésus-Christ
a sauvé l'homme de la peine éternelle qui lui était due, et nous, par
nos souffrances, par nos œuvres satisfactoires, nous pouvons payer la
peine temporelle que la justice divine exige des âmes du purgatoire. Enfin Jésus-Christ, par son dernier soupir : a rouvert aux enfants d'Adam les portes du ciel qui leur
étaient fermées, il leur a rendu la grâce et l'amitié de Dieu, et nous
par nos prières nous pouvons mettre ces saintes captives en possession
de ce beau royaume, où le Rédempteur a marqué leur place, où il est impatient de les voir arriver.
Qu'il est grand, qu'il est sublime le ministère de charité, que nous pouvons, si nous le voulons remplir en faveur des saintes âmes du purgatoire,
puisqu'il nous est donné de pouvoir mettre un terme à leurs cruelles
souffrances, rompre les liens de feu qui les retiennent loin de Dieu, et
leur ouvrir les portes de leur éternelle et bienheureuse patrie ! Si le Sauveur
a promis de si magnifiques récompenses à toutes les œuvres de charité
accomplies pour son amour, s'il ouvrira tous les trésors de sa
miséricorde à ces hommes généreux qui n'ont reculé devant aucun
sacrifice, traversé les mers et bravé tous les périls pour délivrer
leurs frères des mains des infidèles,
pour les arracher à un dur esclavage et leur rendre les biens les plus
chers au cœur de l'homme, la liberté, la patrie, la famille, quelles
seront donc les récompenses qu'il accordera à ces âmes généreuses qui ne traversent pas seulement les mers, mais qui franchissent par la charité l'espace qui sépare le temps de l'éternité, qui descendent par leur dévouement jusque dans les prisons brûlantes du purgatoire, pour arracher à sa justice les âmes qu'elle y retient captives, et rendre à ces âmes si douloureusement châtiées les seuls biens véritables, ceux que Jésus leur a achetés au prix de tout son sang, la liberté des enfants de Dieu, le ciel, leur éternelle patrie, leur admission dans la grande famille des élus.
Oui, n'en doutons pas, la récompense que Jésus accordera un jour à leur
charité sera d'autant plus grande, que l'objet de cette charité aura
été plus excellent et qu'elle aura été plus pure, plus élevée, plus
dégagée des sens.
Les yeux et le cœur de notre divin Sauveur sont sans cesse attachés sur les saintes âmes du purgatoire.
Loin de les oublier, de les délaisser dans leurs souffrances, on peut
dire qu'il souffre en quelque sorte en elles. Il souffre comme
Rédempteur dans ces âmes qu'il a rachetées ; comme père, comme époux, dans des filles et des épouses
bien-aimées ; comme chef dans les membres de son corps mystique. Aussi,
son cœur adorable, tout brûlant d'amour pour elles, tout rempli d'un
ardent désir de leur délivrance, ne cesse de nous répéter ce qu'il
disait autrefois à ses disciples en leur parlant des pauvres : « Tout ce que vous ferez pour la moindre d'entre elles, je le regarderai
comme fait à moi-même, et il nous récompensera un jour comme si
lui-même eût été dans la souffrance, et que nos suffrages l'en eussent
délivré. Quel puissant motif pour exciter notre zèle pour une œuvre si
grande, si sainte en elle-même, et qu'il nous est si facile d'accomplir !
En effet, pour venir au secours des âmes du purgatoire Dieu ne demande pas de nous des efforts et des sacrifices
héroïques ; il ne s'agit ni de nous expatrier, ni de sacrifier nos
biens, ni d'exposer notre vie ; Dieu se contente de bien peu, offrons
pour elles quelques prières, quelques aumônes ; appliquons-leur le mérite des souffrances, des petites épreuves journalières, et sa justice se tiendra pour satisfaite. Personne ne peut s'excuser de ne pouvoir accomplir des actes de charité si simples et si
faciles. Quand il s'agit d'aumônes, les pauvres peuvent alléguer leur
indigence pour s'en dispenser ; quand il s'agit de pénitence,
d'austérités, les personnes faibles, infirmes, peuvent également
apporter pour excuses leurs faiblesses et leurs infirmités. D'autres,
engagées dans les embarras du commerce, occupées des soins
d'une nombreuse famille, diront avec raison qu'elles ne peuvent passer
de longues heures à l'église et donner beaucoup de temps à l'oraison ;
mais quel est celui d'entre nous qui n'est pas assez riche pour faire
aux saintes âmes du purgatoire l'aumône
de quelques courtes, mais ferventes prières adressées à Dieu en leur
faveur ? Quel est celui qui n'a pas assez de forces pour lui offrir à la
même intention ses souffrances, ses contrariétés, la piqûre de ces
mille petites épines qui nous blessent si souvent dans le cours d'une journée ? quelle est enfin la personne, quelque occupée qu'elle soit, qui ne puisse de temps en temps, pendant le jour, élever son cœur à Dieu et lui offrir en faveur de ces âmes souffrantes
les peines, les ennuis de sa position, et jusqu'à l'accomplissement de
devoirs qui sont parfois pénibles, et qu'il coûte tant de remplir. Ah !
la bonté de Dieu a mis à la disposition de tous des trésors dont nous n'apprécions pas assez le prix et qu'il ne tient qu'à nous de faire servir d'abord à notre sanctification, puis au soulagement des âmes du purgatoire. Ne refusons donc pas d'en user en leur faveur.
PRIÈRE.
Soyez béni, ô mon adorable Sauveur, d'avoir daigné
mettre à notre disposition un moyen si facile de contenter votre divin
cœur ; qu'il est doux, qu'il est consolant pour l'âme qui vous aime de
penser qu'elle peut satisfaire les désirs si brûlants d'amour de votre
divin cœur en exerçant la charité en faveur des âmes qui lui sont si chères ! Ah ! si pour satisfaire un de vos désirs, ô mon Jésus, il fallait entreprendre des choses
pénibles et difficiles, il me semble que l'espoir de vous contenter
nous ferait renverser tous les obstacles, surmonter toutes les
difficultés. Comment donc pourrions-nous nous excuser auprès de vous si
nous négligions une œuvre de charité qui ne nous demande aucun effort et
ne présente aucune difficulté ? Non, non, ô mon Jésus, nous ne la
négligerons pas, nous nous souviendrons de l'amour que vous avez pour
les saintes âmes du purgatoire, du désir
que vous avez qu'on satisfasse pour elles à votre justice, et heureux
que vous ne dédaigniez pas de vous associer en quelque sorte à la grande
œuvre de notre réparation, nous serons désormais tout pleins de
dévouement pour ces âmes si aimées de
votre divin cœur, et nous n'épargnerons rien pour leur venir en aide et
pour hâter l'heureux moment de leur éternelle union avec vous. Ainsi
soit-il.
EXEMPLE.
Chacun sait combien sainte Thérèse aimait à prier pour les âmes du purgatoire. Elle raconte elle-même que le Seigneur lui fit connaître avec quelle bonté il recevait les prières qu'elle lui adressait en leur faveur.
Le jour de la Commémoration des morts elle en récitait l'office ; l'ennemi des hommes et de Dieu voulut par divers prestiges la distraire ; mais la sainte, s'armant de foi et de courage, le mit en fuite. A peine fut-elle délivrée de sa présence qu'elle vit des âmes sortir triomphantes du purgatoire en grand nombre,
La
sainte avait reçu d'un seigneur, don Bernardin de Mendoza, une maison
et un beau jardin, pour fonder à Valladolid un monastère en l'honneur de
la sainte Vierge. Elle avait été appelée par lui pour qu'elle
travaillât aussitôt à réaliser cette fondation, ayant une sorte de
pressentiment de ce qui devait lui ariver.
En
effet, il fut surpris par la mort et n'eut pas même la faculté de
recevoir les derniers sacrements. Attérée par cette nouvelle, la sainte
s'empressa de prier pour l'âme de son bienfaiteur. Notre-Seigneur lui
fit connaître que la charité du défunt et
l'intervention de sa sainte Mère lui avaient valu la grâce d'une
contrition parfaite, qui l'avait délivré de l'enfer, mais qu'il ne
sortirait du purgatoire que le jour où l'on célébrerait la première messe de communauté dans le nouvel établissement.
Cette
révélation ne laissa plus de repos à sainte Thérèse jusqu'à ce qu'elle
eût pu se rendre sur les lieux et faire travailler par elle-même à
l'érection de la chapelle.
Toutefois,
un surcroît d'affaires entravant son zèle, Notre-Seigneur lui apparut
de nouveau. « Hâte-toi, » lui dit-il, car cette âme souffre beaucoup.
Aussilôt elle douna ses ordres ; mais les travaux n'avançaient pas à son
gré. Alors elle dressa un oratoire provisoire, et, dès qu'il fut suffisamment décent, elle fit célébrer les saints mystères.
Au moment de la communion, elle vit l'âme du défunt, radieuse, venir la remercier et s'envoler, brillante comme un soleil, vers le séjour de la gloire. Inondée de joie et de bonheur, la sainte exhala sa reconnaissance envers le Seigneur, dont la bonté est ineffable pour ses élus."
(Œuvre de la Sainte-Fondation.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui ont été le plus dévouées au cœur adorable de Jésus, et dont il désire le plus la délivrance.
XIVe JOUR
Troisième motif. L'amour et la compassion de Marie pour les saintes âmes du purgatoire.
Et Jésus dit à sa mère : Femme voilà votre fils, et il dit au disciple : Voilà votre mère.
Ier Point. Près de consommer le sacrifice qui réconciliait le ciel avec la terre, le Rédempteur, au milieu des horreurs de son douloureux abandon, des angoisses
de sa cruelle agonie, abaissa son œil mourant au pied de sa croix, et,
s'adressant à sa mère, il lui dit, en lui désignant du regard le disciple
qu'il aimait : « Femme, voilà votre fils, » et il dit au disciple : «
Voilà votre mère. » Dans ce moment solennel, Jésus ne pense pas
seulement à donner un appui, un second fils à sa mère bien-aimée, et une
mère à son disciple privilégié ; ses vues sont plus larges, plus
étendues, et son cœur, toujours généreux, toujours plein d'amour et de
dévouement pour nous, croit pour ainsi dire ne nous avoir rien donné
tant qu'il lui reste quelque chose dont il ne nous a pas fait don. Saint
Jean au pied de la croix est la personnification de l'humanité tout
entière , et c'est à tous les enfants de la grande famille humaine que
Jésus donne. Marie pour mère ; c'est à cette mère si tendre, si dévouée,
qu'il les confie et qu'il semble dire : Aimez-les comme vous m'avez
aimé.
Au milieu des angoisses et des déchirements de son cœur maternel, Marie accepta le legs de son Fils ; elle le comprit, et entrant généreusement dans ses vues, dans ses desseins, elle ouvrit son cœur immaculé à chacun des membres
de la grande famille que Jésus lui donnait, et nous adopta tous pour
enfants au pied de cette croix sanglante où agonisait le fruit béni de ses chastes entrailles ; elle vit chacune de nos âmes couverte
et comme empourprée de ce sang adorable de la Rédemption que Jésus
avait puisé dans ses veines, et dont les dernières gouttes s'échappaient
lentement de ses veines épuisées, et elle voua à toutes en général, et à
chacune en particulier, un amour de mère et un dévouement sans bornes.
A ces paroles : « Femme, voilà votre fils, » Jésus avait attaché la grâce et la puissance d'opérer dans le cœur
de sa mère ce qu'il voulait qu'elles y opérassent, et elles avaient
créé dans ce cœur maternel brisé, broyé par une incommensurable douleur,
de nouvelles et immenses puissances d'amour, elles l'avaient rendu
assez vaste, assez large, pour donner à chacun de nous ce qu'il voulait
qu'il nous donnât. En un mot, elles avaient versé en lui des trésors
de tendresse, de compassion, d'indulgence, de dévouement,
incomparablement plus grands que ceux que la nature renferme dans le cœur des mères pour leurs enfants.
Dix-huit
siècles ont passé sur ce jour où la mère d'un Dieu devint la mère de
l'homme, et chacun d'eux a proclamé que Marie n'avait jamais failli à
la mission maternelle qu'elle avait acceptée sur le Calvaire.
Les générations ont succédé aux générations en publiant tour à tour les
bienfaits, l'inépuisable amour de cette incomparable mère. Oui, Marie a
compati à toutes les douleurs de ses enfants, sa main maternelle s'est
plu à essuyer toutes leurs larmes, et jamais son oreille n'a été sourde à
leurs plaintes, à leurs soupirs, aux cris d'angoisse que leurs cœurs
affligés ont fait monter vers elle. Prêtons l'oreille et écoutons, nous
entendrons s'élever de toutes parts un concert de louanges et de
bénédictions envers la meilleure et la plus compatissante des mères. Quand il s'agit de Marie, la reconnaissance dilate tous les cœurs, délie toutes les langues, et la voix des malades qu'elle a guéris, des mères qui lui doivent la conservation de leurs enfants, des navigateurs qu'elle a sauvés du naufrage, des pécheurs
qu'elle a ramenés à Dieu, s'unissent tous pour la bénir et lui payer
l'humble tribut de la reconnaissance et de l'amour.
Si
Marie se montre véritablement notre Mère, si nous la trouvons si
constamment sensible à nos douleurs, et toujours prête à nous assister
dans tous nos besoins spirituels et temporels, pourrions-nous croire,
sans lui faire injure, que son amour et son dévouement pour ses enfants
ne s'étendent pas au delà des bornes de cette courte vie, et qu'elle les oublie et les délaisse alors qu'ils ont le plus
besoin de son secours et de ses maternelles consolations ? Ah ! si nous
voyons les mères de la terre conservant toujours vivant au fond de leur
cœur le souvenir des enfants que la mort a ravis à leur tendresse, arroser de leurs larmes la tombe qui recouvre leur dépouille mortelle et se plaire à l'entourer encore des témoignages de leurs regrets et de leur amour, comment supposer que l'amour de notre Mère du ciel soit moins constant, moins dévoué que celui des mères de la terre, et qu'il ne suive pas au delà de la tombe ceux qu'elle a aimés et protégés pendant le cours de leur pelèrinage ici-bas.
Ce sont nos âmes qui
sont chères à Marie, ce sont elles que Jésus a confiées à sa
sollicitude, c'est pour elles que sa voix mourante a réclamé son
maternel amour. Marie, pendant leur séjour sur la terre, est pour elles le canal
de toutes les grâces, de toutes les miséricordes divines. Elle n'oublie
rien, elle met tout en œuvre pour contribuer à leur sanctification, à
leur salut, et quand ces âmes sont entrées dans leur éternité, quand elles sont tombées sous le domaine
de la justice de Dieu, ne pensons pas qu'elle les oublie et les
délaisse. C'est alors, c'est lorsqu'elle voit la main de ce Dieu vengeur
s'appesantir sur les objets de sa tendresse que son amour semble
redoubler, prendre de nouvelles forces, et son dévouement met tout en
œuvre pour les soulager et pour hâter le moment de leur délivrance.
IIe Point. Lorsqu'une mère voit un de ses enfants en proie à de violentes souffrances, ou gémissant sous le poids
d'une grande affliction, tout l'amour de son cœur semble se concentrer
sur lui. Pour lui elle garde ses plus tendres caresses, ses plus doux
sourires, ses plus affectueuses paroles. On la voit en quelque sorte
plus souffrante, plus affligée que celui qu'elle aime veiller sur lui
avec une infatiguable sollicitude, l'entourer de ses soins, prévenir ses moindres
besoins, et ne plus s'occuper que de lui comme si l'enfant qui souffre
lui était plus cher que ceux qui se portent bien. Il en est de même de
Marie. Les douleurs, la profonde affliction des âmes du purgatoire émeuvent
son cœur et semblent les lui rendre plus chères ; non contente de
plaider leur cause auprès de son divin Fils, de l'intercéder en leur
faveur, elle descend elle-même dans leurs brûlantes prisons pour les
consoler par sa céleste présence, par ses douces paroles, et les
encourager dans leurs souffrances par l'espérance d'une prochaine
délivrance. Ah ! si parmi ces saintes âmes il en est qui sont oubliées, délaissées de tout le monde,
si leur souvenir sur la terre est effacé de tous les cœurs, il en est
un au ciel qui ne les oublie pas, c'est celui de la Mère que Jésus leur a
donnée sur le Calvaire ; ce cœur-là ne
sait ni oublier ni délaisser ses enfants, et quand il voit l'abandon de
tous peser sur eux et agraver encore leurs tourments, touché d'une
immense et maternelle pitié, il redouble les efforts de sa tendresse et
de son dévouement pour adoucir leurs peines et verser sur ces âmes délaissées le baume divin de l'espérance.
0ui, Marie compatit avec un cœur de mere à toutes les souffrances des âmes du purgatoire, mais
elle compatit surtout à celle que leur cause la privation de Dieu.
Cette peine, elle la connaît en quelque sorte par expérience, non
qu'elle ait jamais eu à subir les expiations du purgatoire ; le dire, lepenser
même serait un blasphème. Celle qui a toujours été immaculée, sans
tache et toute pure, n'avait rien à expier, et les flammes Vengeresses
de la justice de Dieu se fussent reculées et ouvertes devant son âme
bénie, comme autrefois les eaux du Jourdain s'ouvrirent devant l'arche du Seigneur. Mais je dis que Marie connaît par expérience le tourment
que cause à une âme brûlante d'amour la privation de Dieu, parce
qu'elle a aimé Jésus, dans lequel elle aimait à la fois et son Fils et
son Dieu, non-seulement plus que toutes les âmes du purgatoire, mais plus que tous les anges, tous les saints du ciel
ne pourront jamais l'aimer, et que pendant les années qui suivirent
l'Ascension, Marie ne fit plus que languir sur la terre, sa vie ne fut
plus qu'un long martyr d'amour et une continuelle aspiration vers le ciel.
Si les douleurs qu'on a souffertes soi-même sont celles qu'on plaint le plus dans les autres, et qu'on se sent le plus porté à soulager, jugeons combien Marie doit éprouver de pitié, de tendre compassion pour ces âmes dont l'amour est le plus cruel tourment et qui soupirent avec une si vive ardeur après le moment qui les mettra pour jamais en possession de Dieu, et combien elle-même désire voir finir ce tourment.
Et puis si nos âmes sont le prix du sang de Jésus, elles sont aussi celui des douleurs et des larmes de Marie, c'est là un double titre à son amour, et on peut dire sans crainte de se tromper, que si la passion dominante du cœur adorable de Jésus est la soif du salut des âmes, elle est également celle du cœur immaculé de Marie, qui a aimé les âmes jusqu'à leur sacrifier son Fils unique et bien-aimé ; mais si Marie a pour toutes, même pour celle des pécheurs, l'amour, la sollicitude, le dévouement d'une mère, si pendant le cours de notre vie, elle est, si je puis ainsi m'exprimer, dans une sorte d'inquiétude et d'angoisses, si elle tremble à la vue de notre faiblesse et des périls
qui nous environnent de toutes parts comme une mère tremble à la vue
d'un danger qui menace ses enfants, si enfin elle craint sans cesse de
nous voir échapper à l'amour de son divin Fils et au sien, elle est
rassurée sur le sort éternel des saintes âmes du purgatoire, et
elle les aime d'autant plus qu'elle a la certitude qu'elles seront
éternellement à Jésus et à elle ; mais de même qu'une mère qui,
longtemps séparée de ses enfants et qui au moment de les revoir, de les
presser sur son cœur, apprendrait qu'ils ont été à peu de distance
d'elle emprisonnés pour dettes, éprouverait une douleur proportionnée à
l'amour qu'elle a pour eux et au désir qu'elle éprouve de leur être
réunie et n'oublierait rien pour les libérer ; de même, dis-je, notre
divine Mère souffre en sentant ses enfants prisonniers pour dettes de la
justice divine, et elle désire ardemment les voir libérés et libres de
prendre leur essor vers elle.
Mais on m'objectera peut-être que s'il en est ainsi, Marie étant toute-puissante sur le cœur de son divin Fils, peut aisément obtenir la délivrance de ces âmes qui lui sont si chères. A cela nous répondrons d'abord que le nombre des âmes du purgatoire qui
doivent leur délivrance à cette tendre Mère est incalculable, qu'il
n'est pas de jour où les portes de leur prison ne s'ouvrent pour
plusieurs d'entre elles, au nom de Marie. C'est aussi une pieuse
croyance que tous les samedis et le jour de ses fêtes, cette bonne mère descend dans les prisons de la justice divine pour en retirer un grand nombre d'âmes dont elle a obtenu la grâce, heureuse d'emmener ses enfants avec elle pour les associer aux joies de la fête de famille que le ciel
comme la terre célèbre en son honneur. Cependant nous devons dire aussi
que si Marie aime la miséricorde de Dieu, elle aime également sa
justice ; tous ses attributs lui son chers, elle sait que la miséricorde
doit parfois avoir des bornes, et que la justice a des droits qui doivent être respectés, et elle les respecte. Ainsi il y a dans le purgatoire une multitude d'âmes qui, par une protection spéciale de Marie, sont revenues à Dieu au moment de leur mort et lui ont dù leur salut. Ces âmes avaient passé leur vie dans le péché,
dans l'oubli de Dieu, dans l'omission de tous leurs devoirs religieux,
nécessairement leur expiation doit être et plus longue et plus
rigoureuse que celle des âmes justes qui
n'ont à expier que quelques légères fautes inhérentes à la faiblesse
humaine, et Marie, malgré son amour de mère, ne peut pas faire pour les
premières ce qu'elle fait pour celles-là. Par sa toute puissante
protection elles ont échappé à l'enfer, c'est une immense grâce ; mais
elles ne doivent pas échapper à l'expiation, et Marie la leur laisse
subir. La dette de ces pauvres âmes est bien grande et notre Mère du ciel
émue pour elles d'une tendre compassion, désire que ses enfants de la
terre la partagent et s'efforcent de satisfaire pour leurs frères et de
payer à la justice divine une partie de la dette qu'ils ont contractée
envers elle.
Satisfaire un des désirs du cœur immaculé de notre divine Mère doit être pour nous un puissant motif de redoubler de zèle et de charité pour les âmes de nos frères défunts, car qu'y a-t-il de plus doux pour des enfants bien nés, que de réjouir le cœur d'une mère chérie et de contribuer à hâter le moment où les enfants dont elle désire le bonheur avec autant d'ardeur qu'elle désire le nôtre,
seront rendus à son amour. Estimons-nous donc heureux d'avoir un moyen
si facile de lui prouver notre reconnaissance, notre amour, notre
dévouement filial, et soyons convaincus que Marie comme Jésus, regarde
comme fait à elle-même ce que l'on fait pour ses enfants.
PRIÈRE.
0
Marie ! vierge toute pleine de miséricorde, de tendresse et de
clémence, vous que nous ne connaissons que par les bienfaits que vous ne
cessez de répandre sur nous, vous enfin dont le cœur
tout brûlant de charité est toujours ému de compassion à la vue de nos
douleurs, toujours touché de nos larmes et prêt à les essuyer, souffrez
que ce soit dans votre cœur de mère que nous déposions nos vœux et nos
prières pour les âmes souffrantes du purgatoire,
présentées par vous, offertes par vos mains à votre divin Fils, elles
ne sauraient être rejetées. Il les exaucera si vous daignez y ajouter le mérite de quelques-unes des larmes que vous avez versées sur le Calvaire,
plus que tout ce que nous pourrions lui offrir cette offrande satisfera
sa justice, elle la désarmera et en obtiendra ce que nous désirons,
comme vous le désirez vous-même, la délivrance des âmes qui vous ont été les plus dévouées, et qui vous sont les plus chères, le soulagement de celles dont l'expiation est la plus douloureuse et doit être la plus longue. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
On
lit dans la vie de sœur Catherine de Saint Augustin, qu'elle avait
donné quelque temps ses soins à une pauvre fille, qui était dans un état
déplorable, et selon le corps et selon
l'esprit. Après avoir mené une vie licencieuse et scandaleuse, Dieu
l'avait frappée d'une maladie honteuse, qui la rendait un objet de
dégoût et de mépris pour tout le monde.
L'infection qu'elle répandait autour d'elle était telle que ses voisines
l'avaient obligée d'aller chercher un gîte dans une vieille masure
isolée ; son caractère était si méchant et si acariâtre, que personne ne
lui eût fourni aucun secours, si sœur Catherine, surmontant le dégoût qu'elle lui inspirait, n'était venue comme un ange du ciel, lui apporter de quoi sustanter sa malheureuse existence. Toutefois ses services n'étaient payés que par des injures et des sarcasmes. Lorsque la sœur lui parlait de Dieu, l'infâme créature ne lui répondait que par des blasphèmes.
L'infortunée se trouva subitement appelée au tribunal de Dieu.
En
présence de l'éternité, un sentiment de désespoir allait s'emparer de
son âme ; mais, ô prodige de l'ineffable condescendance d'un Dieu
d'amour ! elle se souvient de quelques paroles de piété qu'elle avait
ouïes jadis, et, s'adressant à la sainte Vierge, elle lui dit : « 0
vous, qui n'abandonnez pas même ceux que tout le monde repousse, mère de Dieu, venez à mon secours ; si vous me délaissez, je suis perdue. »
Et Marie, à la voix de la pécheresse, se manifeste à elle, lui fait produire des actes de contrition et emmène son âme dans le purgatoire.
Le lendemain, on trouve le cadavre
hideux étendu par terre, et tous s'écrient qu'elle est réprouvée. Sœur
Catherine elle-même en était si convaincue, qu'elle l'effaça de son
souvenir. Cependant, longtemps après, étant en oraison, elle s'entend
appeler. Elle écoute ; la voix lui disait : « Comment, vous qui priez
pour tout le monde, m'oubliez-vous ? Ehl quoi, s'écrie la sainte, vous, vous, au purgatoire ? » L'âme lui raconte le miracle
de salut qui s'était opéré en elle à son agonie, la conjurant de se
rendre à ses prières, car elle souffrait horriblement et souffrirait
bien longtemps si elle la délaissait.
Sœur Catherine eut recours à Marie, qui l'avait délivrée de l'enfer pour la délivrer du purgatoire. (S. Alphonse De Liguori, Salve Regina.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui ont été le plus dévouées à Marie, et dont elle désire le plus vivement la délivrance.
XVe JOUR
Quatrième motif. Notre intérêt personnel.
Ier Point. Quoique
la charité doive être pure et désintéressée dans ses motifs, il ne nous
est pas défendu cependant d'avoir aussi en vue votre intérêt spirituel,
et nous devons même chercher à enrichir notre âme et à assurer son
salut par tous les moyens en notre pouvoir. 0r, entre tous les moyens
que la bonté de Dieu a mis à notre disposition, je dis que la charité
envers les âmes du purgatoire est un des plus
efficaces, et que cette charité que nous exerçons envers elle nous est
utile à nous-même et a pour nous d'immenses avantages.
Le premier de ces avantages est qu'en vertu de la communion des saints, les âmes du purgatoire peuvent nous faire participer aux mérites qu'elles ont acquis pendant leur vie. Les mérites des saints sont, nous le savons,
la récompense due aux bonnes œuvres qu'ils ont faites dans la grâce de
Dieu, et conformément à son adorable volonté ; la partie satisfactoire
et déprécatoire de ces mérites est surabondante en beaucoup de saints,
et c'est cette surabondance qui est reversible, et qui, unie aux mérites
infinis du Sauveur, entre dans le trésor où l'Eglise, notre mère, puise sans cesse sans l'épuiser jamais, pour suppléer à l'indigence spirituelle d'un grand nombre de ses enfants.
Les
mérites de Jésus-Christ sont à eux seuls, il est vrai, suffisants pour
nous enrichir tous, puisqu'ils sont infinis. Il est également vrai que
les mérites des saints et les nôtres
puisent toute leur valeur à cette source divine ; mais, dit un pieux
auteur, « Dieu, selon l'expression sublime de Poëleman, ramasse les
miettes qui tombent de la table mystique de sa famille, pour ne pas les
laisser périr, et soit par condescendance pour nous, soit pour glorifier
son fils, il réunit nos mérites à ses mérites pour en composer le trésor incomparable de l'Eglise, et le partager entre ceux de ses enfants qui en ont besoin (1)(1) Un religieux de N.-D. de la Trappe. »
Qui
n'admirerait ici l'ineffable bonté de notre Père céleste et l'admirable
économie de sa divine miséricorde, qui établit entre ses nombreux
enfants des rapports si doux de
fraternité qui les lient les uns aux autres, et qui veut que tout soit
commun entre eux, les biens comme les peines, afin qu'ils accomplissent
ce précepte du grand Apôtre : « Portez les fardeaux les uns des autres. »
Or, parmi les âmes souffrantes du purgatoire, plusieurs, quoique passant pour un temps par le creuset
de l'expiation, ont acquis beaucoup plus de mérites qu'il ne leur en
fallait pour assurer leur salut. Mais pourquoi, dira-t-on peut-être, des âmes si saintes et si riches se trouvent-elles en purgatoire ?
Parce que, répondrons-nous, Dieu nous juge tels que nous sommes au
moment de la mort, et qu'alors, comme pendant notre vie, l'abondance et
même la surabondance des mérites ne nous dispense en aucune manière de la satisfaction exigée pour une faute actuelle, ainsi les âmes dont nous parlons ont porté au tribunal de Dieu quelques légères fautes que la mort ne leur laisse pas le temps d'expier, et ces fautes, quelque légères qu'elles aient été, leur ont fermé momentanément les portes du ciel, et les retiennent dans le lieu de l'expiation jusqu'à ce qu'elles en soient entièrement purifiées.
Ces saintes âmes, que la justice de Dieu retient ainsi loin de lui, ne perdent rien des mérites qu'elles ont acquis sur la terre ; ils sont entrés dans le trésor
de l'Eglise, et comme nous l'avons dit, sont reversibles sur ceux de
ses enfants qui en ont besoin, et si nous aidons ces saintes âmes par
nos prières et nos bonnes œuvres, elles peuvent à leur tour nous
témoigner leur reconnaissance et nous aider, en obtenant de Dieu que la
surabondance de leurs mérites nous soit appliquée.
Comme les saints glorifiés, les âmes du purgatoire ne peuvent plus mériter ; mais comme eux elles ont le pouvoir de faire valoir les mérites acquis pendant leur vie en notre faveur. Saint Chrysostome le prouve
en disant : « Les élus présentent au Seigneur » leurs membres mutilés,
leurs corps meurtris pour la défense de la foi, leurs mascérations,
leurs jeûnes, etc., etc., et deviennent tout-puissants devant le roi des cieux.
De
même qu'un vieux soldat qui, pour obtenir un grade de son prince, lui
montre son corps écharpé, les nombreuses blessures reçues à son service,
sûr de voir sa requête favorablement accueillie. Saint Augustin, saint Jérôme s'expriment comme saint Chrysostome, d'où nous pouvons conclure que les âmes du purgatoire étant saintes comme celles qui jouissent de la gloire du ciel,
peuvent prier comme elle, quoique leur bonheur soit encore différé, et
comme elles, elles peuvent être exaucées en vertu de leurs mérites
antécédents.
L'expiation que subissent ces saintes âmes n'ôte rien à l'amour que Dieu a pour elles, elle ne diminuera en aucune manière la gloire dont elles jouiront dans le ciel,
car si la justice divine exige son paiement jusqu'à la dernière obole,
elle paiera également et avec une incomparable libéralité, tout ce
qu'elle a bien voulu promettre aux moindres bonnes œuvres faites en état
de grâce.
IIe Point. Il y a dans le purgatoire, comme nous venons de le dire, des âmes bien riches en vertu, bien riches en mérites ; il y en a même qui, en quittant le lieu de l'expiation, iront prendre place parmi le chœur des brûlants séraphins. L'amour que ces saintes âmes ont pour Dieu est si vif, le désir
qu'elles éprouvent de s'unir à lui si ardent, que pour prix de leur
délivrance, elles céderaient volontiers tous ces mérites, fruits de
leurs labeurs et de leurs peines. Elles ne peuvent pas en être
dépouillées ; mais avec quelle reconnaissance ne demanderont-elles pas à
Dieu d'en appliquer la surabondance à ceux qui par leur prière ou leurs
œuvres satisfactoires auront hâté le moment de leur délivrance.
Et Dieu, qui aime ces saintes âmes plus
encore qu'elles ne l'aiment elles-mêmes, qui désire leur délivrance
avec une ardeur qui surpasse la leur, s'associera en quelque sorte à
leur reconnaissance, et se plaira à exaucer les prières qu'elles lui
offriront en faveur de leur bienfaiteur. Lorsqu'un bon père voit un de
ses enfants malade et en proie à de cruelles souffrances, si cet enfant
lui adresse une prière en faveur de ses frères, qui se pressent autour
de son lit de douleur, l'entourant à l'envi des témoignages de leur compatissante affection en s'efforçant de le soulager,
ce père, dans la crainte de contrister par un refus son enfant qui
souffre, lui accordera tout ce qu'il lui demande, alors même que ses
autres enfants lui auraient donné quelques sujets de plaintes et qu'il
ne se sentit pas disposé dans le moment à leur accorder aucune faveur. De même Dieu, touché des souffrances de ces saintes âmes, qu'il
ne châtie qu'à regret, ne les contristera pas par un refus, il se
plaira au contraire à leur prouver qu'elles n'ont rien perdu de son
amour en exauçant les prières qu'elles lui adressent en faveur de ceux
de leurs frères qui, touchés de leurs souffrances, s'efforcent de les
soulager, et il leur accordera ce qu'elles lui demandent pour eux,
nonobstant leur indignité et leurs infidélités personnelles.
Dieu, dit un pieux auteur, le leur
doit en quelque sorte afin de montrer qu'il les châtie parce qu'il est
juste, qu'il les exauce parce qu'il est bon ; comme une consolation,
pour leur prouver qu'elles ont à sa tendresse les mêmes titres que tous
ses enfants, comme un bien commun. Notre-Seigneur ayant promis d'ouvrir à
ceux qui frapperaient à là porte de sa miséricorde, si les âmes du purgatoire étaient seules exceptées de cette promesse générale, elles seraient traitées en enfants déshérités.
Nous avons donc plus à espérer, il semble, des âmes souffrantes que des saints déjà glorifiés, parce que notre charité leur est avantageuse, et que les saints n'en ont plus besoin dans le ciel (1). (1) Un religieux de N.-D. de la Trappe.
Il est encore de notre intérêt d'exercer la miséricorde envers les âmes souffrantes du purgatoire, si
nous voulons qu'on l'exerce un jour envers nous. Notre adorable Sauveur
ne nous dit-il pas, dans l'Evangile, que nous serons traités comme nous
aurons traité nos frères, qu'on se servira envers nous de la même
mesure dont nous nous serons servi envers eux. Donc, si nous avons
exercé la charité envers ces saintes âmes, on l'exercera un jour envers nous ; si nous avons été compatissants pour leurs souffrances, on le sera pour les nôtres ; miséricordieux pour elles, on le sera
également pour nous, si nous avons été généreux envers elles jusqu'à
leur céder les œuvres satisfactoires qui nous étaient nécessaires à
nous-mêmes pour expier nos propres fautes, d'autres exerceront un jour
envers nous la même générosité, et nous ferons la même cession. Et quand
encore, après notre mort, nous serions oubliés, délaissés de tous,
quand bien même personne ne se souviendrait plus de nous sur la terre,
Dieu, dont la justice ne laisse rien sans récompense, se souviendrait de
la charité dont nous aurons usé envers nos frères souffrants, il nous
donnerait alors une part plus abondante aux suffrages que l'Eglise lui
adresse chaque jour pour tous ses enfants décédés, il nous appliquerait
soit quelques-unes des messes, soit les indulgences qui lui sont si souvent offertes en faveur d'âmes auxquelles elles ne sont plus applicables et qui n'en ont plus besoin.
Mais, si au contraire nous n'exerçons pas la charité envers ces saintes âmes, craignons
qu'un jour on ne l'exerce pas envers nous, ou plutôt soyons certains
que si nous les oublions, Dieu permettra qu'on nous oublie ; si nous les
délaissons, il permettra qu'on vous délaisse. Si nous ne prions pas
pour elles, que nous soyons sans compassion pour ieurs souffrances, il
permettra également qu'on ne prie pas pour nous et qu'on soit sans pitié
pour nos douleurs. Et quand encore il n'en serait pas ainsi, quand nos
parents et nos amis ne nous oublieraient pas, Dieu, par un juste
châtiment de notre dureté envers nos frères, n'exaucerait pas les
prières qui lui seraient adressées en notre faveur, et il nous
laisserait payer jusqu'à la dernière obole la dette peut-être bien
grande que nous avons contractée envers son inexorable justice.
N'oublions
donc pas que nous aurons un jour, et peut-être bientôt besoin qu'on
exerce envers nous la charité que nous pouvons maintenant exercer pour
les autres. Nous sommes aujourd'hui pleins de force, de santé, de vie,
nous nous promettons encore un long avenir ; et demain peut-être on nous
cherchera en vain sur la terre, déjà la mort nous aura saisis de sa
main glacée et jetés dans les profondeurs de l'éternité, et cela sans
que nous ayons eu le temps de
satisfaire à la justice de Dieu et de faire une pénitence suffisante
pour l'expiation de nos péchés. Et quel est celui d'entre nous, alors
même qu'il ne serait pas surpris par la mort, qui oserait se
flatter d'être assez pur pour ne pas avoir à redouter les douloureuses
expiations du purgatoire ? Hélas ! pour
être passif de ces peines si redoutables, songeons qu'il ne faut être
coupable que de quelques légères fautes. Ainsi, un léger sentiment
d'impatience, une distraction volontaire dans la prière, une pensée
d'amour-propre, de vanité, une parole peu charitable pour le prochain, toutes ces mille petites fautes qu'on se pardonne si facilement et qu'on s'habitue bien à tort à regarder comme des riens, seront cependant suffisantes pour nous fermer les portes du ciel,
si notre âme s'en trouve souillée au moment de notre mort, et
nécessiteront une expiation plus ou moins longue dans les flammes
brûlantes du purgatoire. Il est donc de notre intérêt, et de notre intérêt le plus
cher, d'user maintenant envers les autres de la charité dont nous
désirons qu'on use alors envers nous, et d'exercer largement la
miséricorde envers les saintes âmes du purgatoire, afin que celle de Dieu descende un jour sur nous dans toute son étendue.
PRIÈRE.
Comment pourrais-je, ô mon Dieu, ne pas exercer la miséricorde envers des âmes qui vous sont si chères, puisque j'ai tant besoin que vous l'exerciez envers moi. Ah! Seigneur, je le sais, j'ai tout à craindre de votre justice, et je puis dire avec le saint roi pénitent : Si vous tenez, ô mon Dieu, un compte exact des iniquités, qui pourra subsister devant vous ? Je le confesse en gémissant, mes fautes sont grandes, elles sont innombrables ; j'ai péché par
mes pensées, par mes paroles, par mes actions ; j'ai accumulé iniquité
sur iniquité, faute sur faute, et je n'ai pas encore songé, Seigneur, à
fléchir votre justice et à en faire une pénitence proportionnée à leur
grandeur et à leur nombre. Mon repentir est profond, il est sincère, et
j'espère, ô mon Dieu, que vous m'accorderez le pardon de tant d'offenses puisque vous avez promis de ne pas rejeter le cœur
contrit et humilié ; mais je sais que si vous me remettez la peine
éternelle due à mes fautes, vous ne me remettez pas la peine temporelle
qui leur est encore due, et que votre justice exige que je la subisse,
soit dans ce monde par les souffrances volontaire, soit dans le purgatoire par une pénitence que vous m'imposerez vous-même. Hélas ! Seigneur, je le sens,
je m'épargne trop moi-même, et ma lâcheté est si grande que je suis
bien loin de vous offrir une satisfaction proportionnée à mes fautes et
que je n'ose me flatter d'éviter les terribles expiations du purgatoire ; mais je puis mériter par la charité que je veux exercer envers les saintes âmes qui
les subissent maintenant, qu'elles soient un jour abrégées pour moi, et
désormais je ne négligerai rien pour fléchir votre justice en leur
faveur ; je serai charitable, généreux et miséricordieux pour elles,
comme je souhaite qu'on le soit plus tard pour moi. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
«
Dans ma jeunesse, dit saint Grégoire dans ses Dialogues, avant
d'embrasser la vie religieuse, j'ai souvent entendu faire l'éloge des vertus de Paschase, diacre de l'Eglise romaine. Des personnes très honorables et qui l'ont parfaitement connu nous le dépeignaient comme un homme d'une admirable sainteté, tout entier aux œuvres de la charité, vrai père des pauvres et d'une abnégation absolue.
Le souverain Pontife étant mort, les suffrages des fidèles
se partagèrent entre Symmaque et Laurent. Paschase prit parti pour
celui-ci : cependant Symmaque fut élu pape à l'unanimité par les évêques
et le peuple. Paschase se soumit mais sa
soumission fut imparfaite, car il garda pour son ami une affection trop
sensible. Les saints ont aussi leurs défauts. Il mourut sous le pontificat de Symmaque, et pendant la cérémonie des obsèques un possédé fut délivré miraculeusement par le seul attouchement de sa dalmatique.
Longtemps
après, saint Germain, évêque de Capoue, allant dans les Abruzzes faire
une saison d'eaux thermales, quel ne fut pas son étonnement de voir
soudain le saint diacre qu'il avait
toujours vénéré lui apparaître triste, abattu, souffrant. Tout hors de
lui-même, il lui demanda comment un homme tel que lui se trouvait en cet
état ? Paschase lui répondit : Je suis envoyé ici pour faire pénitence
et pour expier mon affection excessive envers Laurent ; mais je vous en
conjure, ayez pitié de moi et priez pour moi. Si vous ne me voyez plus
revenir ici, ce sera une preuve que vous avez été exaucé.
En effet le saint évêque pria avec ferveur et ne le revit plus, d'où il conclut qu'il avait été admis dans la goire. {Les saintes Ames du purg.connues, aimées et soulagées, par un religieux de N.-D. dela Trappe.)
PRATIQUE.
Nous exciter à la charité envers les saintes âmes du purgatoire en
pensant que Dieu permettra que la mesure de ce que nous aurons fait
pour elles soit la mesure de ce que l'on fera un jour pour nous.
XVIe JOUR
Des moyens de soulager les âmes du purgatoire.
Premier moyen : la Prière.
Premier moyen : la Prière.
Tout ce que vous demanderai à mon Père en mon nom il vous l'accordera.
ler Point. Après
avoir considéré dans les chapitres précédents quels étaient les motifs
qui devaient nous engager à exercer la miséricorde envers les saintes âmes du purgatoire, nous allons maintenant nous occuper des moyens les plus efficaces que la bonté de Dieu a mis en notre pouvoir pour les soulager. Le premier de ces moyens est la prière, et celui-là est à la portée de tous, des pauvres comme des riches, des faibles comme des forts ; personne ne peut alléguer de motifs raisonnables pour s'en dispenser. Quand il s'agit de l'aumône, du jeûne,
de la pénitence, l'un peut alléguer son indigence, l'autre la faiblesse
de sa santé et ses infirmités ; mais quel est celui d'entre nous qui
n'est pas assez riche pour faire aux âmes du purgatoire l'aumône
d'une prière ? Quel est celui qui est trop faible, trop infirme pour ne
pas pouvoir élever son cœur vers Dieu et lui demander d'avoir pitié de
ses frères souffrants et de leur faire miséricorde ? Tous le peuvent, et la mauvaise volonté seule ou une coupable indifférence empêchent de remplir un devoir si si facile et si doux.
Il y a, nous le savons, des esprits
orgueilleux ou impies qui désapprouvent la prière pour les morts,
couvrant leur dureté, d'un prétexte spécieux qu'il est facile de
réfuter. Quand Dieu, disent-ils, condamne une âme aux peines du purgatoire, ou il ignore le temps qu'elle doit y rester, ou il le sait ; dire qu'il l'ignore serait une impiété et un blasphème, et puisqu'il le sait,
à quoi serviront nos prières ? ne seraient-elles pas insensées puisque
nous demanderions à Dieu, qui est immuable par nature, de changer des décisions qui sont irrévocables : d'où ils concluent qu'il ne faut jamais prier pour les morts.
Une telle doctrine n'est pas seulement cruelle, puisqu'elle ne tend à rien moins qu'à priver les saintes âmes du purgatoire du soulagement
que nous pouvons leur donner ; mais elle est en opposition formelle au
précepte de Jésus-Christ, qui a dit : « Demandez, c'est-à-dire priez, et
on vous donnera, elle est contraire à l'enseignement et à la pratique
de l'Eglise, qui prie tous les jours pour ses enfants décédés, et qui
nous engage à prier également tous les jours pour le repos éternel de ceux que nous avons perdus.
Du reste, il est facile de démontrer la fausseté du raisonnement que nous avons cité, et nous allons le faire brièvement.
Quand Dieu condamne une âme aux peines du purgatoire, il examine dans sa justice ce qu'elle lui doit encore de réparation pour les fautes qu'elle a commises, et il connaît le temps précis de la peine qu'elle doit subir. Supposons que cette peine soit de dix années, l'âme a deux voies pour satisfaire à Dieu.
La première est de payer sa dette par elle-même, c'est-à-dire, en
satisfaisant sans que personne lui vienne en aide ; la seconde est de
payer en tout ou en partie par l'entremise des autres, c'est-à-dire, par les satisfactions que lui transmettent la compassion et la libéralité des cœurs qu'elle a laissés sur la terre.
Or, avant de déterminer le temps qu'une âme doit passer en purgatoire, Dieu prévoit si cette âme sera secourue par les suffrages des vivants ou abandonnée par eux. Si personne ne doit venir à son aide, elle n'aura aucune grâce, et ne sortira du purgatoire
qu'au temps fixé par sa justice. Si au contraire elle doit Être
secourue par les satisfactions étrangères, Dieu abrégera le temps, il adoucira la peine selon la valeur des œuvres qui seront offertes en sa faveur.
La
justice humaine en donne un exemple. Un homme est condamné à la prison
pour une dette considérable. Il a deux moyens d'échapper à la sentence,
ou en payant sa dette de ses propres deniers, ou en demandant à ses amis
de la payer pour lui. S'il n'a ni argent, ni amis qui veulent payer
pour lui, il faut qu'il subisse la peine à laquelle il a été condamné.
Si, au contraire, il n'a pas d'argent, mais qu'il ait des amis
généreux et dévoués qui lui ouvrent leurs bourses, on lui remet la
moitié de sa peine, s'ils acquittent la moitié de sa dette ; s'ils
acquittent la dette toute entière, on lui remet aussitôt la peine tout
entière.
D'un autre côté, si les amis de ce pauvre prisonnier pour dettes étaient pauvres eux-mêmes, et dans l'impossibilité de le libérer,
ils pourraient encore fléchir son créancier par leurs prières et par
leurs larmes, toucher son cœur, l'émouvoir en faveur de leur malheureux
ami, et obtenir qu'il renonce à ses droits et lui remette sa dette.
Ainsi en est-il pour les âmes condamnées aux peines du purgatoire. Nous y avons des parents, des amis qui ont encore à satisfaire pour des fautes qui n'ont pas été entièrement réparées ; mais Dieu savait que nous nous mortifierions, que nous ferions des aumônes pour elles, que nous le prierions
en leur faveur, il a résolu d'avoir égard à ce que nous ferions pour
elles. Faisons beaucoup, il leur remettra beaucoup : que nos
satisfactions égalent ce qu'elles doivent, il leur remettra aussitôt
toute la peine qu'elles devaient subir. Mais si nous sommes dans
l'impuissance d'offrir à la justice divine des œuvres satisfactoires pour l'acquit de la dette des âmes qui nous sont chères, nous pouvons la fléchir par nos prières, toucher le cœur
de Dieu par nos supplications, et obtenir qu'il leur fasse grâce et
leur remette la peine due à leur faute en tout ou en partie.
IIe Point. Pour bien comprendre l'efficacité de la prière pour les âmes du purgatoire, il faut savoir que la prière a trois qualités remarquables :
1° elle est méritoire, c'est-à-dire digne de récompense ;
2° satisfactoire, c'est-à-dire suffisante pour payer la dette des péchés déjà pardonnés ;
3° impétratoire, c'est-à-dire capable d'obtenir ce qu'elle demande.
Le mérite
de la prière, comme celui de toutes les bonnes œuvres, est personnel et
ne peut se transmettre à un autre ; mais elle peut toucher le cœur de Dieu en faveur de ceux pour lesquels nous le prions et le disposer à leur accorder gratuitement les grâces que nous sollicitons pour eux.
La
prière est satisfactoire parce qu'elle est difficile. Au premier abord,
ce que j'avance paraîtra peu vraisemblable, car il semble que la prière
devrait s'échapper naturellement de notre cœur, et on peut me répondre :
Est-il donc difficile de prier en face des merveilles que la puissance et la bonté de Dieu ont multipliées autour de nous ? Comment encore ne pas prier au souvenir des bienfaits dont le Seigneur a environné notre vie tout entière ? Comment enfin ne pas prier lorsque nous sommes courbés sous le poids accablant de tant de misères et de douleurs ? Est-il donc difficile d'implorer la pitié et de demander du secours à celui-là seul qui peut apporter du soulagement
à nos maux ? Je conviens de tout cela ; j'avoue que la prière n'est pas
seulement un devoir pour nous, mais qu'elle est un besoin pour notre
cœur, ce qui n'empêche en aucune manière qu'elle ait des difficultés réelles.
Il
nous est difficile de prier, dit un ancien Père, parce que tout l'enfer
se déchaîne pour nous troubler dans ce saint exercice, et pour mettre
obstacle à nos prières. Il nous est difficile de prier, parce que
lorsque nous voulons le faire, une foule
de pensées étrangères se présentent à notre esprit et détournent notre
attention de Dieu et de ce que nous lui demandons. Le passé nous poursuit de ses souvenirs, le présent
de réalités souvent douloureuses et accablantes, l'avenir de ses
incertitudes qui nous remplissent d'inquiétudes et de craintes.
Il nous est difficile de prier, parce que mille objets extérieurs nous dissipent : nos yeux veulent tout voir, nos oreilles tout entendre, nos sens ne nous laissent aucun repos. Je ne dis rien des passions qui nous agitent et s'éveillent en nous au moment même où nous voudrions le plus être à l'abri de leurs atteintes.
Je
ne m'étendrai pas non plus sur les différentes vertus qui doivent
accompagner la prière, je me contenterai de les désigner, et cela
suffira pour montrer qu'il n'est pas facile de bien prier. Il faut que
la foi éclaire la prière, que l'espérance l'anime, que la charité
l'embrase, que l'humilité la soutienne, que la persévérance la couronne.
Hélas
! nous connaissons par notre propre expérience les difficultés de la
prière. Quel est celui d'entre nous qui n'a pas à combattre la légèreté
de son esprit, la dissipation de son cœur, et qui n'a pas à lutter
contre des distractions sans cesse renaissantes. N'entendons-nous pas tous les jours les âmes les plus pieuses, les plus saintes même, se plaindre de ne pouvoir prier comme elles le voudraient.
C'est ce qui faisait dire au grand Origène que la prière est un
véritable combat, puisqu'il faut y soutenir les assauts de si nombreux
et de si puissants ennemis. »
Mais
ce sont ces difficultés de la prière qui la rendent méritoire, et qui
la rendent aussi satisfactoire, puisque la difficulté des bonnes œuvres est leprincipe du mérite et de la satisfaction : d'où nous devons conclure que la prière est un moyen trèsefficace de soulager les âmes du purgatoire.
La prière est impétratoire ; le but
de l'âme qui prie est de faire connaître à Dieu ses besoins, ses
désirs, et d'obtenir de sa bonté ce qu'elle lui demande. Or Dieu, dont
la charité et la libéralité sont infinies, ne
nous permet pas seulement de lui demander pour nous les grâces qui nous
sont nécessaires, il nous permet encore de le prier pour nos frères ; non-seulement il nous le permet, mais il désire que nous le fassions, et quand nous nous oublions pour eux, il se souvient de nous et répand sur notre âme des grâces et des bénédictions plus abondantes.
Voulons-nous donc faire un acte de charité qui soit agréable à Dieu et ouvrir les portes du purgatoire aux âmes qui
y sont captives, prions pour elles et Dieu se laissera fléchir, car la
prière est toute-puissante sur son cœur. L'Ecriture sainte nous fournit
une multitude d'exemples de cette puissance. Moïse est au milieu d'un
désert affreux, il voit autour de lui tout un peuple qui meurt de faim,
et pour le nourrir toutes les ressources
humaines lui manquent. Que fait l'homme de Dieu ? Il lève les mains au
ciel, il expose au Seigneur la détresse du peuple qu'il lui a confié, il le conjure d'avoir pitié de lui, et Dieu, touche : des prières de son serviteur, fait tomber des nues un pain miraculeux.
David va au devant de Goliath ; son ennemi est puissant, il est terrible ; où prendra-t-il des forces pour le vaincre et pour le terrasser
? Il prie, Dieu met sa force dans la faible main de l'adolescent, et
frappé à mort par la pierre que David a ramassée sur le bord du torrent, l'orgueilleux tombe sans vie sur la poussière.
Mais
il y a une parole plus forte, plus persuasive que tous les exemples,
c'est la parole de Jésus-Christ lui-même. Priez, nous dit-il, et vous
obtiendrez tout ce que vous désirez. Et ailleurs : mon Père ne vous refusera rien de ce que vous lui demanderez en mon nom. »
Puisque la prière est toute-puissante sur le cœur de Dieu, et que nous pouvons en appliquer la valeur et la satisfaction aux saintes âmes du purgatoire, elle a donc vraiment le pouvoir de les soulager dans leurs souffrances. Nous verrons dans le chapitre suivant comment nous devons nous servir de la prière pour atteindre ce but.
PRIÈRE.
Qu'il est doux, qu'il est consolant pour mon cœur, ô mon Dieu ! de savoir que la voix de mon humble prière peut toucher le vôtre
et fléchir votre justice, non-seulement lorsque j'implore votre
miséricorde pour moi-même, mais encore lorsque je la sollicite en faveur
de ceux dont la mort m'a séparé, mais qui n'ont pas cessé de m'être
chers. Daignez écouter, Seigneur, les supplications que je vous adresse
en leur faveur ; faites que le souvenir
et l'affection que je leur garde leur soient encore utiles, et que mes
larmes, les regrets que je donne à leur mémoire, sanctifiées par la
résignation, par la soumission à votre volonté qui a voulu notre
séparation, soient devant vous comme un sacrifice que je vous offre pour
l'acquit de leurs dettes. Daignez l'agréer, ô mon Dieu ! ne refusez pas
l'offrande de mon indigence, puisque je l'unis pour vous la présenter
aux mérites de Jésus-Christ notre adorable Sauveur, et que c'est en son
nom que je vous supplie d'avoir pitié des âmes de
mes parents, de mes amis, de mes bienfaiteurs et de tous les fidèles
trépassés. Adoucissez leurs souffrances, o mon Dieu ! abrégez le temps de leur expiation et accordez-leur bientôt le repos, la lumière et le bonheur éternels. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
L'empereur Théophile, après avoir été pendant sa vie un persécuteur déclaré des saintes
images, reconnut son erreur avant de mourir et détesta sincèrement ses
fautes ; mais il ne put dans ses derniers moments les expier par la
pénitence qui lui resta à subir dans le purgatoire. Son épouse Théodora, qui avait tant fait pour le convertir, fit davantage encore pour le délivrer des peines de l'autre vie. Non seulement elle versait des larmes abondantes et faisait de ferventes prières avec toute sa cour, mais elle demanda des messes
et d'autres suffrages dans tous les monastères, et par l'intermédiaire
de saint Méthodius, patriarche de Constantinople, elle fit multiplier
les prières publiques et privées dans le clergé et dans le peuple. Le cœur de Dieu ne put résister à la force de tant de supplications ; et le vénérable
prélat, se livrant dans l'église de Sainte Sophie aux actes de ces
dévotions solennelles, vit apparaître un envoyé divin qui lui dit : «
Evêque, tes prières sont exaucées et Théophile a obtenu sa grâce. »
Théodora eut en ce même temps une vision qui lui annonça que ses prières
et celles de ses prêtres avaient délivré Théophile du purgatoire. Aussi les supplications se changèrent en actions de grâces, et toute la ville de Constantinople se réjouit d'avoir obtenu la glorification de son empereur défunt.(Le Mois des Ames du Purgatoire, traduit de l'italien, par l'abbé de Valelle.)
PRATIQUE.
Prendre la résolution de ne laisser passer aucun jour sans prier pour les âmes du purgatoire ; offrir
en leur faveur la peine que nous cause soit les distractions que nous
avons à combattre pendant la prière, soit l'aridité de notre cœur
pendant ce saint exercice.
XVIIe Jour
Suite du même sujet. La prière, premier moyen de soulager les âmes du purgatoire.
Demandez et vous recevrez, frappez et on vous ouvrira.
Ier Point. Saint Augustin dit que la prière du juste est la clef du ciel. Il dit la prière du juste,
c'est-à-dire de celui Iqui possède la grâce de Dieu ; alors,
ajoute-t-il, la prière monte et la miséricorde descend. 0ui, nous le répétons,
les humbles supplications d'une âme en grâce avec Dieu sont toutes
puissantes sur son cœur ; elles l'inclinent à la miséricorde, à la
compassion, et si la prière est la clef du ciel, ne peut-on pas dire également qu'elle est aussi la clef qui peut ouvrir le purgatoire et fermer l'enfer. Servons-nous donc de cette clef mystérieuse pour adoucir les souffrances des saintes âmes du purgatoire.
Un feu terrible, sans cesse alimenté par le souffle de la justice de Dieu, dévore ces saintes âmes ; le juste prie, et la rosée du ciel
descend et vient tempérer l'activité de ses flammes dévorantes ; la
tristesse la plus profonde, la douleur la plus intense accable ces
pauvres captives. Le juste prie, sa prière ouvre le ciel, l'espérance et la joie en descendent et viennent adoucir leurs tourments. Ces saintes âmes sont captives, le juste prie, le ciel
s'ouvre, la liberté et la vie en descendent ; elles voient tomber leurs
chaînes brûlantes et commencer pour elles la vie éternelle.
«
Si vous priez pour les pauvres, pour les affligés, pour les malheureux,
disait autrefois saint Ambroise, votre prière entre dans la grâce,
c'est-à-dire, dans la demeure même de Dieu. » Dans son sermon sur la
virginité, saint Ephrem assure que la prière de celui qui aime Dieu
pénètre incessamment le ciel. Saint
Bernard affirme de même que la prière de l'âme fervente monte jusqu'au
ciel et qu'elle n'en redescend jamais sans être exaucée. Si elle demande
l'amour de Dieu, elle en est aussitôt remplie ; si elle demande
l'humilité, elle en est aussitôt ornée ; si elle demande la délivrance
d'une âme du purgatoire, elle a également la puissance de l'obtenir.
Saint Denis, dans son livre des noms divins, au chapitre troisième, compare la prière à une chaîne merveilleuse qui part du ciel
et descend jusqu'à terre ; quand nous prions, nous montons par les
anneaux de cette chaîne comme par autant de degrés, nous arrivons
jusqu'à Dieu, et alors s'accomplit un véritable miracle.
Tous
les saints, tous les Pères de l'Eglise sont unanimes sur la puissance
et l'efficacité de la prière ; avec elle nous pouvons tout obtenir de
Dieu, et nous sommes en quelque sorte plus forts et plus puissants que
lui, malgré notre faiblesse et notre impuissance personnelle.
Ce qui porte Dieu à châtier les hommes coupables, ce qui le porte à leur refuser la rémission des peines qu'ils ont encourues par leurs péchés, c'est sa justice
; toutes ses autres perfections l'inclinent à pardonner. Arrrêtez la
justice de Dieu par vos prières, vous ne rencontrerez plus que sa
miséricorde. Et cette justice de Dieu, nous pouvons avec la prière en
arrêter le cours, non-seulement pour nous, mais pour les autres. L'Ecriture sainte nous en fournit de bien remarquables exemples.
Israël
est devenu idolâtre. Il s'est fait un veau d'or et prosterné devant
lui, il lui a offert un encens sacrilége. Indigné de l'ingratitude de
son peuple, la colère du Seigneur
s'allume et sa justice se dispose à frapper. Mais Moïse est là, et
tremblant pour ce peuple que Dieu lui a confié, il vient se placer entre
lui et les foudres de la justice divine. Prosterné devant le Seigneur, il monte jusqu'à lui par l'ardeur de sa prière, il le sollicite, il le presse, il le conjure d'avoir pitié des coupables,
et les mains de Dieu sont comme enchaînées par les prières de son
serviteur. « Moïse, lui dit-il, laisse-moi contenter ma juste colère. »
Moïse continue sa prière, la justice de Dieu lutte avec la charité et la
persévérance du saint homme, cette prière est comme un lien qui arrête le bras du Seigneur et le rend impuissant. « Laisse-moi, Moïse, cesse ta prière, répète le Seigneur; » mais Moïse redouble d'instances. Dieu ne peut résister, il se rend et pardonne.
Nous pouvons, comme le saint conducteur d'Israël, nous interposer entre la justice de Dieu et les âmes du purgatoire. Son
bras n'est pas seulement prêt à les frapper, déjà il les frappe et
sévit sur elles par les plus terribles châtiments ; mais nous pouvons le retenir et arrêter les coups qu'il leur porte. Prions, luttons s'il le faut avec Dieu, par notre charité et notre persévérance, et quand il devrait nous dire comme à son serviteur : Laissez-moi, ces âmes sont coupables ; il faut que ma justice sévisse contre elles, et qu'elles reçoivent le châtiment
de leur ingratitude, loin de nous décourager, redoublons d'instances,
faisons par nos supplications, par nos larmes, une sorte de violence à
Dieu, et bientôt il se laissera fléchir, son cœur s'attendrira, il
pardonnera à ces âmes qu'il ne châtie qu'à regret, et notre prière aura vraiment été pour elles la clef qui leur aura ouvert le ciel et les aura jetées dans les bras de notre père commun.
Qu'elle
est grande la bonté de notre Dieu qui permet à de pauvres pécheurs de
l'implorer, non-seulement pour eux, mais pour leurs frères, qui nous
donne la consolation de pouvoir soustraire à sa justice les êtres chéris
que nous pleurons, et de leur donner même au delà de la tombe des preuves de la sincérité et de la constance de notre dévouement et de notre amour.
IIe Point. Saint
Jean, au huitième chapitre de l'Apocalypse, rapporte qu'il vit un ange
qui portait à la main un encensoir d'or, et cet encensoir était rempli
de parfums, et la fumée de ces parfums montait jusqu'au trône de Dieu ;
et l'ange prit les charbons sacrés qui étaient allumés sur l'autel, et
il les répandit sur le monde, et il se fit alors des tonnerres, des éclats de voix et des tremblements de terre.
Il est facile de comprendre le sens de cette vision et d'en donner l'explication. L'encensoir de l'ange est le cœur des saints et des justes de la terre ; les parfums dont il est rempli et la fumée qui s'en exhale
sont les prières qu'ils adressent à Dieu et qui s'élèvent jusqu'à son
trône comme un encens d'agréable odeur. Les charbons sacrés pris sur
l'autel et jetés sur le monde sont les
grâces et les bénédictions que la prière fait descendre, et sur ceux qui
prient et sur ceux pour lesquels ils prient. Les tonnerres, les voix et
les tremblements de terre sont les prodiges qu'elle opère dans le ciel en désarmant la justice de Dieu sur la terre, en convertissant les pécheurs, en changeant des vases de corruption et d'ignominie en vases d'élection, et jusqu'au fond des abîmes du purgatoire, d'où elle arrache les âmes qui y sont captives.
Ce
ne serait pas seulement une indifférence qui nous rendrait coupables
devant Dieu, mais une véritable cruauté que de refuser à ces saintes âmes un
secours qu'il nous est si facile de leur procurer. Prions donc, montons
au ciel par la prière, sollicitons, pressons, et Dieu nous accordera ce
que nous lui demanderons. Descendons ensuite en purgatoire, pour porter à ces âmes souffrantes le secours et la consolation qu'elles attendent de nous. Prions le jour,
prions la nuit ; que chacune de nos paroles, chacune de nos actions,
chacun de nos soupirs soit une prière qui aille comme autant de gouttes
de rosée tempérer l'activité des flammes qui les dévorent, nous le pensons
en les offrant tous à Dieu en leur faveur, et sans quitter aucune de
nos occupations, sans négliger aucun de nos devoirs, nous pouvons
devenir réellement les libérateurs de ces saintes âmes, en dirigeant notre intention dans le but de les soulager. De cette manière, nos plus petites actions, nos plus légères souffrances, sont de vraies prières
qui plaident sans cesse leur cause auprès de Dieu, et qui après s'être
élevées jusqu'au ciel, comme la vapeur embaumée de l'encens, descendent
dans les brûlants abîmes où elles gémissent comme une pluie
rafraîchissante.
L'amour est la vie du cœur, et la reconnaissance est sa mémoire. Quel est celui de nous qui n'a pas vu la mort lui ravir quelques-uns des objets
de ses affections ? Hélas ! combien ont arrosé successivement de leurs
larmes la dépouille mortelle de tous ceux qui leur étaient chers, d'un
père, d'une mère, d'un bienfaiteur, auquel les attachaient non pas
seulement les liens de la nature, mais ceux aussi forts, aussi étroits,
de la reconnaissance. Cet amour si tendre, si dévoué, cette
reconnaissance si vive se seraient-ils donc éteints avec la vie de ceux
qu'ils ont aimés ? Ah ! le supposer
serait leur faire injure, un bon cœur ne cesse pas d'aimer ; une âme
élevée, une âme chrétienne, surtout, ne sait pas oublier ; elle porte
vivant en elle le souvenir de ceux
qu'elle ne voit plus, mais qui n'ont pas cessé de lui être chers, et si
elle garde en elle-même sa douleur et ses regrets, si elle parle
rarement de ceux qui les lui inspirent, c'est qu'elle sait que les
créatures se lassent du récit de nos
peines ; que nos larmes, nos plaintes, qui d'abord excitèrent leur
compassion, leur deviennent bientôt importunes ; mais il n'en est pas de
même de Dieu, elle sait que lui seul ne se lasse pas du récit
de nos douleurs ; c'est dans son sein qu'elle verse avec ses larmes,
ses prières, ses ardentes supplications en faveur de ceux qu'il a élevés
à sa tendresse, et c'est ainsi que le souvenir qu'elle leur garde leur est réellement utile.
Mais
ce n'est pas seulement pour ceux que nous avons aimés d'une affection
naturelle que nous devons prier ; la charité nous fait un devoir
d'offrir nos suffrages pour toutes les âmes qui souffrent en purgatoire. Saint Paul nous assure que la charité est la plus grande, la plus excellente des vertus chrétienne, et on exerce cette vertu dans son plus haut degré quand on soulage les âmes souffrantes du purgatoire ; sans doute, c'est exercer la charité et faire des œuvres très agréables à Dieu que de nourrir celui qui a faim, de vêtir celui qui souffre des rigueurs du froid, de visiter l'infirme sur son lit de douleurs, le prisonnier dans son cachot ; mais l'objet de cette charité est le corps,
tandis que les prières, les bonnes œuvres faites pour les morts n'ont
que l'âme pour objet, et comme l'àme est inflniment plus précieuse que le corps, l'acte de charité exercé envers les saintes âmes du purgatoire est par là même plus excellent, et l'emporte sur toutes les œuvres de miséricorde temporelle qu'on peut faire en faveur des vivants.
Nous sommes loin de dire, qu'on le comprenne
bien, que la charité que nous exerçons envers les morts nous dispense
de l'exercer envers les vivants ; l'une ne doit pas exclure l'autre ; le but de l'âme pieuse doit être de les unir, de les pratiquer ensemble, d'essuyer d'une main les larmes du pauvre, et de l'autre celles des âmes du purgatoire. Par
la pratique de cette double charité on se rend plus utile aux uns et
aux autres, on acquiert une plus grande ressemblance avec notre adorable
Sauveur, dont la charité embrassait à la fois toutes les misères de
l'âme et du corps, et on attire sur soi des grâces et des bénédictions plus abondantes.
PRIÈRE.
0
Jésus ! notre adorable Sauveur, qui avez fait à la prière de si
magnifiques, de si consolantes promesses, qui nous avez assuré que tout
ce que nous demanderions à votre père, en votre nom, serait accordé,
nous venons, plein de confiance en ces divines promesses et en la bonté
de votre cœur sacré, vous supplier d'abaisser un regard de miséricorde
sur les âmes souffrantes du purgatoire, particulièrement sur celles de nos parents, de nos amis, de nos bienfaiteurs, sur celles surtout qui ont été le plus dévouées à votre divin cœur, qui vous ont le plus ardemment aimé pendant leur séjour sur la terre, et qui ont eu elles-mêmes une plus grande charité pour les âmes dont elles partagent aujourd'hui les douleurs. Ne regardez pas, Seigneur, à l'indignité de ceux qui vous implorent pour ces âmes qui
vous sont si chères, ne voyez que la foi qu'ils ont eue en vos
promesses,et par votre douleur au jardin de Gethsémani, par la soif que
vous avez endurée sur la croix, par l'abandon et le délaissement de votre douloureuse agonie, faites miséricorde à ces âmes pour lesquelles nous vous implorons ; étanchez la soif d'amour qui les consume en leur ouvrant les portes du ciel et en les unissant éternellement à vous. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Surius raconte que le grand
docteur saint Thomas, se trouvant à Paris, vit un jour l'une de ses
sœurs, morte à Naples, paraître à ses regards avec les dehors de la plus
profonde tristesse, et l'entendit implorer le secours de ses prières et de celles de ses frères.
Le saint
docteur se hâta d'obtempérer à ses désirs, et suppliant ses frères de
s'intéresser au sort de la pauvre âme, il y eut parmi eux comme une
sorte d'émulation pieuse et charitable. Cependant, après quelque temps,
espérant que les besoins de la défunte étaient satisfaits, il diminua
ses prières pour elle. Il ne se trompait pas.
Un
jour qu'il s'acheminait vers Rome, il vit de nouveau sa sœur ; mais
cette fois elle était environnée de lumière et portait toutes les
marques de la joie et de la gloire. « Mon frère, lui dit-elle, grâce à
vos prières et à la miséricorde de Dieu, qui a bien voulu les accepter,
mes tourments sont finis, et c'est parce que le Seigneur veut récompenser votre charité qu'il m'a été permis de vous annoncer qu'aujourd'hui mon bonheur commence. »
Tous les protecteurs des pauvres âmes du purgatoire
ont un semblable mérite, alors même qu'ils ne recevraient pas sur la
terre les mêmes témoignages de reconnaissance. (L'Echo du Purgatoire, juin 1867.)
PRATIQUE.
Prier spécialement aujourd'hui pour les âmes qui ont eu le plus de charité pour les âmes du purgatoire, et qui ont elles-mêmes le plus prié pour elles.
XVIIIe JOUR
L'aumône second moyen pour soulager les âmes du purgatoire.
L'aumône délivre du péché et de la mort ( Tobie, I. *, c. t1. )
Ier Point. Si la prière est toute-puissante sur le cœur de Dieu, nous pouvons assurer que l'aumône ne l'est pas moins, qu'elle double la force de nos prières, qu'elle en assure le succès en attendrissant le Seigneur sur les misères de celui qui, pour obtenir la miséricorde qu'il implore, l'exerce lui-même en faveur de ses frères. Le Saint-Esprit
lui-même nous a révélé la puissance de l'aumône, en disant dans
l'Ecclésiastique que comme l'eau a la force d'éteindre le feu le plus ardent, de même l'aumône a la vertu d'effacer le péché. Au livre de Tobie, il dit également que l'aumône a la puissance de délivrer de tout péché et même de la mort.
Aussi,
d'après ces paroles, les saints Pères n'ont pas cru aller trop loin en
comparant la puissance de l'aumône à la puissance même du baptême. Saint Ambroise, dans son sermon sur l'aumône, interprète ainsi l'oracle de l'Esprit saint. «L'eau ;qui éteint le feu, dit-il, c'est l'eau du baptême ; elle éteint le feu de l'enfer, de même l'aumône éteint le feu du péché. »
Si nous considérons les effets du saint baptême et ceux produits par l'aumône nous y découvrirons de bien grands rapprochements. Le principal effet du baptême est de purifier du péché
et d'en remettre la peine. L'aumône produit un effet pareil, non pas,
il est vrai, de la même manière, ni avec la même efficacité que le baptême, car le baptême agit efficacement, et par une vertu qui lui est propre ; il suffit qu'un homme le reçoive
pour que tous ses péchés soient effacés et que toutes les peines qui
leur sont dues lui soient remises, tandis que l'aumône agit moins
directement et ne justifie pas par elle-même ; elle dispose seulement
celui qui la fait, s'il n'a pas la grâce, à la recouvrer.
Nous savons tous que quand un homme est en état de péché mortel il est souillé d'une tache qui le rend ennemi de Dieu, et en même temps il est redevable à sa justice d'une peine éternelle. Pour être purifié de la tache du péché, il faut qu'il recouvre la grâce sanctifiante, et pour être délivré de la peine qu'il a encourue, il faut qu'il fasse des œuvres
satisfactoires. 0r, l'aumône peut servir à ces deux fins, car un
pécheur en faisant l'aumône attire sur lui la miséricorde de Dieu et le dispose
à lui accorder une grâce de conversion, s'il correspond à cette grâce,
il recouvre l'amitié de Dieu, il est purifié de la tache dont son âme
était souillée, la peine éternelle qu'il avait encourue lui est remise,
et s'il fait alors de nouvelles aumônes, il acquitte la dette qu'il a
contractée envers la justice divine, et satisfait ainsi en tout ou en
partie pour la peine temporelle qui lui restait à subir soit dans cette
vie, soit dans l'autre.
Ainsi, par l'entremise de l'aumône, l'homme reçoit en quelque sorte les mêmes priviléges que lui avait conférés le saint baptême ; ce qui justifie cet autre mot de saint Ambroise : « L'aumône est un second baptême. » Mais le même docteur va plus loin, et il ne craint pas d'avancer que l'aumône est sous quelques rapports plus avantageuse que le baptême, et il en donne plusieurs raisons.
La première est que le baptême
ne se donne qu'une fois, qu'il n'efface qu'une seule fois les péchés
qu'on a commis, tandis que l'aumône peut se réitérer autant de fois que
l'on veut, et que si elle est faite pour l'amour de Dieu, on mérite la
rémission de ses péchés autant de fois qu'on la fait.
Un second avantage de l'aumône sur le baptême, vient de ce que le baptême ne profite qu'à celui qui le reçoit,
tandis que l'aumône est utile à celui qui la fait et à ceux qui la
reçoivent, et même à ceux en faveur de qui on la fait, elle profite à la
fois aux vivants et aux morts, et tous en recueillent les douceurs et
les bénéfices.
Le troisième privilége de l'aumône est de pouvoir se donner de différentes façons. Le baptême
ne peut se donner qu'avec de l'eau ; l'aumône se donne avec de l'or,
avec de l'argent, avec un morceau de pain, avec un verre d'eau, avec un
vêtement.
Quelle que soit la manière dont vous fassiez l'aumône, qu'elle soit considérable ou qu'elle ne le soit pas, si vous la faites dans la grâce de Dieu et en faveur des saintes âmes du purgatoire, vous
leur donnez une sorte de baptême, car Dieu ne regarde pas à la valeur
de votre don, mais aux dispositions avec lesquelles vous le faites.
Les âmes du purgatoire, nous le savons,
sont purifiées de leurs péchés, mais il leur reste une peine à subir.
Or, les aumônes que l'on fait en leur faveur peuvent non-seulement
adoucir et abréger cette peine, elles peuvent encore y mettre fin. Alors
ces âmes bienheureuses se trouvent dans
l'état où elles étaient au jour de leur baptême, et ainsi, il est vrai
de dire qu'à la faveur et par la vertu de l'aumône elles sont comme une
seconde fois baptisées.
IIe Point. Mais pourquoi l'aumône est-elle si puissante sur le cœur
de Dieu et pourquoi se montre-t-il sensible à la miséricorde que
l'homme exerce envers son semblable ? Devant une aumône, Dieu apaise sa
colère, il retient sa justice, il oublie et il pardonne ; d'où vient
cela ? Ah ! c'est que Dieu est la miséricorde même, et que celui qui
l'exerce se rend en quelque sorte semblable à lui. Saint Léon nous
l'apprend, quand il nous dit qu'il n'y a rien de plus auguste que de
voir un homme imiter son auteur, et selon la mesure de ses forces
exécuter des œuvres divines. Or, quand il
donne à manger à celui qui a faim, à boire à celui qui a soif, quand il
habille ceux qui sont nus, qu'il vient au secours de ceux qui
souffrent, il imite la bonté du Créateur, dont la main libérale s'étend sur toutes ses créatures pour les nourrir et les combler de bienfaits.
Celui qui fait l'aumône n'imite pas seulement le Seigneur, il devient son ministre, l'instrument dont sa Providence se sert pour secourir le pauvre,
et en accomplissant une œuvre de miséricorde, il fait réellement
l'œuvre de Dieu. Si donc l'homme qui fait l'aumône est semblable à Dieu,
si sa main est la main de Dieu, si l'acte de charité qu'il accomplit
en faveur d'un de ses frères souffrants, est l'œuvre et la gloire de
Dieu, il ne faut plus s'étonner que l'aumône soit si puissante auprès du Seigneur.
Ce
qui nous montre combien la miséricorde est agréable au Seigneur, c'est
la promesse expresse et mille fois réitérée qu'il fait dans les livres
saints de la récompenser avec magnificence. « Ce que vous ferez au
moindre de mes frères, qui sont pauvres, nous dit notre adorable
Sauveur, vous me le ferez à moi-même, et je vous le rendrai au centuple. » Nous lisons au livre des Proverbes ces autres paroles : « Celui qui a pitié du pauvre prête au Seigneur, et il lui prête à intérêt. Le Seigneur lui rendra avec usure ce qu'il lui aura prêté (1). » (I) Proy. 19, 17.
« Esprit divin, père des lumières,
s'écrie saint Chrysostome, faites-nous comprendre comment celui qui est
tout-puissant, qui a revêtu les cieux de clarté et les astres de
lumière, peut se trouver lui-même dans la personne du pauvre. Faites-nous comprendre comment celui qui nourrit et sustente toutes les créatures, qui ne laisse pas mourir de besoin le plus petit des oiseaux, le plus imperceptible des moucherons,
souffre la faim dans celui qui n'a rien à manger. Faites-nous
comprendre comment celui qui est la source vive de toutes les eaux, qui a
fait l'Océan, et qui dirige les pluies, est altéré et brûlant de soif,
dans celui que la fièvre dévore.
Faites-nous
comprendre comment Celui pour qui les cieux sont trop étroits, qui
remplit l'univers de son immensité, se couvre et se cache sous l'habit
d'un mendiant.
Faites-nous
comprendre comment Celui qui possède les mondes, se dépouille de tout
et se fait nécessiteux avec les nécessiteux ? comment Celui qui donne
aux riches leurs richesses demande un verre d'eau, un morceau de pain,
une obole ? comment Celui qui est Dieu et qui, par conséquent, se suffit
à lui-même, s'abaisse ainsi pour les pauvres, qu'il n'est pas seulement
comme eux, mais qu'il est en eux, pauvre lui-même et dénué de tout ?
Dites-le nous
vous-même, ô Pauvre mystérieux, Fils de Dieu et Fils de l'homme ; oui,
dites-nous comment vous vous êtes ainsi transformé ; comment vous avez
ainsi confondu et comme incarné les pauvres en vous. Ecoutez comme
parle le divin Sauveur, ajoute le même saint. Il ne dit pas : le pauvre a eu faim, et vous m'avez donné du pain ; mais, j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; le pauvre a eu soif, et vous m'avez donné de l'eau ; mais, j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire.
Quel prodige ! un Dieu proclame qu'il a reçu lui-même ce qui a été donné aux pauvres ; qu'il a mangé ce que le pauvre a mangé ; qu'il a bu de sa propre bouche ce que le pauvre a bu de la sienne. C'est trop, ajoute le même saint, oui c'est trop que le pain grossier que nous donnons aux pauvres devienne le pain d'un Homme-Dieu ; c'est trop qu'un verre d'eau ordinaire que nous donnons à un malheureux puisse désaltérer le Fils unique de Dieu. »
Il y a quelque chose de plus surprenant encore, c'est qu'au dernier jour du monde, le souverain Juge des vivants et des morts avouera ses dettes en présence des anges
et de toutes les générations humaines rassemblées à ses pieds, et
reconnaîtra solennellement qu'il nous est redevable de tout ce que nous
avons fait pour les pauvres. Il oubliera, pour ainsi dire, toutes les
autres vertus des justes, pour ne se souvenir que de leur charité.
Puisque
la parole de notre adorable Sauveur est infaillible, et qu'il s'est
engagé formellement vis-àvis de celui qui fait l'aumône, nous pouvons
être assurés qu'il ne manquera pas à sa parole et qu'il tiendra ses
engagements. Faisons donc des œuvres de miséricorde en faveur des âmes du purgatoire, et
réclamons ensuite avec confiance ce que Jésus a promis de nous donner,
ce qu'il nous doit en quelque sorte. Disons avec une respectueuse
liberté à notre divin Sauveur : « Seigneur, j'ai exercé en votre nom la
miséricorde envers le pauvre qui
implorait ma pitié ; accomplissez votre promesse, faites aujourd'hui
vous-même miséricorde à cet autre pauvre, à un pauvre du purgatoire en
faveur duquel j'implore la vôtre. J'ai partagé mon pain avec celui qui
avait faim ; j'ai donné à boire à celui qui avait soif, et puisque vous
avez dit : Ce que vous avez fait aux miens, vous l'avez fait à moi-même,
acquittez votre dette en admettant à votre table éternelle les âmes qui me sont chères et que la soif de vous posséder dévore. Nous verrons dans le chapitre suivant comment nous devons faire l'aumône pour qu'elle soit utile aux âmes du purgatoire.
PRIÈRE.
Vous êtes ma miséricorde, ô mon Dieu, s'écriait le Roi-Prophète
transporté de reconnaissance au souvenir de vos bontés. Souffrez, ô mon
Sauveur, que j'emprunte ce cri de son cœur, et qu'en souvenir de tout
ce que vous avez fait pour moi, je répète après lui : Vous êtes ma
miséricorde, ô Dieu sauveur. Oui vous êtes ma miséricorde dans l'étable
de Bethléem où vous naissez pour me sauver ; vous êtes ma miséricorde
dans votre vie cachée, dans votre vie publique, où vous m'instruisez et
par vos exemples et par vos leçons ; vous êtes ma miséricorde sur la
croix, où vous mourez pour me racheter ; vous êtes enfin ma miséricorde,
dans votre Eucharistie, où vous me faites la magnifique aumône de
vous-même, où vous nourrissez mon âme de votre chair adorable, où vous
la lavez de votre sang et couvrez sa misère du riche
manteau de vos mérites. Mais si vous êtes ma miséricorde, ô mon Jésus,
vous voulez qu'à mon tour je sois miséricordieux envers mes frères, et
que je rende dans la personne des pauvres,
qui sont vos membres souffrants, ce que vous faites pour moi. Plein de
foi en vos paroles, désormais, ô mon Sauveur, je ne verrai plus que
votre personne adorable cachée sous celle de l'indigent qui implorera ma
pitié. Je déposerai avec respect mon aumône dans la main qu'il me
tendra, pensant que c'est à vous que je donne ; je m'estimerai heureux
d'apaiser votre faim, d'étancher votre soif dans la sienne et d'essuyer
vos larmes en essuyant celles que je lui verrai répandre. Mais, ô mon
Dieu, ma charité ne se bornera pas aux vivants ; je veux qu'elle
s'étende jusqu'aux morts, et que ce que je ferai pour les pauvres de la
terre soit fait en faveur des pauvres de l'éternité, et porte aux saintes âmes du purgatoire le soulagement et la consolation, en attirant sur elles l'effusion de votre miséricorde. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Un
ouvrier napolitain qui avait grand mal à subvenir aux nécessités de sa
famille fut emprisonné pour dettes, laissant la charge de ses petits
enfants à sa malheureuse femme, qui n'avait d'autres ressources que le travail
de ses mains et sa confiance en Dieu. Elle conjurait avec foi la divine
Providence de lui venir en aide et surtout de délivrer son mari. Ayant
appris qu'il y avait dans la ville un seigneur de grande charité, elle
se hasarda de lui envoyer une supplique ; mais elle n'en reçut qu'une
légère aumône, un carlin, pièce du pays qui vaut un peu moins de 50 centimes. Désolée, elle entre dans une église pour supplier le Dieu des indigents de la protéger dans sa détresse ; tout à coup il lui vient à la pensée d'intéresser à sa situation les âmes du purgatoire. Presque consolée, elle entre à la sacristie, offre sa petite pièce et demande une messe des morts.
Un bon prêtre qui était là s'empresse de la satisfaire, et monte à
l'autel en son nom pendant qu'elle prie prosternée sur le pavé.
Elle sort presque sûre qu'elle sera exaucée, et elle se voit abordée par un bon vieillard qui lui demande la cause de sa tristesse. Elle dit tout ; le vieillard se montre touché, lui adresse quelques paroles d'encouragement et lui remet un billet avec ordre de le porter de sa part à une personne qu'il lui désigne. La pauvre femme s'y rend sans tarder, trouve le cavalier et lui fait sa commission Celui-ci ouvrant le papier semble sur le point
de se trouver mal ; il a reconnu l'écriture de son père, mort depuis
quelque temps déjà... D'où vous vient cette lettre, s'écrie-t-il hors de
lui. Monsieur, répond la brave femme, c'est un charitable vieillard qui
m'a abordée dans la rue et m'a dit de venir vous voir de sa part. Il
avait tels et tels traits, à peu près comme ceux que je vois dans le cadre que vous avez là.
De plus en plus interdit, le cavalier reprend le billet et lit tout haut : Mon fils, votre père vient de quitter le purgatoire grâce
à une messe que la pauvre femme qui vous portera ces lignes a fait
célébrer ce matin. Elle est dans une grande nécessité, et je vous la
recommande moi-même. Surmontant alors son émotion et s'adressant à la
messagère qui attendait craintive : Pauvre mère, lui dit-il, vous avez
assuré la félicité de celui qui m'a donné la vie, je veux à mon tour
assurer la vôtre. Je me charge de vous et de votre famille : il ne vous
manquera rien, j'en fais le serment.
Comprenons
par cet exemple qu'il n'y a pas de petite charité pour les membres de
l'Eglise souffrante, et tout ce qu'on fait pour eux attire des miracles de miséricorde.
(Les Merveilles divines dans les âmes du purgatoire, par le P. G. Rossignoli.)
PRATIQUE.
Faire aujourd'hui une aumône en faveur des âmes du purgatoire, qui sont pour nous les pauvres spirituels.
XIXe JOUR
Suite du même sujet.
Donnez et on vous donnera.
On
dit avec raison que la clef d'or exerce une bien grande puissance
ici-bas ; car avec elle on peut ouvrir les portes de toutes les prisons,
de toutes les villes, et trop souvent corrompre les volontés et perdre
les âmes. Mais si avec de l'or on peut
faire beaucoup de mal, on peut aussi faire beaucoup de bien et en
l'offrant à Dieu par les œuvres de la charité, il peut devenir une clef
assez puissante pour ouvrir même les portes des prisons où sa justice retient captives les saintes âmes que la mort a surprises avant qu'elles n'aient entièrement acquitté la dette qu'elles ont contractée envers elle.
Oui l'aumône est un des moyens les plus efficaces que nous puissions employer pour soulager les âmes du purgatoire ; mais
pour qu'elle leur soit utile, il faut qu'elle soit faite avec les
dispositions qui seules peuvent la rendre agréable à Dieu et lui donner
de la valeur et du mérite à ses yeux. Il
faut d'abord qu'elle soit faite en état de grâce, car tout ce qui vient
d'un mort, dit l'Ecclésiastique, même la louange, est devant Dieu sans
valeur (1).
(1) Eccl. 27, 20.
Ainsi, comme nous l'avons dit dans le chapitre précédent, le pécheur,
en faisant l'aumône, attire sur lui la miséricorde de Dieu ; mais il ne
mérite rien, et son action, quelque bonne qu'elle soit en elle-même,
est une œuvre morte, n'étant pas vivifiée par la grâce ; et s'il en
reçoit une récompense, ce ne peut être qu'une récompense temporelle que
Dieu accorde très souvent aux vertus naturelles de ses ennemis.
Secondement
il faut faire l'aumône pour Dieu, pour son amour et non pour soi. Si on
la fait pour être vu, pour être loué, glorifié par les hommes, elle
n'est plus alors qu'ostentation, que vanité, et n'a ni force ni vertu.
Il ne faut pas la faire non plus uniquement par un sentiment de
compassion naturelle qui nous émeut à la vue des misères
de nos frères et nous porte à les secourir. Sans doute ce sentiment
n'est pas répréhensible ; il est l'indice d'un bon cœur ; mais il faut le spiritualiser
en y joignant l'intention de plaire à Dieu et en lui offrant même la
jouissance qu'il a attachée à l'exercice de la charité.
Faites
l'aumône avec ces dispositions, et vous serez comme cet ange dont saint
Jean parle dans l'Apocalypse, qui tenait dans ses mains la clef de
l'abîme ; cette clef dans votre main sera l'or, l'argent, le vêtement, le morceau de pain, le verre
d'eau froide même que vous donnerez aux pauvres pour l'amour de Dieu ;
avec elle vous ouvrirez les portes de l'abime, et vous y irez consoler
les saintes âmes qui y gémissent.
Peut-être
même Dieu vous accordera-t-il de faire davantage et se servira-t-il de
vous pour délivrer quelques-unes de ces pauvres captives, comme ils
se servit autrefois de son ange pour délivrer saint Pierre de la prison
d'où il ne devait sortir que pour être conduit à la mort. La mort nous a
séparés de parents, d'amis bien chers ; vous les regrettez, vous les
pleurez encore, quoique bien des années aient passé sur le jour qui les enleva à votre tendresse. Mais souvenez-vous que si la justice de Dieu les retient encore dans le lieu de l'expiation, ils attendent de vous autre chose que des larmes
et de stériles regrets. Prouvez-leur donc votre affection en venant à
leur aide d'une manière efficace, et en les aidant à acquitter leurs
dettes, et par vos prières, et par vos aumônes. Donnez un morceau de
pain à ce pauvre qui a faim, donnez un breuvage rafraîchissant à celui
que la fièvre dévore sur son misérable grabat, donnez à cet autre qui
tremble de froid auprès de son âtre éteint un peu de bois pour
réchauffer ses membres glacés, votre charité attendrira le cœur de Dieu, et peut-être aura-t-elle la force de fléchir sa justice et d'arracher des prisons où elles les retient les âmes que vous avez perdues et que vous pleurez.
Ici,
les personnes peu fortunées, les pauvres s'affligeront peut-être en
pensant qu'il n'appartient qu'aux riches de venir au secours de ceux
qu'ils ont aimés par d'abondantes aumônes. Ce serait une erreur de le penser,
car Dieu ne regarde pas à la quantité et à la qualité de ce que nous
lui offrons, mais à l'intention que nous avons de lui être agréable et à
l'amour avec lequel nous lui faisons notre don dans la personne du pauvre.
Ainsi l'obole que l'indigent donnera à son frère plus indigent encore
que lui, pèsera sans doute davantage devant Dieu que la poignée d'or que le riche
jettera dans la bourse d'une quêteuse ou d'une sœur de charité, parce
que l'un donne de son nécessaire, l'autre ne donne que son superflu, et
lors même que la pureté de l'intention serait égale dans tous les deux,
l'aumône du pauvre aurait toujours devant Dieu plus de mérite que celle du riche, parce que la privation qu'il s'impose pour la faire en double la valeur.
Cette vérité est confirmée par ce trait du saint Evangile. Un jour Jésus se tenait à la porte du temple de Jérusalem, et il considérait la foule des riches qui venaient déposer leurs offrandes dans le tronc.
Une pauvre femme s'approcha et y jeta deux petites pièces de monnaie.
Jésus s'adressant alors à ses disciples, leur dit : « En vérité, cette
pauvre femme a donné plus que tous les autres, car tous les autres ont
donné de leur abondance, et elle, elle a donné de son indigence, même
tout ce qui lui restait pour vivre. »
Suivez donc le conseil
que Tobie donnait à son fils. « Soyez miséricordieux, lui disait-il,
autant que vous pouvez l'être. Si vous avez beaucoup, donnez beaucoup ;
si vous avez peu, donnez peu, mais donnez de bon cœur. »
IIe Point. Ce ne sont pas toujours les personnes les plus favorisées des dons
de la fortune qui distribuent de plus abondantes aumônes en faveur de
leurs parents décédés. Et cependant c'est pour elles une injustice et
une ingratitude de ne pas le faire. C'est
une injustice, car les richesses dont elles jouissent, de qui les
tiennent-elles ? à qui appartenaient-eiles avant de leur appartenir ? A
leurs parents , à leurs bienfaiteurs. La mort les a fait passer
dans leurs mains, et aujourd'hui qu'ils sont dénués de tout, et dans
l'impossibilité de faire les bonnes œuvres, les aumônes qu'ils ont
peut-être négligé de faire pendant leur vie ; aujourd'hui que du fond
de leurs brûlants cachots, ils demandent en gémissant à ceux auxquels
ils ont laissé leur bien, de les secourir en en versant une faible
partie dans le sein des pauvres, n'est-ce pas une injustice et une véritable cruauté de la part de ceux-là s'ils négligent de le faire ?
Ce
n'est pas seulement une injustice, c'est encore une ingratitude. En
effet, cette fortune dont jouit ce jeune homme, cette jeune personne,
peut-être leur a-t-elle été acquise au prix des labeurs, des veilles, des sueurs d'un père qui s'oubliait pour leur assurer ce qu'on appelle dans le monde
un heureux, un brillant avenir. Peut-être la doivent-ils encore à
l'ordre, à l'économie d'une tendre mère qui, pour leur assurer plus
d'aisance, s'est condamnée à toutes les privations, à tous les
sacrifices : et maintenant ils jouissent de ces biens si péniblement
acquis, ils les prodiguent pour satisfaire à tous les caprices du luxe
et de la mode ; ils vivent dans les délices, sans penser que ceux
auxquels ils doivent leur bien-être sont en proie à de continuelles
souffrances, qu'ils pourraient adoucir et même faire cesser entièrement
en donnant aux pauvres en leur nom une faible partie des sommes qu'ils dépensent en inutilités et en caprices.
Ah
! si Dieu permettait qu'ils entendissent les plaintes déchirantes de
ceux qu'ils abandonnent ainsi, les supplications qu'ils leur adressent
au milieu des flammes qui les dévorent, sans doute leurs cœurs
seraient attendris, et ils rougiraient d'une ingratitude dont ils-ne se
croient pas coupables, parce que les pensées de la foi ne leur sont pas
habituelles, et qu'elles sont étouffées en eux par le bruit du monde, par ses plaisirs et les préoccupations des choses de la terre.
Prêtons-donc notre voix à ces âmes délaissées,
oubliées peut-être de ceux qu'elles ont tant aimés, et puissent les
plaintes que nous leur adressons en leur nom toucher leurs cœurs et les
porter à les secourir.
Ne viendrez-vous pas à notre aide, ô vous que nous chérissons, que nous avons entourés pendant tant d'années des soins les plus tendres, de l'amour le plus généreux ; le plus
dévoué. Vous, qui nous aimiez aussi et qui tant de fois avez protesté
de votre reconnaissance et de votre dévouement, hélas ! la mort nous
a-t-elle donc si vite effacés de votre souvenir ? N'avez-vous plus pour
nous ni amour, ni reconnaissance, et notre pensée ne dit-elle donc plus
rien à votre cœur, n'y fait-elle plus vibrer aucune fibre de tendresse ?
0 mon fils, souvenez-vous de votre père, de mes travaux, de mes
sacrifices, de tout ce que j'ai fait pour vous amasser la fortune dont
vous jouissez maintenant. C'est pour vous que je me suis consumé de
veilles et de labeurs, j'ai tout fait pour vous assurer l'aisance, le bien-être,
et vous m'oubliez, et vous me laissez en proie aux plus cruelles
douleurs ; vous vivez dans les délices et je suis dans les tourments.
Ingrat, n'est-ce pas de moi que vous tenez tous ces biens, toutes ces
richesses que vous dissipez avec une aveugle prodigalité ? N'est-ce pas
de moi que vous tenez ces maisons, ces terres
dont vous employez les revenus à contenter vos désirs les plus insensés ?
Ah ! si vous aviez employé à soulager les pauvres un peu de cet or que
vous dissipez si follement, il y a longtemps, peut-être, que mes
tourments auraient cessé ; mais, hélas ! vous m'oubliez ; le fils vit dans les plaisirs, le père est dans la douleur ; et pour calmer la douleur du père, le fils ne sacrifierait pas le moindre de ses plaisirs.
0 ma fille, s'écrie d'un autre côté une de ces âmes infortunées, toi que j'ai tant aimée, aie pitié de ta mère, souviens-toi des soins
dont j'ai entouré ton enfance, de mon dévouement, de ma sollicitude
pour éloigner de toi la plus légère souffrance, pour calmer tes moindres
douleurs. Hélas ! tu ne songes qu'à satisfaire ta vanité, tu te
couvres des plus riches vêtements, et ta mère est enveloppée de flammes qui la dévorent et qui la brûlent. Ingrate, tu sacrifies des sommes
énormes pour contenter les caprices d'une vanité toujours croissante,
d'un luxe ruineux, et tu crains de donner aux pauvres quelques pièces
d'or pour ouvrir le ciel à ta mère. Mon
Dieu, quel douloureux contraste ! Ma fille est couronnée de fleurs, et
je suis plongée dans un abîme de feu ; et pour éteindre ce feu qui me
dévore, ma fille ne sacrifierait-elle donc pas une seule des fleurs dont elle orne sa tête, une de ces bagatelles auxquelles elle attache plus de prix qu'au bonheur de sa mère.
Imprudents que nous avons été, disent encore ces pauvres âmes abandonnées,
si nous vous avions moins aimés, si nous eussions été moins préoccupés
de nos intérêts temporels, nous n'en serions pas réduits à implorer
vainement votre pitié. Oh ! que nous eussions été plus sages de faire
nous-mêmes d'abondantes aumônes, et de distribuer aux pauvres une
partie des biens que nous vous avons
laissés, aujourd'hui nous ne pouvons plus rien, nous comptions sur vous ;
hélas ! nous sommes-nous donc trompés ?
Non, non, âmes suppliantes,
vous ne serez pas trompées. Vos enfants, vos amis entendront vos justes
plaintes, s'attendriront sur vos douleurs ; ils n'y sont insensibles
que parce qu'elles ne frappent pas leurs yeux ; désormais ils ne seront
plus ingrats, et par leur charité, par leurs aumônes, ils s'efforceront
d'adoucir vos souffrances et d'y mettre un terme.
PRIÈRE.
Dieu de bonté et de clémence, qui avez donné à l'aumône le pouvoir
de fléchir votre justice et d'attirer votre miséricorde sur nous et sur
ceux que nous aimons, vous qui avez voulu qu'elle soit utile, non
seulement aux vivants, mais encore aux morts, qu'elle puisse couvrir la
multitude de nos péchés et acquitter les dettes de ceux que nous
pleurons. Soyez béni, Seigneur, d'avoir mis en notre pouvoir un moyen si
facile et si doux de leur venir en aide. Si jusqu'à présent nous-avons
négligé de l'employer, nous rougissons de notre ingratitude, et nous
prenons à vos pieds, ô mon Dieu, la ferme résolution de la réparer en
donnant selon nos moyens. Si nous avons beaucoup, nous verserons dans le sein du pauvre
d'abondantes aumônes. Si nous avons peu, nous donnerons peu, mais nous
donnerons de bon cœur, avec joie et pour votre amour, nous nous
estimerons heureux de nous imposer quelques privations pour augmenter la
somme de nos aumônes, en pensant qu'elles seront d'autant plus
agréables et utiles à nos chers trépassés, qu'au mérite de la charité se
joindra celui du sacrifice. Daignez, ô mon Dieu, bénir ces résolutions, et nous accorder la grâce de les accomplir avec fidélité. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Denis le Chartreux
raconte avoir assisté à la mort d'un jeune novice de la Chartreuse de
Ruremonde, qui, averti de songer à son éternité, manifesta une grande
terreur.
Il
regrettait surtout d'avoir négligé la récitation de deux psautiers dont
il avait contracté l'obligation ; il craignait d'avoir à expier sa
négligence par un long et rigoureux purgatoire. Denis releva sa confiance en lui promettant de s'acquitter luimême de ce vœu en son nom.
Le novice
mourut ; mais Denis, qui était supérieur de la communauté, se trouvant
encombré d'affaires, oublia bientôt sa promesse. Dieu permit alors à
l'âme du novice de venir lui rappeler son engagement.
Triste,
désolée, elle lui apparut, lui disant avec un profond soupir :
« Miserere mei. Mon Père, ayez enfin pitié de moi, je vous en conjure. »
Denis, confus et ému, crut pouvoir rejeter son oubli involontaire sur
la multiplicité de ses occupations : n'est pas, lui dit-il, non ce n'est
pas avec préméditation que j'ai omis ces deux psautiers. » « Ah !
s'écria le novice en l'interrompant ; ah !
mon Père, si vous enduriez la millième partie de mes tourments, vous
n'admettriez pas plus que moi d'excuses, aucune raison ne vous
paraîtrait légitime, vous ne différeriez pas même d'une minute, personne
ne sait ce que c'est que souffrir en purgatoire. » (Les Saintes Ames du purg. connues, aimees et soulagées, par un religieux de Notre-Dame de la Trappe.)
PRATIQUE,
Se priver de faire l'achat de quelque objet qui ferait plaisir, et en donner le prix aux pauvres en faveur des âmes du purgatoire.
XXe JOUR
Troisième moyen de soulager les âmes du purgatoire. La souffrance.
Heureux ceux qui souffrent.
Ier Point. Il est un moyen de secourir les âmes du purgatoire qui n'est pas moins puissant que celui de l'aumône et que Dieu a mis à la portée de tous, du pauvre comme du riche, du petit comme du grand ; ce moyen est la souffrance ; et quel est celui qui n'a rien à souffrir ici-cas ? Quel est celui qui soit à l'abri des douleurs physiques ou des douleurs morales ? Hélas ! la souffrance est universelle, elle s'attache à tous les corps, elle pénètre dans toutes les âmes, elle torture tous les cœurs. Le riche, sous les lambris dorés de sa somptueuse demeure, n'est pas plus à l'abri de ses atteintes que le pauvre
sous son toit de chaume ; elle s'attache à l'enfant et au jeune homme, à
l'homme fait comme au vieillard. Personne ne peut se soustraire à ses
atteintes, parce que c'est par elle que Dieu purifie le monde et qu'il sauve les âmes ; mais
dans son immense amour, ce Dieu de bonté veut que rien ne nous soit
aussi salutaire, aussi réellement utile que les afflictions, les
épreuves auxquelles il ne nous soumet jamais que dans des vues de miséricorde sur nous.
Nos souffrances, nos peines soit de corps, soit de cœur, sont pour nous des occasions
de mérites que nous serions bien coupables de perdre par nos
impatiences, nos plaintes et nos murmures contre la Providence. Chaque
jour nous pouvons acquérir de nouveaux trésors pour le ciel,
augmenter la somme de bonheur qui nous y est réservée, car c'est tous
les jours que nous avons à souffrir quelques peines, soit dans le corps,
soit dans l'âme. Mais la souffrance n'est pas seulement méritoire, elle
est aussi satisfactoire ; elle sert à l'expiation de nos fautes, si
nous l'acceptons avec résignation et si nous la supportons avec
patience.
Le mérite
de la souffrance comme celui de toutes les bonnes œuvres que nous
pouvons faire nous est personnel, il est incommunicable, et Dieu n'a pas
permis que nous puissions nous en dépouiller en faveur de personne,
parce qu'il nous est indispensable pour assurer notre bonheur éternel. Le grand apôtre nous dit que chacun moissonnera ce qu'il aura semé, et dans le cinquième chapitre de sa seconde épître aux Corinthiens , il dit : « Il faut que nous comparaissions tous devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive la récompense ou le châtiment, selon qu'il aura fait le bien ou le mal pendant qu'il était revêtu de son corps. » C'est donc une vérité de foi que nous ne serons admis à la gloire du ciel que d'après nos mérites seulement, et non pas d'après les mérites d'autrui.
Nos
souffrances, nous l'avons dit, ne sont pas seulement méritoires, elles
sont aussi essentiellement satisfactoires. La satisfaction nous, sommes
libres de la conserver pour nous-même et de l'offrir à Dieu pour nos
propres péchés, mais nous pouvons aussi la transporter à un autre pourvu
que l'âme en faveur de laquelle nous nous en désaisissons soit en état
de grâce. Or, les âmes du purgatoire sont
dans cette condition ; non-seulement elles possèdent la grâce de Dieu,
mais elles y sont confirmées, elles ne peuvent plus la perdre, c'est
encore là un article de notre foi. Nous pouvons donc transporter à ces
saintes âmes nos satisfactions, et payer les dettes qu'elles ont contractées envers la justice de Dieu ; si nous le faisons nous brisons les liens qui les retiennent en purgatoire, et nous leur ouvrons les portes du ciel auquel elles aspirent avec tant d'ardeur.
Mais
n'oublions pas que pour que nos souffrances soient méritoires pour nous
et qu'elles soient satisfactoires, soit pour nous, soit pour les
autres, il est nécessaire que nous soyons en état de grâce, car dans
l'état du péché mortel il est impossible
de mériter et de satisfaire à la justice de Dieu pour soi-même, et bien
moins encore pour les autres. C'est là la doctrine de saint Thomas. Quel
malheur ne serait-ce pas pour nous de perdre par notre faute le mérite
de tant de souffrances, de tant de sacrifices qui sont inévitables dans
la vie et qui, supportés avec résignation, accomplis avec courage, nous
font acquérir d'immenses trésors pour le ciel
si nous sommes en état de grâce, et peuvent même nous en ouvrir les
portes aussitôt après notre mort, si nous les supportons avec une
parfaite conformité à la volonté de Dieu qui nous les impose.
Oh ! qu'il est triste de penser qu'une multitude de pauvres pécheurs dont la vie n'est pas plus à l'abri que celle des justes, des souffrances, des épreuves et des afflictions, en perdent absolument tout le mérite,
parce qu'ils vivent dans l'inimitié de Dieu. Quelles que soient leurs
douleurs, leurs peines soit morales, soit physiques, aucune d'elles ne
leur sera jamais comptés, tout est perdu, tout est inutile pour eux, et
les souffrances qu'ils endurent en ce monde ne les exempteront pas de
celles que la justice de Dieu leur infligera dans l'autre. Demandons
donc à Dieu, qui ne les éprouve que dans sa miséricorde, et que pour les
forcer en quelque sorte à revenir à lui, de dessiller leurs yeux, de
toucher leurs cœurs et de leur faire comprendre au plus tôt le tort irréparable qu'ils font à leur âme.
Quant à ceux qui ont le bonheur
de posséder la grâce de Dieu, qu'ils la conservent avec soin, qu'ils se
réjouissent dans leurs souffrances en pensant à la magnifique
récompense qui en sera le prix, et qu'ils ne laissent rien perdre des précieux trésors que Dieu met chaque jour entre leurs mains.
IIe Point. Lorsque nous possédons la grâce de Dieu, nous pouvons, comme nous venons de le dire, satisfaire à la justice de Dieu pour les âmes du purgatoire
par nos souffrances, soit que nous nous en imposions de volontaires,
soit que nous offrions en leur faveur celles que la Providence nous
ménage. Les souffrances volontaires que nous pouvons nous imposer et
offrir à Dieu à leur intention, sont le jeûne et toutes les pratiques de pénitence autorisées par l'Eglise. Si nous n'avons pas le courage de nous astreindre à des pratiques de pénitence que notre lâcheté nous fait ordinairement regarder comme au-dessus de nos forces, ayons au moins le courage d'accomplir
celles qui nous sont imposées par l'Eglise et qui, par là même, sont
obligatoires pour nous, à moins que de graves motifs de santé ne nous en
dispensent.
Mais si nous n'avons pas la force de jeûner et de pratiquer aucune austérité en faveur des âmes du purgatoire, quel est celui qui peut dire qu'il n'a pas la force de pratiquer pour elles le jeûne
spirituel et de s'imposer en leur faveur quelques petites
mortifications, quelques légers sacrifices. Ainsi vous ne pouvez pas
jeûner ; mais vous pouvez dans un repas vous priver d'un mets qui
flatterait votre goût et votre sensualité. Vous ne pouvez pas vous
livrer à des veilles qui altéreraient
votre santé, mais si vous êtes parfois privé de sommeil vous pouvez
offrir à Dieu vos insomnies pour ces saintes âmes, vous pouvez vous priver pour elles de la vue des objets qui satisferaient votre curiosité, faire le sacrifice
d'une lecture qui vous ferait plaisir, d'un concert qui charmerait vos
oreilles. Enfin, vous pouvez pardonner une injure, vous en venger par un
bienfait. Toutes ces choses sont faciles, il ne faut qu'un peu de bonne
volonté pour les faire, et toutes cependant sont de véritables moyens
de satisfaire à la justice de Dieu pour les âmes qui nous sont chères.
Si ce moyen de soulager les âmes du purgatoire est
encore au-dessus de votre courage, la Providence vous en fournit
d'autres auquels il n'est pas en notre pouvoir d'échapper, et que nous
serions inexcusables de laisser perdre, et pour nous et pour les autres.
Ces moyens, nous l'avons déjà dit, sont les souffrances qui ne sont pas
de notre choix et qui, par cela même, n'en sont que plus méritoires. Ce sont les afflictions, les épreuves, les peines de corps et de cœur, inévitables dans la vie. Hélas ! nous le savons, on en trouve partout, dans tous les états, dans toutes les conditions ; tantôt l'épreuve descend du ciel, tantôt elle monte de l'enfer. Dieu nous l'envoie, ou bien il permet à l'esprit du mal
de nous éprouver par la tentation. Non, non, les occasions de souffrir
ne nous manquent pas, c'est nous qui manquons d'en faire un saint usage
et qui, par nos impatiences, par nos murmures, abusons d'une des plus précieuses grâces que Dieu nous accorde pour notre salut.
Tout
est tour à tour pour nous une occasion de souffrances. Tantôt nous
souffrons dans notre esprit, qui est sans cesse ballotté par les vagues
toujours flottantes de nos pensées, pensées que nous devons souvent
combattre pour échapper au mal, et qui parfois nous poursuivent avec
d'autant plus d'acharnement et de persistance, que nous les repoussons
avec plus de force et de constance. D'autres fois ce sont des pensées tristes qui portent le trouble dans notre imagination, le découragement et l'abattement dans notre âme. Nous souffrons également du changement bizarre de nos désirs, de l'inconstance de notre volonté, des ténèbres qui si souvent obscurcissent notre intelligence.
A
combien de douleurs notre corps n'est-il pas sujet ? à combien de
misères, d'infirmités, nos sens, dont chacun nous est si précieux, ne
sont-ils pas exposés ? Nous pouvons perdre la vue, l'ouïe ; nous sommes
tantôt péniblement affectés par les répugnances de l'odorat, par celles du goût, par les impressions douloureuses de l'attouchement ; puis, en avançant
dans la vie, nos forces s'épuisent, notre vigueur s'éteint, nous
décroissons, nous vieillissons, et notre corps ressemble à une mine dont
chaque jour fait tomber une pierre, jusqu'à ce que le souffle de la mort le renverse entièrement. Enfin nous avons encore à souffrir de l'inclémence des saisons, de la rigueur du froid, ou des brûlantes chaleurs de l'été ; nous sommes exposés aux orages, aux désastres par le désordre des éléments, en un mot à tous les maux que peuvent subir des êtres mortels et corruptibles. *
Notre vie sur la terre, on peut le dire
avec vérité, n'est qu'une longue et continuelle douleur. Devons-nous
nous en plaindre ? Non, puisque toutes nos peines peuvent devenir pour
nous, si nous le voulons, des sources de mérites et de vertus que Dieu couronnera un jour de sa gloire et de sa propre félicité.
Toute
notre vie est une souffrance ; mais sachons faire de cette souffrance
un moyen de salut pour nous et pour les autres ; servons-nous-en pour
soulager la plus cruelle de toutes les douleurs, celle que subissent les
saintes âmes du purgatoire. La faim, la soif, le froid, le chaud,
les travaux, la lassitude, les maladies nous font tour à tour sentir
leurs douloureuses atteintes ; jetons tout cela dans l'un des plateaux de la balance de la justice de Dieu, et mettons dans l'autre les âmes de nos morts ; nos souffrances l'emporteront, et de plus, par le même mouvement, elles élèveront au ciel les âmes que nous aimons.
Mais surtout n'oublions pas que le chrétien
en état de grâce est un membre vivant de Jésus-Christ qui lui
communique son esprit et sa vie. Celui qui demeure dans mon amour, dit le Sauveur,
demeure en moi et je demeure en lui. D'après cela, nos souffrances, nos
bonnes œuvres ne doivent plus être considérées comme des œuvres
humaines ; il faut les regarder comme divinisées par l'influence de
Jésus-Christ, qui souffre et agit alors en nous, et ces souffrances et
ces œuvres, qui, par leur union avec celles de notre adorable Sauveur,
deviennent en quelque sorte les siennes, ne nous méritent pas seulement
une éternelle participation à la gloire de Dieu, elles acquièrent encore
une vertu capable de satisfaire à sa justice, soit pour nous, soit pour
les autres.
PRIÈRE.
Soyez
béni, ô mon Dieu, qui avez voulu que les souffrances, que les peines
incessantes dont notre vie est semée deviennent pour nous une source si
abondante de mérites et un moyen de satisfaire à votre justice pour les âmes que
nous aimons. Désormais, ô mon Dieu, loin de nous plaindre de la
pesanteur de nos croix, de la multiplicité de nos afflictions, de la
longueur de nos infirmités, nous les regarderons comme des marques de votre amour, comme des grâces
de choix et un signe de prédestination ; loin d'en murmurer, nous les
supporterons avec patience, avec résignation, heureux si à l'aide de
votre grâce nous pouvions arriver à les aimer et à les supporter avec
joie. Nous les unirons toujours à celles de notre divin Sauveur, puisque
cette union seule peut les rendre méritoires, et nous vous supplierons de les accepter pour l'expiation des âmes qui
nous sont si chères et qui n'ont pas encore acquitté tout ce qu'elles
doivent à votre justice. Daignez , Seigneur, abaisser sur nous et sur
les âmes pour lesquelles nous vous offrons nos souffrances, un regard de miséricorde. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
On lit dans les Annales de la Visitation, de Dijon, le trait suivant :
La
sœur Marie-Bernarde Chicolier, qui s'est élevée à une si haute
sainteté, fut prévenue, dès ses jeunes années, de grâces particulières ;
elle conçut de bonne heure le dessein de se consacrer à Dieu. Elle fut admise au saint habit et à la sainte profession sous le gouvernement de notre mère Anne-Liduvine Boulier. La mère Chahu, qui lui succéda, soutint cette chère sœur au milieu des grandes
épreuves par lesquelles il plut au Seigneur de la faire passer. En
effet, Dieu imprima dans son cœur l'horreur la plus vive pour les
moindres imperfections, en permettant qu'une âme du purgatoire lui
apparût et lui fût en quelque sorte toujours présente. Notre mère, à
qui cette chère sœur découvrit ce qu'elle souffrait, la fit examiner par
M. Chaudot, notre supérieur, et par le R.
P. Jaquinot, provincial de la Compagnie de Jésus, lesquels jugèrent,
après un sérieux examen, qu'il n'y avait en cela ni illusion ni
imagination. Il fut donc décidé que la communauté ferait célébrer un
grand nombre de messes et réciterait tous les jours un De profundis
pour le repos de cette àme, et que la sœur Chicolier aurait la liberté de faire des pénitences
particulières à cette intention. Cette chère sœur pratiqua de grandes
austérités, offrant d'ailleurs pour cette àme toutes ses bonnes œuvres,
qui étaient en grand nombre, et ne se permettant pas un seul mouvement
naturel ni la plus légère satisfaction. Le prêtre
chargé de célébrer les messes était un religieux capucin d'une grande
sainteté, qui ignorait complétement ce qui s'était passé. Il vint un
jour trouver notre mère Ghahu, et l'assura que l'âme pour laquelle elle
faisait prier depuis longtemps était entrée en possession de la gloire du ciel. (Mois consolateur des âmes du purgatoire, par le R. P. Huguet.)
PRATIQUE.
0ffrir aujourd'hui toutes nos peines, soit de corps, soit de cœur ou d'esprit, pour le soulagement des âmes du purgatoire.
XXIe JOUR
Quatrième moyen de soulager les âmes du purgatoire : La sainte Communion.
Celui qui mange ma chair a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.
Ier Point. Pendant le cours
de leur pèlerinage ici-bas, les parents, les amis qui nous ont précédés
dans l'éternité se sont assis comme nous et peut-être souvent avec nous
au banquet divin de l'Eucharistie. Le pain sacré que Jésus, dans son immense amour, leur a donné comme il nous le donne
à nous-méme, a été pour leur âme un gage de vie et d'immortalité, et à
leurs derniers jours, ce viatique céleste est venu les fortifier dans le passage du temps à l'éternité, leur assurer la victoire dans le dernier combat et déposer dans ces corps, dans lesquels la vie s'éteignait sous les douloureuses étreintes de la mort, le germe de cette glorieuse immortalité, fleur divine qui a ses racines dans le corps glorifié de Jésus ressuscité, et qui, au dernier jour du monde, s'épanouira dans une magnifique floraison en chacun de ses élus.
Ce pain de vie qui a fait les délices de quelques unes de ces saintes âmes, est refusé maintenant à leurs désirs, à leur sainte avidité, Cette manne céleste ne tombe pas sur la terre de feu qu'elles habitent, et l'éternelle communion du ciel
est la seule qui puisse maintenant avoir lieu pour elles. 0h ! avec
quelle ardeur, quelle sainte impatience elles la désirent et elles
l'attendent. Les désirs les plus vifs, les plus brûlants des saints
qui ont été les plus saintement passionnés pour la sainte Eucharistie,
les langueurs, les amoureuses défaillances que leur causait la privation
de cet aliment divin ne peuvent nous donner qu'une imparfaite idée de
la vivacité, de l'ardeur avec laquelle ces pauvres exilées du ciel soupirent après le moment
où elles seront pour toujours unies à ce Dieu si bon de l'Eucharistie,
qui leur a si souvent laissé entrevoir ses amabilités dans le sacrement
de son amour ; et qui va bientôt leur permettre de s'abreuver au
torrent de délices dont sa bonté leur a laissé parfois entrevoir les
inénarrables voluptés.
Cette table eucharistique, où il n'est plus permis à ces âmes élues
de venir prendre place, est encore dressée pour nous. L'amour de notre
divin Sauveur nous invite à venir nous y asseoir ; il nous presse de lui
ouvrir l'entrée de nos cœurs et de le laisser
venir à nous pour nous communiquer sa vie, sa force, ses lumières, pour
nous combler de ses grâces et de ses consolations. Puis, dans son
infinie bonté, il veut encore que nous puissions faire participer les âmes des fidèles
défunts aux grâces qu'il répand alors sur nous avec tant de libéralité,
et que la sainte communion soit encore pour nous un moyen puissant et
efficace de les soulager. Il y a, il est vrai, dans la sainte communion des grâces
qui sont personnelles à celui qui la fait et auxquelles il ne peut
faire participer ni les vivants ni les morts. Ainsi la communion est la
nourriture de notre âme ; elle la soutient, la fortifie, la fait croître
en vertu, conserve et augmente en elle la vie de la grâce. Or il est
certain que la nourriture ne peut profiter qu'à celui qui la prend ; la
communion ne peut donc produire tous ses effets que dans celui qui la
reçoit.
La
communion produit encore dans celui qui la reçoit avec les dispositions
nécessaires d'autres effets non moins précieux. Elle lui donne les
grâces actuelles dont il a besoin pour faire le bien et pour éviter le mal
; elle lui remet les fautes vénielles qu'il aurait omis de confesser ;
elle lui remet enfin la peine, ou une partie de la peine temporelle
qu'il a pu encourir par ses péchés. Or aucun de ces admirables effets ne
peut être transféré à un autre ; ils sont personnels, et il est facile
de le prouver.
Ainsi
la grâce sanctifiante ne peut se transporter à un autre, parce que
c'est un don personnel qui demeure dans l'âme de celui qui la mérite et
qui la reçoit.
Il en est de même des lumières et des pieuses
inspirations que nous appelons grâces actuelles, parce que Dieu nous
les accorde spécialement pour nous et qu'elles viennent en certains
temps, en certains lieux, en certaines circonstances, comme les suites
et le fruit de la communion que nous avons eu le bonheur de faire, et comme le complément de la grâce sanctifiante que cette communion a fortifiée et augmentée en nous.
Le troisième effet, qui est la rémission des péchés véniels, ne peut pas non plus être appliqué aux âmes du purgatoire, car ces âmes sont sans péché ; elles
ont seulement à subir les peines qu'elles ont encourues par leurs
péchés, qui leur ont été pardonnés pendant qu'elles étaient encore sur
la terre.
Pour la remise des peines
temporelles accordée par la communion, elle ne peut pas davantage être
concédée. Saint Thomas en donne deux raisons. La première, c'est que
l'Eucharistie, en tant que sacrement, n'a point été instituée pour
remettre les peines temporelles aux personnes qui ne s'en approchent
pas. La seconde est que tout ce qui se donne par les sacrements, en
vertu et par la force de ces sacrements, est personnel aux âmes qui les reçoivent, Nous ne pouvons céder à autrui que ce que nous sommes libres de donner.
Mais il y a une autre manière d evisager la communion, et c'est dans ce second sens qu'elle peut être profitable aux âmes du purgatoire. 0n
peut considérer la communion par rapport à la personne qui la fait, et
alors elle est une œuvre véritablement satisfactoire ; rien n'est plus
facile à prouver.
Il y a parmi les théologiens, sur le principe
de la satisfaction en général, deux opinions. Les uns disent que la
bonté de l'œuvre suffit pour la rendre satisfactoire, bien qu'elle soit
facile à faire. Autrement, toutes les actions que la sainte Vierge et
les saints ont faites avec tant de consolations et de douceurs
n'auraient pas été satisfactoires, l'exercice de la charité, de
l'aumône, qui procure à l'âme de si ravissantes jouissances, ne le serait
pas non plus, ce qui n'est pas soutenable, d'où nous devons en conclure
que la sainte communion, quoiqu'elle soit la plus douce de toutes les
actions que nous puissions faire, est néanmoins une œuvre satisfactoire.
Les autres enseignent que la bonté de l'œuvre est le principe du mérite, et sa difficulté le principe
de la satisfaction. Ainsi plus une œuvre est sainte, plus elle est
méritoire ; plus elle est difficile, plus elle est satisfactoire. Mais
quelque sainte et quelque élevée qu'elle soit, une œuvre est dépourvue
de satisfaction si elle se fait sans difficultés. Ces deux opinions
viennent à l'appui de ce que je veux prouver. Si la bonté d'une action
suffit pour la rendre satisfactoire, la communion l'est essentiellement,
car quelle action est meilleure, plus sainte et plus excellente ?
En
suivant la seconde opinion, je dis encore que la communion est
satisfactoire, car il ne faut pas la considérer seulement dans la
réception dusacrement, qui n'est
nullement pénible, mais dans les actes qui la précèdent, qui
l'accompagnent et qui la suivent, et qui, par les difficultés qu'ils
présentent, deviennent de véritables œuvres satisfactoires. Qui ne
conviendra qu'il en coûte pour rentrer en soi-même et sonder les replis
de sa conscience ; qu'il en coûte plus encore pour faire l'humble et
sincère aveu de ses fautes ; qu'il en coûte enfin pour apporter à cette
grande action toutes les dispositions qu'elle demande ?
IIe Point. Quand nous avons le bonheur
de communier, nous sommes unis à Jésus-Christ d'une manière si intime,
que chacun de nous peut dire après cette grande action ce que disait
l'Apôtre des nations : « Non, ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » 0ui, notre adorable Sauveur, qui
nous transforme alors en lui, s'empare en quelque sorte de notre vie
pour vivre en nous, pour donner à chacune de nos actions un mérite
qu'elles ne sauraient avoir par elles-mêmes, et qu'elles tirent
uniquement de leur union avec lui. Ainsi, après la sainte communion, nos
prières, nos actions de grâces sont les prières, les actions de grâces
de Jésus. C'est lui qui prie, qui demande en nous ; nos souffrances
sont le complément, la continuation de celles de sa Passion, puisque nous sommes des membres vivants. Enfin nous aimons Dieu en quelque sorte avec le propre cœur de Jésus, avec son amour, car c'est alors surtout qu'il augmente dans nos âmes ce feu sacré qu'il est venu apporter sur la terre, et dont il désire nous voir tous embrasés.
Après la communion, le Père
céleste abaisse sur nous un regard de complaisance ; il ne nous voit
plus nous-mêmes, car alors nous disparaissons complétement à ses yeux,
cachés sous le riche manteau des mérites
de son Fils bien-aimé, et nos prières sont bien plus facilement
exaucées dans ce moment que dans tout autre, car comment Dieu
pourrait-il rejeter une prière qui est annoncée par la voie de ce fils,
objet de ses complaisances et de son amour. 0ui Jésus est alors un même
esprit, un même cœur, une même langue avec nous. Il parle en nous, nous
parlons en lui, il prie par nous, nous prions par lui, enfin il est
entendu de son Père par l'entremise de nos paroles, et nous sommes
exaucés par l'entremise de ses mérites.
Saint
Grégoire de Nysse dit de même que lorsqu'une personne a mangé d'un
fruit parfumé elle en exhale une odeur douce et agréable ; de même quand nous avons mangé le pain des anges et toutes les délices du ciel, notre bouche en porte le parfum délicieux jusqu'au trône de Dieu. Nous plongeons nos langues dans les plaies adorables du Fils, dit encore saint Cyprien, comment ne toucheraient-elles pas le cœur du Père ?
Non, il n'est pas possible que le cœur de Dieu ne soit pas touché par les humbles prières que lui adresse une langue encore empourprée du sang de Jésus-Christ, et qu'il n'accorde pas aux âmes du purgatoire la miséricorde qu'elle implore pour elles. Ce sang adorable, dit le grand apôtre, parle plus éloquemment que le sang d'Abel. Le sang d'Abel demandait justice contre son frère, et il l'obtint. Celui de Jésus demande grâce pour les âmes qui lui sont chères, comment ne l'obtiendrait-il pas ? A la voix du sang d'Abel, Dieu fit une action contraire à son inclination naturelle, il châtia un coupable. A la voix du sang de son Fils bien-aimé, il refuserait une grâce qui est si conforme à l'inclination de son infinie miséricorde ! Ah ! ne le croyons
pas, et soyons assurés au contraire que chaque goutte de ce sang
adorable dont nous sommes couverts après la sainte communion est une
voix toute-puissante qui s'élève jusqu'à Dieu et à laquelle son cœur ne
résiste jamais.
Une raison qui doit encore nous engager à communier souvent pour les âmes du purgatoire, c'est
que la communion, en augmentant en nous la grâce sanctifiante, nous
rend plus agréables à Dieu et donne par là même plus de prix, plus de
mérite à ses yeux à toutes les bonnes œuvres que nous lui offrons dans
l'intention d'obtenir le soulagement des âmes du purgatoire. Ne
refusons donc pas d'employer un moyen si doux et si facile de leur
venir en aide, de soulager leurs souffrances et même d'y mettre un
terme. Oui, quand Jésus est en nous par son Eucharistie, nous
participons en quelque sorte ii sa puissance, et par nos prières nous
pouvons alors ouvrir les portes du purgatoire pour en faire sortir les saintes âmes qui y gémissent, ouvrir le ciel pour leur en donner le bonheur et la gloire.
Si un suppliant veut obtenir d'un prince une faveur qu'il désire ardemment, il s'efforce de le disposer à la lui accorder en lui offrant, s'il le peut, des présents
précieux, auxquels il sait qu'il attachera un grand prix. Agissons de
même avec Dieu ; après la communion, nous pouvons lui offrir un don qui
surpasse en valeur tout ce que nous lui demandons. Ce don est son Fils
bien-aimé. Il nous appartient, puisqu'il s'est donné lui-même à nous
pour être notre bien, notre propriété, pour- que nous puissions en user
comme d'un trésor qui nous appartient. Usons-en donc en faveur des âmes qui nous sont chères, offrons-le à Dieu pour leur rançon, pour le prix de leur délivrance, et disons-lui sans crainte : Mon Dieu, en vous demandant de hâter le bonheur
éternel de mon père, de ma mère, de mon enfant, de mon ami, je vous
demande une grande grâce ; mais en vous offrant Jésus, je vous offre
infiniment plus que je ne vous demande. Je ne vous dis plus, Seigneur,
d'oublier les droits de votre justice, puisque Celui que je vous offre
les a tous sauvegardés en se faisant lui-même victime pour nos péchés.
Ses mérites, son sang, il m'a tout donné en se donnant lui-même à moi
par la sainte communion, et je vous l'offre lui-même avec tous les biens
que je tiens de sa libéralité pour obtenir la délivrance de ces âmes, qu'il aime plus encore que je ne peux les aimer moi-même.
Communions donc, communions souvent pour ces âmes tant aimées dont le bonheur nous est cher à l'égal de notre propre bonheur, et bientôt, croyons-le, l'éternelle
communion commencera pour elles, et elles iront contempler dans sa
gloire celui que nous n'entrevoyons ici-bas qu'à travers les ombres de
la foi, ce Jésus qui, après avoir été dans le sacrement de son amour le consolateur des douleurs de notre exil, sera un jour, espérons-le, notre bonheur dans la patrie. Ainsi soit-il.
PRIÈRE.
Vous
êtes juste, ô mon Dieu, mais votre miséricorde surpasse votre justice,
non que vous ne soyez infini dans toutes vos perfections, mais parce que
vous retenez toujours les effets de l'une, tandis que vous ne mettez
pas de bornes à ceux de l'autre. Vous ne châtiez qu'à regret, vous
laissez apercevoir votre amour à travers vos plus terribles rigueurs, et
en appesantissant votre bras sur les saintes âmes du purgatoire,
vous nous laissez voir que vous désirez avec ardeur que nous venions
nous opposer à votre justice et arrêter les coups dont elle les frappe.
Oh ! que c'est avec raison, ô mon Dieu, que le prophète
Habacuc s'écriait : « Lorsque s'allumera votre colère, vous vous
souviendrez de votre miséricorde. » Vous ne sauriez l'oublier celte
miséricorde, Seigneur, et si vous blessez d'une main, vous guérissez de l'autre.
En effet, si votre justice a préparé dans l'autre vie un lieu d'expiation où les âmes les
plus saintes doivent se purifier encore avant d'être admises dans votre
royaume, vous vous laissez fléchir par nos larmes, et il ne faut
souvent qu'un soupir de notre cœur pour que le vôtre leur fasse grâce. Vous retenez ces saintes captives dans un feu qui brûle comme le feu de l'enfer. Mais si nous nous rappelons que Jésus a donné pour elles les larmes de ses yeux, le sang
de ses veines, l'eau qui sortit de son divin cœur entr'ouvert sur la
croix, ce feu terrible perd ses ardeurs et il s'éteint bientôt. Vous
retenez les âmes de nos proches dans les prisons de votre justice, mais vous voulez qu'en mangeant le pain des anges
nous puissions leur en ouvrir les portes. Soyez donc béni, ô Père
infiniment miséricordieux, et recevez la promesse que je vous fais
aujourd'hui de communier souvent en faveur des saintes âmes du purgatoire, afin
que vous ne voyiez plus en moi que votre Fils bien-aimé, et que ma
voix, couverte par la sienne, parvienne jusqu'à vous et m'obtienne plus
sûrement la grâce que je sollicite. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Un
jour, les anges apportèrent une hostie consacrée à la bienheureuse
Jeanne-de-la-Croix, religieuse de l'ordre de Saint-François, afin
qu'elle communiât pour la délivrance d'un âme qui avait eu une ardente
dévotion envers le très-saint Sacrement. Pendant son oraison, la sainte fut ravie en esprit, et demeura
quelque temps comme privée de sentiment. Une religieuse était entrée
dans la cellule de la bienheureuse, la tira de cette extase par le bruit
qu'elle fit en dérangeant un meuble. « Retirez-vous, lui dit vivement
Jeanne, et prenez garde de toucher à l'objet qui est posé sur le linge
que vous voyez là, car c'est la divine Eucharistie apportée par les
anges. — Comment cela peut-il être ? demanda la sœur stupéfaite. Jeanne
lui fit part, sous le sceau du secret,
de ce gui venait d'arriver. Un pécheur endurci, après avoir longtemps
vécu dans la disgrâce de Dieu, venait d'être condamné au feu de l'enfer.
Croyant à une conversion sincère, on lui avait donné le saint
viatique : et la mort avait surpris cet homme ayant encore la sainte
hostie dans la bouche. Les anges, ajouta-t-elle, ne pouvant souffrir une
telle profanation, avaient retiré de cette bouche impure la divine
hostie et venaient de la lui apporter. De plus, continua Jeanne, ils
m'ont ordonnné de communier demain matin en faveur d'une âme du purgatoire ; qui
avait une grande dévotion au très-saint Sacrement. Les mêmes anges
m'ont avertie de votre présence pour que je vous prévinsse de ne pas
toucher à cet adorable objet. Elle communia en effet avec cette hostie,
et fut bientôt assurée que l'âme pour laquelle elle avait offert cette
communion était montée au ciel.
PRATIQUE.
Faire une communion en faveur des âmes du purgatoire et promettre à Dieu d'employer souvent ce moyen de les secourir.
XXI Ie JOUR
Le saint sacrifice de la Messe, cinquième moyen de soulager les âmes du purgatoire.
Le sang des boucs et des taureaux, ne vous était plus agréable, et j'ai dit : Me voici, pour accomplir votre volonté.
Ier Point. « Il y a, dit un pieux auteur, entre le sépulcre et le purgatoire plus d'un rapport mystérieux. Le sépulcre est comme le purgatoire du corps, et le purgatoire est comme le sépulcre de l'âme. Dans le sépulcre, le corps se dissout et se transforme ; dans le purgatoire, l'âme se purifle et se transfigure. Le sépulcre tire vengeance des excès commis par le corps, le purgatoire fait justice des fautes commises par l'âme. Dans le sépulcre le corps attend le signal de la résurrection donné par la trompette des anges, car la trompette sonnera, a dit le grand apôtre, et les morts sortiront de leurs tombeaux. Dans le purgatoire les âmes attendent la résurrection de la bouche des hommes (l). »
Mais comment pouvons-nous ressusciter ces âmes ? Par la vertu de celui qui a dit : « Je suis la résurrection et la vie. Jésus-Christ est devant un tombeau ; le mort qu'il renferme exhale déjà l'odeur de la putréfaction. Jésus jette un cri, Lazare sort du tombeau, et Lazare est ressussité. Le sang de Jésus-Christ a plus de puissance encore que sa parole ; il ressuscite les âmes ; servons-nous de ce sang adorable par le saint sacrifice de la messe ; et si nous ne ressuscitons pas les saintes âmes du purgatoire à
la vie, puisqu'elles la possèdent par la grâce dans laquelle elles sont
confirmées, nous les mettrons en possession de la vie bienheureuse,
dont celle de la grâce est pour elles le gage certain. »
De tous les moyens que nous avons indiqués jusqu'ici pour le soulagement des âmes du purgatoire, aucun n'est aussi puissant, aussi efficace que le saint
sacrifice de la messe, dont nous allons nous occuper aujourd'hui. C'est
un article de notre foi, et pour comprendre la vertu de cet adorable
sacrifice, rappelons-nous ce qu'étaient ceux de l'ancienne alliance.
Il y avait autrefois trois sortes de sacrifices, l'holocauste, le pacifique et le propitiatoire. L'holocauste, dans lequel la victime était entièrement détruite et consumée par le feu, s'offrait pour rendre à Dieu le culte et les adorations qui lui sont dues, et pour reconnaître son souverain domaine sur toutes les créatures. Le pacifique s'offrait, ou en actions de grâces des bienfaits reçus, et il se nommait eucharistique, ou pour demander de nouvelles faveurs, et alors il prenait le nom d'impétratoire. Le sacrifice propitiatoire s'offrait pour apaiser la justice de Dieu et pour obtenir le pardon des péchés commis, en même temps que la rémission des peines qui en sont les suites.
Le saint sacrifice de la messe est l'unique sacriflce
de la loi de grâce, mais il renferme en lui seul la vertu de tous les
anciens sacrifices. Non seulement il renferme toutes leurs vertus, mais
il les surpasse tous en valeur et en excellence. Qu'étaient, en effet,
toutes les victimes offertes à Dieu sous la loi de crainte, en
comparaison de l'adorable victime que nous lui offrons aujourd'hui ;
quelle valeur pouvait avoir le sang des animaux qui rougissait ces autels, si on le compare au sang divin de la rédemption qui, tous les jours et à chaque instant du jour, coule pour sa gloire et pour notre salut, sur tous les autels du monde catholique. Ah ! tous les anciens sacrifices n'étaient agréés du Seigneur que parce qu'ils étaient la figure du grand sacrifice offert pour la première fois sur le Calvaire, et que l'Eglise continuera à lui offrir jusqu'à la consommation des siècles.
Toutes ces victimes égorgées sur ces autels ne pouvaient lui être
agréables que parce qu'elles étaient l'image de l'Agneau divin immolé
sur l'autel de la croix ; ce n'était qu'en vue de ses mérites que Dieu
agréait les adorations des hommes, qu'il
abaissait un regard de miséricorde sur la terre, qu'il pardonnait aux
coupables, et répandait ses grâces et ses bienfaits sur le genre humain.
Le saint sacrifice de la messe, qui est le même
que celui de la croix, rend à Dieu une gloire infinie, et nous avons
raison de dire qu'il renferme en lui seul la vertu de tous les anciens
sacrifices. Il procure à Dieu un honneur que les autres ne pouvaient pas
lui procurer. Il est, par lui-même, le sacrifice d'actions de grâces par excellence ; seul il a le pouvoir d'attendrir son cœur, de le toucher en notre faveur, de nous obtenir le pardon de nos fautes, et la remise des peines qu'elles nous ont fait encourir. Si le sang des boucs et des taureaux, dit saint Paul, si l'aspersion de l'eau mêlée à la cendre d'une génisse, répandue sur le peuple hébreu, suffisait pour le purifier, à combien plus forte raison le sang
de Jésus-Christ, immolé sur nos autels , et présenté à Dieu par celui
qui est à la fois prêtre et victime, ne doit-il pas purifier nos âmes. »
0ui,
quelque grandes, quelque nombreuses que soient nos fautes, il ne faut
qu'une goutte de ce sang adorable pour les effacer toutes. « Voulez-vous
savoir, dit saint Augustin, ce que Dieu peut vous pardonner, voyez ce
que Jésus-Christ a donné pour mériter votre pardon. Il a donné tout son
sang, et rien dans le ciel, rien sur la
terre ne saurait égaler la valeur de ce sang divin. Dieu peut en appeler
à sa justice contre nous, il peut réclamer tous ses droits, nous
n'avons rien à craindre : le sang de Jésus-Christ est suffisant pour satisfaire à tout et pour acquitter toutes nos dettes.
Mais notre dette est infinie, nos offenses ont été sans nombre, elles méritent des peines éternelles. Ne craignons rien encore et mettons toute notre confiance dans le sang
de l'adorable victime que nous offrons à Dieu pour notre rançon. La
vertu de ce sang est toute-puissante, elle est infinie ; une seule
goutte suffit pour effacer une multitude de fautes, pour remettre une
éternité de peines, et Jésus-Christ nous a prodigué cette divine
liqueur, il nous l'a donnée jusqu'à la dernière goutte. Par cette
oblation, dit le grand Apôtre, il a consommé la sanctification des âmes pour l'éternité.
IIe Point. Le saint sacrifice de la messe n'est pas seulement utile aux vivants, il l'est également aux morts, et la voix toute-puissante du sang
adorable de la victime sans tache que nous offrons à Dieu, ne s'élève
pas seulement vers lui pour lui demander grâce et miséricorde pour les
tldèles qui militent encore sur la terre, mais aussi pour les âmes des fidèles
trépassés. Ce sang divin se répand sur les uns pour les soutenir et les
fortifier dans les combats de la vie présente, pour les laver de leurs
souillures, et les préserver d'en contracter de nouvelles. Il descend
sur les autres comme une douce rosée qui les rafraîchit en tempérant
l'activité des flammes qui les dévorent.
Il dépend en quelque sorte de nous de l'y faire descendre non par
gouttes , mais par torrents, et alors il ne tempérera pas seulement
l'activité du feu qui tourmente ces saintes âmes, il l'éteindra entièrement si nos prières sont assez ferventes pour leur obtenir cette grâce. Le sang de Jésus-Christ, dit saint Bernard, est la vraie clef du paradis.
Il faut distinguer dans le saint
sacrifice de la messe une triple puissance, et d'abord une puissance
d'action, c'est-à-dire que cet adorable sacrifice nous communique une
grâce spéciale ; cette grâce nous est donnée en proportion des dispositions que nous apportons à la recevoir.
Les théologiens nous le font entendre, quand ils nous enseignent que la grâce qui vient des sacrements
correspond à la dévotion avec laquelle on s'en approche. Ainsi, un
homme communie avec un degré de ferveur, il reçoit par la vertu du sacrement un degré de grâce ; il communie avec plusieurs degrés de ferveur, il reçoit plusieurs degrés de grâce
; il communie avec toute la ferveur dont il est capable, il reçoit une
grâce qui est en rapport avec les dispositions de son âme.
La seconde puissance de cet adorable sacrifice est une puissance d'extension, c'est-à-dire que le fruit de la sainte Messe se multiplie selon le nombre des personnes
qui y participent. Augmentez ce nombre à l'infini, il se multipliera à
l'infini. Ainsi, bien que nous assistions au saint sacrifice avec une
multitude de fidèles, nous recevrons la grâce avec autant d'abondance
que si nous étions seul à y assister ; les trésors des mérites et du sang
de JésusChrist sont inépuisables, tous peuvent y puiser non seulement
sans en tarir la source, mais sans même les diminuer. Autrefois les
victimes propitiatoires étaient offertes pour tout le peuple, et elles avaient la puissance d'opérer en même temps une multitude d'expiations ; la puissance du saint sacrifice de la Messe n'est pas moindre dans son extension ; elle ne s'étend pas seulement sur ceux qui ont le bonheur d'y assister, mais encore sur ceux qui s'y unissent, et jusqu'aux âmes des fidèles qui ont emporté la grâce de Dieu dans l'éternité, mais auxquelles il reste encore une expiation à subir.
Enfin, le saint
sacrifice de la Messe a une puissance de médiation, il peut tout
obtenir de Dieu. Et comment, en effet, Dieu pourrait-il refuser quelque
chose à son Fils unique et bien-aimé ? à ce Fils qui s'est rendu
obéissant à sa volonté, jusqu'à la mort de la croix ? à ce fils qui
s'est anéanti pour le glorifier, et qui, semblable à un agneau, s'est immolé pour son amour.
« Dans les jours de sa chair, dit le grand apôtre, J.-C. offrant ses supplications et ses prières à son Père, avec des cris et des larmes,
a été exaucé à cause de la grandeur de son hommage. Et, en effet,
quelle éloquence ne dut pas avoir auprès de Dieu la voix de ce
suppliant, couronné d'épines, déchiré de coups, couvert de blessures, et
teint de son propre sang, quand dans ce suppliant il reconnaissait son
Fils, ce Fils qui lui est égal en toutes choses, fit qu'il engendra de
toute éternité, dans la splendeur de sa gloire.
Le suppliant qui implorait sur l'arbre de la croix, le pardon des hommes coupables, est le même qui l'implore encore chaque jour sur tous les autels où il s'immole par le ministère des prêtres, et sa voix n'est pas moins puissante aujourd'hui sur le cœur
de son Père qu'elle ne l'était alors. Ah ! comment pourraient-elles ne
pas toucher son cœur les prières qui lui sont adressées par cette bouche
qui a été abreuvée de fiel et de vinaigre, et brûlée par les ardeurs de
la soif, et qui maintenant lui fait encore amende honorable pour les
outrages commis envers sa divine majesté ?
-
Ces mains que Jésus élève pour nous à son Père, sont les mêmes qui ont
été percées de clous, et qui ont laissé échapper les ruisseaux de sang
qui ont payé notre dette à la justice divine et effacé la cédule de
notre condamnation. Ce cœur qui demande notre grâce a été ouvert par une
large blessure, afin que chacun de nous puisse y trouver un sûr asile,
et quand il fait entendre en faveur des pécheurs
la voix de son amour, leur cause est gagnée et Dieu fait descendre sur
eux les flots de sa miséricorde. Oui, à la voix de ce cœur adorable,
Dieu s'apaise, Satan abandonne sa proie et fuit épouvanté, les flammes du purgatoire s'éteignent, et le ciel
ouvre ses portes aux saintes captives qui, libérées de toutes leurs
dettes, viennent pour y bénir, pour y aimer éternellement leur divin
libérateur.
L'Eglise sait bien quelle est la puissance, l'efficacité du saint
sacrifice de la Messe ; aussi ce sacrifice adorable qui fait descendre
sur elle toutes les grâces, toutes les bénédictions du ciel, n'est-il jamais interrompu. Ses ministres l'offrent à toutes les heures, à tous les instants du jour, et quand le soleil
se retire de notre hémisphère, il se lève sur un autre pour éclairer
l'immolation de la victime sans tache. Sous tous les cieux, sous tous
les climats, du nord au midi, de l'orient
à l'occident, elle est offerte à Dieu pour les vivants et pour les
morts, et si Dieu, en abaissant ses regards vers la terre, la voit
partout couverte de nos crimes, il la voit aussi couverte du sang
de Jésus-Christ, et si les uns provoquent sa justice et appellent ses
justes vengeances, l'autre appelle sa miséricorde, et les foudres de la
colère de Dieu viennent se briser et s'éteindre sur les autels où
s'immole son Fils.
PRIÈRE.
Comment
pourrions-nous ne pas tout attendre de votre miséricorde, ô mon Dieu,
puisque nous avons auprès de vous un si puissant médiateur ? Nous sommes
coupables et souverainement indignes de votre clémence ; par nous-mêmes
nous ne méritons que votre colère et vos châtiments. Mais celui
qui sollicite notre pardon est digne de tout votre amour, puisque pour
l'obtenir il s'est immolé et s'immole encore pour nous. N'a-t-il pas
offert à votre justice toutes les réparations qu'elle avait le droit d'exiger. Une seule goutte de son sang eût suffi pour effacer toutes les iniquités du monde,
et il l'a répandu à flots, il vous l'a offert jusqu'à la dernière
goutte. Ecoutez donc, Seigneur, la voix de ce sang adorable, qui ne crie
pas pour demander vengeance, mais grâce et miséricorde. Jour et nuit la
voix de notre divin médiateur s'élève vers le trône
de votre infinie Majesté, pour vous faire encore entendre ces paroles
d'une inénarrable charité, qui pour la première fois s'échappèrent de
ses lèvres mourantes, alors qu'il agonisait sur l'arbre de la croix. «
Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » La victime
qne nous vous offrons sur cet autel est la même, ô mon Dieu, qui
s'immola sur le Calvaire. Voyez ses larmes, écoutez sos soupirs, souvenez-vous de ses douleurs, des plaies
dont elle a été couverte, et au nom de son sang, de ses mérites, de sa
mort, ouvrez en notre faveur les trésors de votre miséricorde, qu'elle
se répande sur tous les rachetés du Calvaire,
sur les justes pour les maintenir dans la justice, sur les pécheurs
pour les convertir et les arracher à l'enfer ; qu'elle se répande
surtout sur les saintes âmes du purgatoire, pour adoucir leurs peines, tempérer l'ardeur des flammes qui les dévorent, les éteindre et les laisser libres de s'envoler au ciel. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Dans le monastère
de Clairvaux, alors gouverné par saint Bernard, vivait un religieux peu
observateur de la règle, peu attaché à la solitude, et ne craignent pas
d'en sortir facilement. Ce religieux mourut. Pendant la cérémonie des obsèques, la communauté réunie autour de la bière chantait les prières accoutumées, lorsqu'un des moines,
vieillard d'une éminente sainteté, crut voir une troupe de démons
pleins de joie s'écrier : Nous n'avons encore pu tirer qu'une seule àme
de cette indigne vallée (allusion au nom de Clairvaux), mais celle-là
nous l'aurons.
La nuit suivante, le saint vieillard vit en songe le défunt, le visage abattu, poussant de profonds soupirs, qui lui dit : « Hier vous avez eu connaissance de mon supplice et de la joie des esprits
infernaux ; voyez maintenant les tortures auxquelles m'a livré la
justice divine pour les fautes que je n'ai pas suffisamment expiées sur
la terre. Il le conduisit en esprit à un
puits profond « où, dit-il, les démons me précipitent, et me retirent
pour me précipiter de nouveau sans me laisser un instant de repos. » A
cette révélation, le moine, saisi de tristesse, courut de grand matin en informer saint Bernard, qui, de son côté, avait eu la même apparition. Le saint abbé convoqua le chapitre
et raconta à ses religieux comment Dieu pour les instruire avait permis
au frère défunt de révéler son état présent. Il leur rappela
l'importance de la fidélité aux petites choses dont la négligence est
une tentation fréquente parmi les religieux. Il termina en demandant pour fléchir la colère céleste en faveur de cette âme infortunée, des prières ferventes avec des jeûnes, des macérations, et surtout l'oblation du divin sacrifice. Dès le jour même plusieurs messes furent dites.
Peu de jours après, le vieillard fut encore visité par le défunt.
Mais cette fois il apparut resplendissant de lumière. Interrogé sur
l'état où il se trouvait : « Grâce à la bonté divine et à la charité de
mes confrères, je suis très-heureux, répondit-il. » Interrogé sur
l'œuvre expiatoire qui lui avait été le plus salutaire, au lieu de répondre, il prit par la main le vieux moine et le conduisit à l'église, où l'on célébrait la sainte messe : « Voici, dit-il, les armes qui ont opéré ma délivrance. Voici le prix de ma rançon, c'est la salutaire hostie qui efface les péchés du monde. A de telles armes, à un tel trésor, à une telle vertu, rien ne résiste, sinon le cœur
endurci qui s'est enfoncé dans l'abîme de sa perversion. » L'apparition
fut annoncée aux religieux, qu'elle confirma dans la dévotion au saint
sacrifice. (V. Henri Grandgermain, Mag. Spec. Exemp., dist. m.)
PRATIQUE.
Lorsqu'on a le bonheur d'assister au saint sacrifice de la messe, l'offrir à Dieu pour le soulagement des âmes du purgatoire.
XXIIIe JOUR
Suite du même sujet.
On offrira en mon nom une victime sans tache.
Ier Point. Il
s'est immolé sur l'autel de la croix pour glorifier son Père, et son
Père l'a glorifié lui-même, en faisant de l'instrument de son supplice le trône de sa gloire, le sceptre avec lequel il régit le monde et le soumet à son empire, l'arme avec laquelle il terrasse ses ennemis, la clef avec laquelle il ferme l'enfer et ouvre à son gré le purgatoire et le ciel. Le Sauveur continue tous les jours sur l'autel le sacrifice offert pour la première fois sur la croix, et en le continuant, il se rend à lui-même, et il rend à son Père une gloire infinie.
Pour
comprendre quelle est la gloire qui revient à Jésus-Christ de son
sacrifice et de son immolation sur la croix et sur l'autel, il faut
poser en principe que toute la gloire d'un être dépendant d'un autre
vient de sa soumission à l'être dont il dépend. Ainsi, comme le corps
dépend de l'âme, sa gloire ou sa perfection est de lui être soumis. Il
en est de même de tous les êtres subordonnés, ils n'atteignent leur
perfection ou leur gloire qu'en se soumettant aux êtres qui les
dominent.
Jésus-Christ, par sa nature divine, est égal en tout à
son Père, et son Père n'est pas au-dessus de lui. Mais il est constant
qu'en s'unissant à la nature humaine, en la prenant dans l'adorable
mystère de l'Incarnation, notre divin Sauveur s'est mis au-dessous de
son Père. Il le proclame hautement, et en fait lui-même un article de notre foi, lorsqu'il dit dans le saint
Evangile : « Mon Père est plus grand que moi. » D'où il faut conclure
que la gloire de Jésus-Christ en tant qu'homme consiste dans sa parfaite
soumission à son Père.
Or,
quand Jésus-Christ est-il plus soumis à son Père, quand il se faît
victime, se sacrifie, s'immole, s'anéantit en quelque sorte pour
témoigner sa dépendance ? Sa soumission ne saurait aller plus loin, elle
ne peut descendre au-dessous de l'immolation ou du néant.
Et Jésus-Christ est véritablement immolé au saint sacrifice de la
messe. « Quand nous sacrifions, dit saint Ambroise, Jésus-Christ est
présent , il est immolé ; la voix du prêtre est comme le glaive qui divise la victime. Ces quatre paroles : Ceci est mon corps, mettent le corps adorable de Jésus d'un côté. Le sang n'est sous l'espèce du pain, d'après la théologie que par concomitance. Ces autres paroles : Ceci est mon sang, mettent le sang de Jésus-Christ d'un autre côté, et ce n'est également que que par concomitance que le corps du Sauveur se trouve sous l'espèce du vin.
Les paroles de la consécration sont pratiques, elles n'opèrent
directement par leur propre force que ce qu'elles signifient. Ainsi, si
les apôtres eussent consacré au temps de la mort du Sauveur, ces paroles : « Ceci est mon corps, » n'eussent produit que le seul corps de Jésus-Christ, séparé de l'âme et du sang sous l'espèce du pain, et celles-ci : « Ceci est mon sang, » n'eussent également produit que le sang, séparé de l'âme et du corps sous l'espèce du vin.
Mais comme Jésus-Christ ressuscité ne doit plus mourir, et comme toutes
les parties qui composent son humanité sont désormais inséparables,
bien que la consécration du pain ne produise que son corps, et que celle du vin ne produise que son sang, par la vertu des paroles que prononce le prêtre, Jésus-Christ, cependant, se trouve tout entier sous l'espèce du pain, et tout entier sous l'espèce du vin.
Si l'immolation est le plus
haut témoignage de dépendance que l'on puisse donner, si la soumission
poussée jusqu'à cette dernière limite est la perfection et la gloire de
l'être dépendant, il suit de là que Jésus, par son sacrifice, est arrivé
au suprême degré de la perfection, et que rien n'est plus glorieux
pour le Fils de Dieu, que d'être immolé à la gloire de son Père. Mais par un retour admirable, rien n'est plus glorieux pour le Père que d'être honoré par le sacrifice de son propre Fils.
Mais quelle est la gloire qui revient à Dieu du sacrifice de son divin Fils ? Ah ! elle est au-dessus de toute gloire ; par ce sacrifice on offre à Dieu, le premier, le plus grand, le plus
excellent de tous les actes religieux, un culte qui n'est dù qu'au
maître souverain de la vie et de la mort, et qui ne peut être rendu ni à
la sainte Vierge, ni aux anges, ni aux saints.
Ce n'est pas le sacrifice de l'encens le plus pur, d'un agneau sans tache, d'une innocente colombe, c'est le sacrifice d'un Dieu immolé. Et comment notre divin Sauveur s'immole-t-il au saint sacrifice de la messe ? De la manière la plus miraculeuse. Il se détruit lui-même autant qu'il le peut. Considérez-le sur l'autel. Il est mort, non pas, il est vrai, d'une mort naturelle, comme celle à laquelle il se soumit sur le Calvaire,
son corps immortel et glorifié ne peut plus mourir, mais d'une mort
apparente, mystique et sacramentelle. En effet, il est tout entier sous
les saintes espèces, et il y est avec tous ses membres, avec tous ses
sens, et il n'en fait nul usage, tout est caché, tout est mort, tout est
en quelque sorte anéanti. 0ù sont ses pieds, ses mains, ses yeux, ses
oreilles, son cœur ? Nous n'en pouvons rien découvrir, et pourtant il
nous voit, il nous entend, il nous appelle, il nous bénit. Il fait plus,
il se donne à nous, et qu'arrive-t-il alors ? Les saintes espèces se
consument, la victime disparaît et le sacrifice est consommé.
0 amour infini d'un Dieu pour de misérables créatures, et en même temps, o gloire infinie pour le Dieu
a qui est offert une semblable victime. Un Dieu immolé aux pieds d'un
Dieu ! un Dieu comme anéanti pour rendre hommage à un Dieu ! Tel est le prodige qui se renouvelle des milliers de fois chaque jour par le saint sacrifice de la messe.
Ainsi, Dieu estplus glorifié par une seule messe que si nous brûlions sur les autels tout l'encens et tous les parfums du monde, plus glorifié que si nous lui offrions des millions de victimes, et par la seule oblation de l'adorable sacrifice de nos autels, sa justice est plus satisfaite qu'elle ne le serait par l'immolation de tous les êtres de l'univers. Aussi le Seigneur, en considérant dans l'avenir cet auguste sacrifice, nous dit, par l'organe de son prophète, qu'il ne peut plus agréer les offrandes de son peuple. Que pouvait, en effet, lui offrir le peuple juif, qui fut digne de son infinie majesté ? De l'encens ? il se dissipait en fumée. Des prémices ? ce n'étaient que des fruits qui se corrompaient en quelques jours. Des victimes ? mais en quoi leur sang pouvait-il le glorifier ? Ah ! pour honorer, pour glorifier dignement un Dieu, il fallait que ce fut un Dieu qui l'honorât et qui le glorifiât. Pour reconnaître son souverain arbitre, il fallait qu'une victime divine lui immolât sa propre vie.
IIe Point. Puisque le saint sacrifice de la messe est de tous les actes religieux celui qui glorifie le plus notre Dieu, qui l'honore davantage et qui lui est le plus
agréable, nous devons en conclure qu'il n'en est aucun qui soit aussi
capable d'attirer sur nous ses grâces et ses bénédictions, et de le disposer à nous accorder les faveurs que nous sollicitons de sa bonté. Concluons-en de même que c'est le moyen le plus sûr, le plus infaillible de soulager les âmes du purgatoire.
En
effet, tous les moyens que nous avons indiques jusqu'à présent, comme
la prière, l'aumône, la souffrance, la communion, demandent de ceux qui
les emploient des dispositions
particulières. Pour qu'ils soient efficaces, il faut être en état de
grâce Ainsi priez, faites l'aumône, souffrez, jeûnez, si vous êtes privé
de la grâce, tout cela est inutile et ne sert pas au soulagement des âmes du purgatoire. Mais il n'en est pas de même du saint
sacrifice de la messe, il a toujours son efficacité ; quelles que
soient les dispositions de celui qui y assiste, quelles que soient
celles du prêtre qui l'offre, il soulage infailliblement les âmes pour lesquelles il est célébré ; car toute l'efficacité du saint
sacrifice de la messe venant de ce qu'il est offert en la personne et
au nom de Jésus-Christ, il ne peut manquer d'être toujours infiniment
agréable à Dieu. Dieu ne regarde pas si les mains du prêtre
sont souillées, si son cœur est pur, il ne voit que les mains
innocentes de son Fils bien-aimé, il n'entend que la voix de son divin
cœur, car lui seul est la victime et le seul véritable sacrificateur.
Nous voyons, d'après ce que nous venons de dire, que le saint sacrifice de la messe est le moyen le plus sûr de soulager les âmes du purgatoire. Ajoutons qu'il est encore le plus facile.
Voulez-vous briser les portes du purgatoire et ouvrir celles du ciel aux âmes qui vous sont chères, écoutez le conseil qui nous est donné par le vénérable
Pierre, abbé de Celles : « Quand l'agneau de » Dieu, dit-il, est offert
et sacrifié, trempez votre doigt » dans son sang immaculé, levez-le vers le ciel, et que le sang de Jésus-Christ vous soit une clef pour en faire l'ouverture. Les portes du ciel
ne sauraient résister à la puissance de ce sang divin. A sa vue, les
anges s'empressent de les ouvrir, ils se prosternent devant lui avec
tremblement, ils l'adorent, et descendant au fond de l'abîme, dans le purgatoire, ils en délivrent les âmes, car il n'y a rien de fermé qu'ils ne puissent ouvrir par la vertu du sang de Jésus-Christ.
Lorsque vous assistez au saint sacrifice de la messe, offrez-le à Dieu pour les saintes âmes du purgatoire ; priez-le, au nom des mérites et du sang adorable de son divin Fils, d'avoir pitié de vos parents, de vos amis, des âmes pour
lesquelles vous avez pu être une occasion de scandale et de péché, et
qui expient peut-être par de cruels tourments les fautes que vous leur
avez fait commettre, et la vertu du saint sacrifice se répandra sur elles ; le sang de l'Agneau sans tache descendra sur elles comme une douce et rafraîchissante rosée. Mais ne vous contentez pas d'offrir le saint sacrifice de la messe pour les âmes du purgatoire ; lorsque vous y assistez, faites-le célébrer à leur intention, c'est le plus
sur moyen d'abréger leurs souffrances et d'y mettre fin. Ah ! que vous
seriez coupable de refuser d'employer un moyen si facile de mettre un
terme aux tourments de ces âmes que vous avez aimées, que vous aimez encore, et qui du fond de leur brûlante prison vos adressent des prières aussi ardentes que le feu qui les purifie, et vous demandent, par les entrailles du Sauveur
crucifié pour vous et pour elles, d'avoir pitié de leurs tourments, et
de leur venir en aide en faisant offrir quelquefois le saint sacrifice de la messe en leur faveur.
Ah ! que personne ne soit insensible aux souffrances des saintes âmes du purgatoire ; que chacun se souvienne que notre adorable Sauveur a versé son sang pour éteindre le feu
qui les brûle ; que pour adoucir leurs douleurs il a offert son corps
innocent aux fouets, aux épines, aux clous, à toutes les tortures ; il
est mort sur un gibet d'une mort ignominieuse et cruelle pour les faire
jouir d'une immortalité bienheureuse, et quelque coupable que nous
soyons, fussions-nous le plus grand pécheur de l'univers, nous pouvons faire jouir ces saintes âmes de tous ces bienfaits en leur appliquant, par le saint sacrifice de la messe offert en leur faveur, les mérites infinis du Rédempteur.
Faisons donc pour elles ce que demain, peut-être, nous serons bien
aises qu'on fasse également pour nous, et souvenons-nous que Dieu, dans
son infinie justice, permettra que la mesure de notre charité envers les
morts soit la mesure de celle que les vivants auront un jour pour nous.
PRIÈRE.
0 Jésus, adorable victime, qui vous êtes immolé pour le salut du monde, vous dont le sang
a payé notre rançon, dont les souffrances ont pleinement satisfait à la
justice de votre Père, souffrez que, prosterné au pied de cet autel où
vous renouvelez encore le sacrifice de la
croix, je vous offre à votre Père, ô Agneau sans tache, non-seulement
pour mon salut, mais encore pour celui de mes frères ; souffrez surtout
que je lui offre toutes vos souffrances, tous vos mérites pour les
saintes âmes du purgatoire qui n'ont pas
encore entièrement acquitté tout ce qu'elles doivent à sa justice,
parlez vous-même en leur faveur, élevez pour elles, vers votre Père, vos
mains percées de clous, montrez-lui votre cœur ouvert pour leur amour,
votre tête couronnée d'épines, votre corps couvert de meurtrissures et
de plaies, offrez-lui pour leur délivrance une seule goutte du sang
que vous avez prodigué pour elles, et aussitôt sa justice, pleinement
satisfaite, laissera un libre cours à sa miséricorde ; les chaînes de
fer qui retiennent loin de vous ces âmes qui vous sont si chères se briseront, et libres, pures de tontes souillures, elles s'envoleront vers le ciel en chantant un cantique d'actions de grâces, de reconnaissance et d'amour envers leur divin libérateur. Ainsi soit-il.
EXEMPLE,
Parmi les étudiants des cours
supérieurs de l'université de Cologne, on distinguait deux religieux
dominicains liés d'un même attrait pour la sainteté ; l'un était le bienheureux Suzo. Quand ils eurent terminé leurs études, étant à la veille de se séparer, ils se promirent mutuellement que le premier des deux qui mourrait aurait droit chaque semaine, de la part de l'autre, le lundi, à une messe de Requiem, et le vendredi à une messe de la passion, autant que le permettraient
les rubriques. Après que tous deux eurent servi Dieu avec la plus
édifiante ferveur, pendant plusieurs années, Suzo reçut la nouvelle de
la mort de son ami. Il pria beaucoup pour lui, s'imposa de grandes
mortifications, mais oublia totalement d'acquitter les messes convenues.
Un matin qu'il méditait à l'écart, son ami lui apparaît, et le regardant affectueusement, lui reproche néanmoins d'avoir été infidèle à une parole donnée. Le bienheureux
surpris cherche à s'excuser de son involontaire oubli, sur les oraisons
et les mortifications qu'il faisait pour une âme dont le salut lui était aussi cher que le sien. « 0h ! non, mon frère, cela ne suffit pas, reprit l'âme souffrante, c'est le sang
de Jésus-Christ qu'il faut pour éteindre les flammes dont je suis
consumé ; c'est l'auguste sacrifice qui me rachètera de mes
épouvantables tourments ; je vous conjure de tenir votre parole. » Pour
réparer sa faute involontaire, Suzo s'empressa de lui promettre un
nombre plus considérable de messes qu'il ne s'était primitivement engagé
à dire.
Dès le lendemain, plusieurs prêtres avertis par le bienheureux, s'unirent à lui au saint autel, et continuèrent plusieurs jours de suite cet acte de charité. Au bout de ce temps, le défunt
revint ; une vive et pure lumière l'environnait, la joie brillait sur
ses traits : « Je vous rends grâce, mon fidèle ami, du soulagement que je vous dois, dit-il ; me voici, grâce au sang du Seigneur
Jésus, délivré de l'expiation, et je monte au ciel où je pourrai
contempler Celui que nous avons si souvent adoré ensemble sous les
voiles eucharistiques. » Suzo se prosterna à son tour pour remercier
Dieu, et comprit mieux que jamais le prix inestimable du très-saint sacrifice de l'autel. [Histoire de saint Dominique, Ferd. de Castille, IIe partie, l. H, ch. 1.)
PRATIQUE.
Faire offrir souvent le saint sacrifice de la messe en faveur de nos parents et de nos amis décédés.
XXIVe JOUR
Les indulgences, sixième moyen de soulager les Ames du purgatoire.
Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.
Ier Point. A la mort de Jésus, son âme sainte, empressée de jouir des fruits
de la rédemption, descendit aux limbes aussitôt qu'elle fut séparée de
son corps pour consoler, réjouir par sa divine présence les âmes des justes captives depuis tant de siècles, et soupirant après le divin Libérateur qui devait leur ouvrir les portes du ciel fermées par le péché
d'Adam. Mais ce ne fut qu'au jour de sa glorieuse Ascension que Jésus,
impatient de contenter son amour pour elles, emmena avec lui au ciel ces
saintes âmes et les mit en possession du bonheur qu'il venait de nous acheter à un si haut prix.
Le cœur sacré de Jésus a-t il oublié, en montant au ciel, les âmes que dans son infinie prescience il prévoyait devoir, dans la suite des siècles, subir les douloureuses expiations du purgatoire ? Ah ! son cœur n'a rien oublié, son amour a pourvu a tout ; il a laissé à son Eglise le trésor de ses mérites, avec le pouvoir de l'ouvrir en leur faveur et de les y faire participer aussi largement qu'elle le voudra. Jésus ne veut pas être seulement la gloire et le bonheur de l'Eglise triomphante, l'appui, le guide de l'Eglise militante, il veut être encore l'espoir, le consolateur
de l'Eglise souffrante, et son cœur, comme celui d'une mère, s'incline
vers elle avec une tendresse d'autant plus grande qu'il la voit plus
affligée.
L'Eglise, aussi tendre et dévouée à tous ses enfants, ouvre en leur faveur ce trésor inépuisable des mérites de son divin Epoux ; elle ne l'ouvre pas seulement en faveur des vivants, mais aussi en celle des morts ; son cœur s'émeut à la pensée des souffrances de ces âmes qu'elle
a portées dans son sein, nourries de sa foi, de ses saints
enseignements, et qui lui sont d'autant plus chères qu'elle les sait
dans la peine et dans la douleur. Aussi voyons-nous que presque toutes
les indulgences accordées aux fidèles par les souverains Pontifes sont
applicables aux âmes du purgatoire. Ils
semblent par là vouloir, non pas seulement seconder notre charité pour
nos frères souffrants, mais encore nous engager à nous oublier
quelquefois pour eux en leur cédant les indulgences que nous pourrions
gagner pour nous-mêmes.
"Nous
pouvons considérer cette multitude d'indulgences que l'Eglise, dans sa
maternelle sollicitude, nous prodigue avec tant de libéralité comme une
pluie merveilleuse avec laquelle nous pouvons éteindre les flammes du purgatoire. Aucune comparaison ne me parait plus propre à exprimer la nature et les effets des indulgences, car de même qu'il n'y a pas d'eau qui éteigne plus promptement la flamme des incendies que celle de la pluie qui tombe des nues, il n'y a pas de grâce avec laquelle nous puissions aussi facilement éteindre le feu du purgatoire qu'avec les indulgences qui nous viennent du Ciel.
Il
y a entre les pluies naturelles et les indulgences de mystérieux
rapports. Dieu a ses réservoirs d'où il tire les eaux qui forment les
nues et qui retombent sur la terre pour la rafraîchir et la fertiliser.
Ces réservoirs sont l'océan, les lacs, les fleuves et les fontaines.
Dieu a également ses trésors, d'où il tire les grâces qu'il répand sur les âmes pour
les purifier et pour les sauver. Ce sont d'abord les mérites de
Jésus-Christ, semblables à un océan sans limites et sans fond ; ce sont
ensuite les mérites de la sainte Vierge et des saints, pareils à des lacs, à des fleuves, à des fontaines.
Pour comprendre toute la richesse du trésor des indulgences, il faut comprendre avant tout la valeur des satisfactions qui le composent. Or quel n'est pas le prix, le mérite des satisfactions de Jésus-Christ ? Considérons-les d'abord par rapport à la dignité de sa personne. Jésus-Christ est le fils
de Dieu ; il est Dieu lui-même ; sa dignité est infinie, par conséquent
toutes ses satisfactions, toutes ses œuvres ont un mérite, une valeur
infinie. Supposez qu'une infinité d'hommes et d'anges aient commis
contre Dieu, pendant des siècles et des siècles, des crimes
sans nombre, une seule larme de Jésus-Christ offerte à son Père en
réparation de ces crimes suffirait et au delà pour satisfaire à sa
justice. En versant cette larme, Notre-Seigueur rendrait à son Père
infiniment plus de gloire que la multitude des anges et des hommes ne lui en auraient été en l'outrageant pendant des siècles.
Accumulons
maintenant tous les travaux, toutes les fatigues de la vie publique de
notre divin Sauveur, toutes les privations, toutes les humiliations de
sa vie cachée à Nazareth, toutes les souffrances, les ignominies de sa
douloureuse Passion, les fouets, les épines, les clous, la croix. la
mort et toutes les tortures de l'âme et du corps qu'il a bien voulu subir, et jugeons, si nous le pouvons, de la valeur de ces satisfactions ; elles sont infinies.
0r il est certain que les satisfactions divines n'ont jamais été entièrement appliquées, qu'elles ne le seront
même jamais, puisque la source est inépuisable". 0n ne peut supposer
qu'elles soient inutiles, Dieu ne saurait permettre que de pareils biens
fussent perdus ; nous devons croire qu'il les tient en réserve comme un
trésor de grâces que l'Eglise a le pouvoir d'ouvrir à ses enfants, par le moyen des indulgences, pour les soulager dans leurs besoins.
IIe Point. Les mérites du Sauveur, ses satisfactions, voilà la première source des indulgences : il y en a d'autres encore, ce sont les satisfactions de la sainte Vierge et des saints. La Mère de Dieu, par un privilége spécial, a été, nous le savons tous, préservée de la souillure originelle. Non-seulement nous le savons,
mais nous croyons de cœur, nous adhérons avec bonheur à ce privilége si
glorieux pour noire divine Mère, devenu maintenant un dogme de notre
foi, et nous répétons avec une sainte joie l'éloge que lui donne le Saint-Esprit
: Vous êtes toute belle, ô ma bien-aimée ! et il n'y a point de tache
en vous. Et cependant Marie, quoique exempte de tout péché, n'a pas été
exempte de douleurs ; ses souffrances ont surpassé celles de tous les
saints. Elle a donc offert à la justice divine
d'immenses satisfactions, non pour elle, puisqu'elle était immaculée, et
que n'ayant contracté aucune tache pendant sa longue vie, elle ne
pouvait avoir aucune peine à subir.
Oui pourrait dire ce qu'ont été les douleurs de la trés-sainte Vierge pendant la passion de son divin Fils ? Contemplons-la sur le Calvaire Elle aime Jésus plus qu'aucune mère n'aima jamais son enfant, et elle le voit attaché par d'énormes clous à un infâme gibet, la tète couronnée d'épines, le corps
couvert de meurtrissures et de blessures saignantes. Elle l'entend se
plaindre de la soif, et non-seulement elle ne peut pas approcher de ses
lèvres desséchées un breuvage rafraîchissant, mais elle le voit abreuvé de flel et de vinaigre. Elle entend les insultes, les railleries amères des scribes et des chefs de la nation, qui se rient des douleurs de l'adorable victime. Enfin elle suit avec ce regard si intelligent des mères,
qui devinent toutes les angoisses, toutes les souffrances de leurs
enfants, toutes les phases de l'agonie de son divin Fils, elle s'associe
à l'abandon, au délaissement dont Jésus endure toutes les horreurs, et
quand elle lui voit rendre le dernier soupir, le glaive que le saint vieillard Siméon avait fait briller à ses yeux dansle temple s'enfonce tout entier dans son cœur.
Toutes
les douleurs de la sainte Vierge étaient satisfactoires, et puisque
pour elle-même elle n'a pas besoin de satisfaction, seront-elles donc
perdues ? Ah ! gardons-nous de le penser. Dieu ne laisse pas perdre des biens
aussi précieux et auxquels il attache un si haut prix ; il les a joints
aux satisfactions de son divin Fils, pour augmenter encore le trésor de ses indulgences.
Ce
n'est pas tout encore. Un grand nombre de saints ont vécu dans la plus
parfaite innocence, et malgré leur pureté angélique, ont passé cependant
par les plus rudes épreuves, ont enduré des souffrances
de tous genres, et se sont condamnés eux-mêmes à toutes les rigueurs de
la plus austère pénitence. Combien de jeunes vierges ont subi le martyre,
combien d'apôtres se sont dévoués, qui avaient depuis longtemps
satisfait à la justice divine pour leurs péchés ! Qu'est devenue la
surabondance de tant de satisfactions ? A-t-elle été perdue ? Non, elle
avait trop de valeur pour que Dieu ne songeât pas à la recueillir.
Est-elle restée inutile ? Non encore ; elle avait trop de puissance pour
que Dieu la laissât sans action. Elle est entrée aussi au trésor des indulgences.
Elle est venue se mêler aux satisfactions de l'homme-Dieu et à celles
de sa sainte Mère, et puisque les riches et les pauvres, les justes et
les pécheurs, les saints du ciel et les saints de la terre, et les saints du purgatoire, ne
forment qu'une seule Eglise, sont les membres d'un même corps, ne
faut-il pas qu'il y ait communion entre eux, qu'ils participent
réciproquement aux biens qu'ils peuvent produire. Oui, il est juste que
les satisfactions surabondantes des uns subviennent à la nécessité des autres.
Nous
voyons donc que, comme l'Océan, les fleuves, les lacs, les fontaines,
sont les sources d'où sortent les pluies naturelles, de même les
satisfactions de Jésus-Christ, de la sainte Vierge et des saints sont les sources d'où sortent les pluies célestes des indulgences.
Pour
poursuivre jusqu'au bout notre comparaison, disons que de même qu'il y a
diversité de pluies, il y a aussi diversité d'indulgences. Il y a des pluies qui sont universelles, d'autres qui ne sont que particulières. Il en est encore de même des indulgences : les unes sont pour tous les fidèles, les autres sont particulières à une partie des fidèles. Il y a des pluies
abondantes qui pénètrent et abreuvent la terre, il y en a d'autres
moins fortes qui ne font qu'humecter sa surface. C'est une image de nos
indulgences plénières et de nos indulgences partielles. Les premières
remettent toute la peine due aux péchés confessés et pardonnés, les
secondes n'en remettent qu'une partie.
Il y a des pluies qui submergent tout et produisent des inondations. Alors les cataractes du ciel
s'ouvrent, les mers et les fleuves se confondent et couvrent d'immenses
étendues de pays. Elles sont la figure de nos jubilés universels, où le souverain
Pontife ouvre les sources sacrées et fait pleuvoir les grâces en
abondance, c'est-à-dire les indulgences pour purifier les âmes et les sauver. Ces jours de jubilé sont réellement des jours de salut. Alors les péchés réservés jusque là sont absous, le choix des confesseurs est libre, les pénitences extraordinaires sont remises, toutes les satisfactions du Sauveur coulent à flots sur l'Eglise ; il n'y a plus dans le sein de l'Epouse immaculée du Christ que des miséricordes, des faveurs,
que d'immenses pardons pour chacun de ses enfants. Enfin les pluies et
les indulgences se ressemblent dans leurs effets. Les pluies fécondent
la terre, elles lui donnent sa parure et ses richesses. Elles se
changent en blé dans le froment, en vin dans le raisin,
en fruits dans les fleurs de l'arbre, en éclat et en parfum dans les
fleurs. Les indulgences n'opèrent pas moins de prodiges : elles
deviennent la consolation de ceux qui pleurent, le rafraîchissement de ceux qui sont altérés, le courage
de ceux qui languissent, la guérison de ceux qui sont malades. Elles
font plus encore, elles peuvent pénétrer jusque dans l'éternité, et, si
nous le voulons, nous pouvons les faire descendre jusque dans les brûlants abîmes du purgatoire. Alors elles se changeront, pour les âmes auxquelles
nous les appliquerons, en souveraine béatitude. Les douleurs de
Jésus-Christ, qui leur sont appliquées par les indulgences, acquittent
tout ce qu'elles doivent à la justice divine. Les épines de sa couronne
se changent pour elles en diadème de gloire, ses larmes deviennent leur
rançon ; les clous, la lance qui l'ont percé deviennent les clefs qui
ouvrent la porte de l'abîme où elles sont ensevelies, pour les en
délivrer. Ne serions-nous pas inexcusables de priver ces saintes âmes d'un secours si précieux, et qu'il nous est si facile de leur procurer ?
PRIÈRE.
Soyez béni, ô adorable Sauveur ! d'avoir laissé à votre Eglise le pouvoir
d'appliquer à ses enfants les fruits surabondants de votre passion et
de votre mort, d'avoir voulu qu'au trésor infini de vos satisfactions et
de vos mérites viennent encore s'ajouter les satisfactions de notre
divine Mère et des saints». Vous connaissiez notre indigence, la profondeur de nos misères, ô mon Jésus ! et dans l'excès de votre miséricorde,
vous en avez eu pitié, et vous avez voulu que nous trouvassions en vous
de quoi suppléer à tout ce qui nous manque. Comment, ô mon Sauveur !
eussions-nous jamais pu nous acquitter des dettes
que nous avons contractées envers la justice de votre Père, si vous
n'étiez venu à notre aide en soldant vous-même les dettes que nous
étions dans l'impuissance de solder ? Hélas ! chaque jour nous en
contractons de nouvelles, et notre faiblesse est si grande qu'à peine
purifiés nous nous souillons de nouveau. Mais vous la connaissiez, cette
faiblesse, ô mon Jésus ! et votre amour a su trouver encore le remède de notre fragilité, en inspirant à votre Eglise de nous ouvrir, par le moyen des indulgences, le trésor
de vos satisfactions ; de nous les accorder si nombreuses, si
multipliées, que nous puissions y puiser chaque jour, non seulement pour
nous, mais aussi pour les âmes des fidèles trépassés auxquelles la plupart des indulgences que nous pouvons gagner sont applicables. Les souffrances de ces saintes âmes,
ô mon Dieu ! sont bien grandes, et pour les soulager nous voulons
souvent oublier nos propres besoins, pour les faire jouir d'un bien dont
pour elles-mêmes elles ne peuvent plus avoir la jouissance. Daignez,
Seigneur, ne pas avoir égard à notre indignité et leur accorder les
indulgences que nous nous efforçons de gagner et que nous vous offrons
pour elles. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi avait, avec une grande
charité, assisté à ses derniers moments une sœur de son 0rdre qui était
parvenue à un grand degré de perfection. Les religieuses s'étaient
empressées de réciter, non-seulement les offices ordinaires, mais elles
lui avaient appliqué toutes les indulgences qu'elles avaient pu gagner
dans la journée. Le corps était encore exposé dans l'église, et de la grille où elle se tenait, Marie-Madeleine le regardait avec des sentiments de tendresse en priant pour le repos
de la défunte. Tout à coup elle vit l'âme resplendissante de lumière
sortir de cette froide dépouille, et s'élever au ciel pour y recevoir la
couronne de gloire. La sainte ne put s'empêcher de crier : « Adieu,
sœur, adieu ; âme bienheureuse qui entrez dans le ciel avant que votre corps soit déposé dans la tombe, souvenez-vous, dans les embrassements du céleste
Epoux, de nous qui soupirons sur la terre ! » A ces paroles, Jésus,
pour la consoler, lui apparut et lui dit que cette âme avait été si
promptement délivrée du purgatoire par la vertu des saintes indulgences. Depuis lors, la dévotion aux indulgences devint telle dans le monastère, qu'on se serait fait scrupule d'en négliger une seule. (VUt de sainte Madeleine de Pazzi, 1.l, ch. 39.)
PRATIQUE.
Ne laisser perdre par notre faute aucune des indulgences que nous pouvons gagner et les offrir à Dieu pour le soulagement des âmes du purgatoire.
XXVe JOUR
Suite du même sujet.
Le Seigneur est plein de miséricorde et la rédemption qu'il nous prépare est abondante.
Ier Point. « Un jour, notre divin divin Sauveur dit à saint Pierre : Simon, fils de Jonas, je te donnerai les clefs du royaume des cieux ; tout ce que tu lieras ou délieras sur la terre, sera lié ou délié dans le ciel. » Jésus a tenu sa promesse, les clefs du royaume des cieux
ont été données à saint Pierre et à ses successeurs, et c'est par la
puissance de ces clefs mystérieuses que les souverains Pontifes ouvrent le trésor des indulgences et nous y font participer.
Or, qu'est-ce qu'avoir les clefs du ciel, si ce n'est pouvoir l'ouvrir et ôter tout ce qui en ferme l'entrée ; et qu'est-ce qui peut empêcher que les âmes justes
sortant de cette vie n'y entrent incontinent, sinon la peine temporelle
due à leurs fautes, qu'il leur faut subir avant que la porte leur en
soit ouverte.
Celui donc qui a reçu les clefs du ciel a reçu aussi le pouvoir d'oter cet empêchement, afin que les âmes ne devant rien à la justice divine ne sortent de la prison de leur corps que pour passer à la gloire éternelle. Le Sauveur marque expressément ce pouvoir lorsqu'il dit : « Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel.
» Il n'excepte rien, et par conséquent tout ce qui peut lier une âme et
lui être un obstacle pour aller au ciel, que ce soit un péché qui n'est
pas remis ou la peine d'un péché déjà pardonné, tout est compris dans
ce mot : « Tout ce que vous délierez. »
Ainsi
nous nu donnons pas à saint Pierre plus d'autorité que Jésus-Christ ne
lui en a donné, mais nous croyons à toute l'étendue de celle qu'il lui a
donnée, et que dans sa personne il a donnée à tous ses successeurs. De
même que quand un Pontife mourait dans l'ancienne loi, un autre Pontife
lui succédait avec les mêmes droits, les mêmes prérogatives, les mêmes
obligations de veiller sur le troupeau confié à sa garde ; de même dans la loi nouvelle, après la mort de saint Pierre, la succession des souverains Pontifes n'a jamais été interrompue. Comme les premiers fidèles nous sommes le troupeau de Jésus-Christ, nous avons le même
pasteur, qui est saint Pierre, dans la personne de son successeur, qui
en s'asseyant sur son siége a hérité de son autorité, de sa puissance,
et qui peut comme lui rompre tous les liens soit du péché, soit de la peine du péché, qui nous arrêtent dans la voie du ciel.
Laissons les hérétiques contester aux souverains Pontifes le pouvoir de remettre les peines dues au péché par le moyen des indulgences, et, enfants soumis de l'Eglise, soyons heureux de puiser dans le trésor qu'ils nous ouvrent souvent avec tant de libéralité, non-seulement pour nous, mais encore pour les âmes de ceux qui nous furent si chers et qui nous ont précédés dans l'éternité.
Les âmes du purgatoire ne
peuvent être secourues et délivrées par les indulgences, comme par tous
les autres moyens dont nous avons parlé jusqu'à présent, que par voie
de suffrage. Nous allons le comprendre.
Quand Jésus-Christ donna à saint Pierre et à ses successeurs le pouvoir de lier et de délier, il les établit juges des consciences,
mais pour les vivants seulement ; les morts ne sont plus soumis à la
juridiction de l'Eglise ; de là vient une différence entre la manière de
donner les indulgences aux vivants et celle de la donner aux morts.
Quand les souverains Pontifes accordent des indulgences aux fidèles vivants, ils agissent comme juges, ils examinent la dette qui a été contractée par le péché, et ils imposent des conditions
auxquelles sont attachées les indulgences, et quand ces conditions ont
été remplies, ils déclarent, par forme d'absolution, que la dette est
acquittée.
Ils
ne font pas de même pour les morts. Ne pouvant plus prononcer de
sentence sur eux, puisque Dieu même les a jugés, ils n'agissent que
comme trésoriers de Jésus Christ, qui leur a confié les clefs de ses
trésors pour en disposer même à l'égard des âmes qui
ne sont plus soumises à leur juridiction. Les indulgences qu'ils
accordent alors et que nous pouvons gagner pour elles sont accordées par
forme de suffrage.
On
exemple va vous faire comprendre cette vérité. Un magistrat est chargé
de la cause d'un homme qui est appelé à rendre compte d'une somme
importante qui lui a été confiée. Ce magistrat est à la fois juge et ami
; il peut procéder de deux façons : comme juge, il peut absoudre l'accusé et ledéclarer quitte de la somme demandée ; comme ami, il peut offrir l'argent nécessaire pour le libérer.
De
même une âme a une peine à subir pour satisfaire à la justice de Dieu.
Si cette âme est sur la terre, l'Eglise lui accorde une indulgence, et
si elle gagne cette indulgence, l'Eglise déclare que cette peine lui est
remise : c'est une absolution. Si cette âme est dans le purgatoire, l'Eglise offre pour elle à Dieu une partie des satisfactions de Jésus-Christ dont elle a la disposition, et elle lui obtient la rémission de sa peine : c'est un suffrage.
Les indulgences accordées aux âmes du purgatoire
par forme de suffrage sont aussi certaines et aussi infaillibles dans
leurs effets que les indulgences accordées aux vivants par forme
d'absolution. Ainsi, si nous accomplissons religieusement les conditions
prescrites par l'Eglise pour gagner les indulgences, il nous est aussi
facile de soulager et de délivrer les âmes du purgatoire que d'obtenir pour nous-mêmes l'entière rémission des peines que nous avons encourues par nos péchés.
IIe Point. Les indulgences, soit plénières, soit partielles, que nous pouvons gagner et qui sont applicables aux âmes du purgatoire, sont innombrables ; mais pour les gagner il faut des dispositions
particulières. La première de toutes est d'être en état de grâce. Il
faut de plus avoir une foi vive dans les mérites du Rédempteur et une ferme confiance en l'infinie bonté du Seigneur, qui veut bien nous les appliquer par le moyen des indulgences. Il est indispensable encore de remplir toutes les conditions imposées par le souverain Pontife qui accorde l'indiligence
qu'on se propose de gagner. La communion est presque toujours prescrite
pour gagner une indulgence plénière. Les personnes qui sont dans la
pieuse habitude de communier plusieurs fois la semaine ne sont pas
tenues à faire précéder chacune de leurs communions par la confession.
Il suffit qu'elles se confessent tous les douze ou treize jours ou même
tous les quinze, dans certains diocèses, pour qu'elles puissent gagner
les indulgences. Quant à celles qui ne sont pas dans l'habitude de la
communion fréquente, la première condition requise pour qu'elles
puissent gagner une indulgence plénière est la confession et ensuite la
communion.
Il est cependant des indulgences
plénières qu'on peut gagner sans qu'il soit nécessaire de se confesser
et de communier, pourvu qu'on soit en état de grâce. Telles sont les
innombrables indulgences plénières et partielles attachées à la
récitation des six Pater, des six Ave et des six Gloria Patri du Scapulaire bleu de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge. Toutes ces indulgences sont applicables aux âmes du purgatoire, et on peut les gagner, non pas seulement une fois le jour, mais aussi souvent qu'on voudra réitérer la récitation des prières que nous venons de mentionner.
On m'objectera peut-être qu'il faut des dispositions
si parfaites pour gagner une indulgence plénière, qu'on ne peut se
flatter de les avoir et qu'on n'a jamais la certitude de les avoir
gagnées. A cela je répondrai qu'il faut faire tout ce qui dépend de soi
pour avoir ces dispositions, les demander à Dieu avec ferveur, s'en
rapporter à sa bonté et mettre en lui toute sa confiance. Si vos
dispositions ne sont pas assez parfaites pour que vous puissiez recevoir
l'indulgence dans toute son étendue, vous en obtiendrez au moins une
partie, et Dieu ne laissera pas vos efforts sans récompense, comme il ne
laissera pas sans soulagement les âmes auxquelles vous désirez que les indulgences soient appliquées.
Les indulgences sont ordinairement attachées à des actes
très faciles à accomplir, à de courtes prières, à de bonnes œuvres qui
durent peu et sont à la portée de tous les fidèles. L'Eglise entre en
cela dans les desseins de Dieu ; elle ne veut et n'ordonne que ce que
Dieu veut et lui ordonne lui-même. Dieu et l'Eglise veulent donc que
nous gagnions des indulgences, et que nous en gagnions non-seulement pour nous, mais aussi pour les morts.
L'auguste Pie IX, dont le cœur est si tendre, si compatissant, a une dévotion spéciale aux saintes âmes du purgatoire et un zèle plein de dévouement pour elles. Dans la plupart des indulgences accordées par lui aux fidèles, Sa Sainteté ne manque pas de spécifier qu'elles sont applicables aux âmes du purgatoire.
Pie IX a fonde une messe quotidienne pour le repos de ceux qui sont morts glorieusement en défendant les droits du Saint-Siége. Une cloche particulière se fait entendre chaque soir dans les appartements du Pape et sonne l'heure des morts.
Pie IX ne manque jamais d'obéir à ce son funèbre qui lui rappelle les
souffrances de ceux de ses enfants qui ne sont plus de ce monde et il
prie pour eux. Cette pratique de prier tous les soirs au Vatican pour
les morts n'est d'ailleurs pas nouvelle, et ce De profundis de Pie IX,
comme on l'a appelé, a été, du moins depuis l'année 1736, le De profundis de tous les Papes qui l'ont précédé. Ce fut en effet en 1736 que le souverain Pontife Clément XII, pour exciter la piété des fidèles à l'égard des saintes âmes du purgatoire, accorda le premier
à tous les chrétiens, par son bref Cœlestis Ecclesix thesaurus, une
indulgence de 100 jours, chaque fois qu'au son de la cloche, à une heure
de nuit, ils réciteront dévotement le De profundis, suivi du Requiem aeternam, pour les âmes du purgatoire.
Efforçons-nous
donc de seconder la tendre compassion que l'Eglise éprouve pour ceux de
ses enfants qui sont entrés dans leur éternité sans avoir entièrement
acquitté la dette qu'ils avaient contractée envers la justice de Dieu.
Il dépend de nous de seconder la charité de notre Mère commune, et de
réaliser le désir qu'elle éprouve de
venir en aide à nos frères souffrants, en ne négligeant aucune occasion
de gagner les indulgences que nous pouvons leur appliquer. Faisons pour
eux ce que nous désirons qu'on fasse un jour pour nous, et songeons que
si nous gagnons pour ces saintes âmes une indulgence partielle, nous abrégeons le temps
de leur expiation. Si nous sommes assez heureux pour en gagner une
plénière, l'âme à laquelle nous l'appliquons est aussitôt libérée de
toute sa dette, le ciel s'ouvre pour elle, et elle s'y envole radieuse, emportant aux pieds du Seigneur la reconnaissance qu'elle voue et qu'elle conservera éternellement à son bienfaiteur.
PRIÈRE.
0 Jésus ! Dieu d'amour et de miséricorde, qui avez donné à l'Eglise notre Mère le pouvoir de nous ouvrir le trésor de vos mérites, et de nous appliquer par les indulgences le fruit
de vos souffrances et de votre mort, nous vous bénissons d'une grâce si
précieuse, et nos cœurs, pénétrés d'une vive reconnaissance, viennent
vous demander de nous accorder des dispositions
assez saintes, assez parfaites pour gagner les indulgences que l'Eglise
met à notre disposition. Nous ne pouvons les avoir de nous-mêmes, mais
vous pouvez nous les donner, ô adorable Sauveur ! et votre divin cœur ne
nous les refusera pas, puisqu'en les lui demandant, c'est surtout votre
gloire et le soulagement des saintes âmes du purgatoire que nous avons en vue.
Votre cœur, ô mon Jésus ! s'enflamme d'une sainte ardeur à la pensée de pouvoir mettre un terme aux souffrances de ces âmes qui vous sont si chères, de hâter le moment tant désiré par elles, où elles iront s'unir éternellement à vous. Ce moment, ô Jésus ! vous le désirez plus encore qu'elles ne le désirent elles-mêmes ; ces âmes sont
vos amies, vos épouses bien-aimées, et il vous tarde de récompenser
leurs vertus, en les associant à votre gloire et à votre éternel
bonheur.
Formez donc vous-même dans nos âmes,
aimable Sauveur, les dispositions que vous exigez de nous pour que les
indulgences que nous désirons gagner pour elles leur soient accordées ;
purifiez de plus en plus nos cœurs, et faites qu'ils deviennent des vases propres à recevoir l'abondance de vos miséricordes et à la faire déborder sur les âmes de ceux qui nous sont chers. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Il
fut révélé à sainte Thérèse qu'une de ses religieuses, qui d'ailleurs
n'avait pas été en tout un modèle de perfection, était allée droit au
ciel, grâce à la confiance qu'elle avait eue dans les indulgences et à
son empressement pour les gagner. C'est se racheter, et racheter à bon
marché ses frères de tourments incalculables.
Saint Ignace, saint Liguori et mille autres ne cessaient de recommander à leurs disciples de gagner des indulgences. Il est dangereux de penser et d'agir autrement que les saints.
Le capitaine
X..., émigré polonais, demeurant à Rome (1860), passe depuis quinze ou
vingt ans une partie de son temps à courir d'église en église, partout
où il sait pouvoir gagner des indulgences. Nul ne le sait si bien que lui. Il applique toutes ses indulgences aux âmes du purgatoire, et lorsqu'il croit en avoir délivré une (il le croit
probablement sur de bonnes raisons), il lui confie une âme de ce monde,
ami, adversaire, quelqu'un qu'il voit dans une grande peine, et il
recommande à cette âme qu'il a délivrée cette autre qu'il sait être en
souffrance ou en péril.
Ce qui peut prouver la solidité d'une telle dévotion, c'est le genre de vie que mène le capitaine. De ses nuits, il en écoule d'abord une partie en adoration devant le Saint-Sacrement,
et ensuite il va se mettre au service d'un malade, ami ou autre. Il ne
donne pas ses soins, il ne croit pas s'y entendre ; il reste dans
l'antichambre, il prie ou dort. Il est là pour aller au besoin chercher le médecin. Lui, Polonais, a ainsi passé un mois dans
l'antichambre d'une dame russe. Tout son petit revenu passe aux
pauvres. Il se nourrit d'un morceau de pain, par vertu autant que par la
glorieuse nécessité de ses aumônes.
S'il se trouve chez un ami au moment du diner, et qu'il ait le temps de dîner, il dîne, mais il paie aux pauvres le repas qu'on lui a donné. Il est le cicérone des pèlerins
pauvres. Il leur montre Rome, que nul ne connaît mieux que lui. Il leur
trouve un gîte et un repas, lorsqu'il ne peut suffire lui-même à leurs
besoins. [Parfum de Rome, L. Veuillot.)
PRATIQUE.
Se préparer toujours par la regret de ses fautes et une grande pureté de conscience, à gagner les indulgences.
XXVIe Jour
Quelles sont les âmes pour lesquelles nous devons spécialement prier.
Je suis devenu semblable au pélican du désert, semblable au passereau resté seul sous le toit. (Ps. 101, ». 7, 8.)
Ier Point. Si la charité nous fait un devoir de prier en général pour toutes les âmes des fidèles
trépassés, elle nous en fait un bien plus spécial de prier pour celles
de nos parents, de nos amis et de nos bienfaiteurs. Mais notre cœur se
porte de lui-même à l'accomplissement de ce devoir, et nous en avons
assez parlé dans le cours de cet ouvrage pour que nous n'ayons pas à y revenir aujourd'hui.
Mais outre les prières que nous devons faire en général pour tous les morts, il est des âmes pour lesquelles nous devons prier d'une manière plus particulière. Les premières sont celles des personnes
dont nous avons eu à nous plaindre et qui ont été pour nous une
occasion d'épreuves et de peines. Notre divin Maître n'exclut personne du grand
précepte de la charité fraternelle. Il nous ordonne d'aimer même nos
ennemis, de prier pour eux, de les assister et de leur rendre le bien pour le mal, alors même que nous n'aurions aucun espoir de les voir revenir à la vertu et à la justice. Et notre adorable Sauveur, pour donner plus de force encore à ce précepte de l'amour des ennemis et nous en rendre l'accomplissement plus facile, a voulu le confirmer
par son exemple lorsque, attaché à la croix, la première prière qu'il
offrit à son Père sur cet autel sanglant fut une prière en faveur de ses
bourreaux. « Mon Père, pardonnez leur, car ils ne savent ce qu'ils
font. »
C'est donc entrer dans l'esprit de notre divin Sauveur que de prier souvent et d'une manière spéciale pour les âmes des personnes
qui ont été pour nous un sujet de peine et peut-être de grandes peines.
Pendant leur vie, elles nous étaient hostiles, et il est possible que
tout en leur pardonnant du fond du cœur nous n'ayons pas trouvé l'occasion de leur rendre le bien pour le mal et de leur prouver que nous ne conservions contre elles aucun ressentiment. Ce que nous n'avons pu alors, nous le pouvons
aujourd'hui, nous pouvons les consoler, adoucir leurs souffrances,
peut-être y mettre un terme, en priant pour elles, en offrant en leur
faveur quelques œuvres satisfactoires. Poursuivons de notre charité les âmes de nos ennemis jusqu'entre les- mains de la justice divine, c'est le plus
sùr moyen d'attirer sur elles et sur nous les miséricordes de Celui qui
qui a dit : « Heureux les miséricordieux, parce qu'ils obtiendront
miséricorde.
Et puis ces saintes âmes ont
reçu leur pardon ; elles ne sont plus ni les ennemis de Dieu, ni les
nôtres. Elles nous aiment maintenant d'un amour d'autant plus fort
qu'elles nous ont moins aimé et qu'elles nous ont fait plus de mal
pendant leur vie. Elles regrettent, elles pleurent leurs torts envers nous, elles les expient, et si elles le pouvaient,
elles se prosterneraient à nos pieds pour implorer notre pardon.
Estimons-nous donc heureux de pouvoir leur prouver que depuis longtemps
ce pardon leur a été accordé, que nous les aimons et les avons toujours
aimées.
Il est encore d'autres âmes en faveur desquelles la justice élève sa voix sévère et nous fait un devoir impérieux de prier. Ce sont les âmes des personnes
que nous avons pu scandaliser et porter au mal, soit par un exemple peu
édifiant, soit par un conseil imprudent ou peu conforme à la vertu.
Rappelons nos souvenirs, examinons notre conscience, et si nous avons
quelques fautes de ce genre à nous reprocher, souvenons-nous qu'étant la
cause directe des souffrances de ces pauvres âmes,
nous sommes tenus, en justice, à chercher à les soulager par tous les
moyens en notre pouvoir, et à les aider à acquitter la dette qu'à notre
instigation elles ont contractée envers la justice divine.
Si
nous voyions un de nos amis, un étranger même tombé dans un précipice
par notre faute, l'abandonnerions-nous et ne ferions-nous rien pour
l'aider à en sortir ? Loin de là, nous mettrions tout en œuvre pour le délivrer, et s'il le fallait, nous exposerions même notre vie pour réparer le mal que lui aurait causé notre imprudence.
Faisons,
sans nous flatter, un retour sur nous-mêmes, et voyons si notre vie a
toujours été assez pure, assez évangélique pour que nous n'ayons jamais
été un sujet de scandale et de péché pour quelqu'un de nos frères. Ah !
si nous avons eu le malheur de scandaliser une âme qui a déjà subi son jugement,
quelque édifiante qu'ait pu être sa fin, ne nous rassurons pas trop
vite sur son compte, comptons sur la miséricorde de Dieu pour cette âme
comme nous y comptons pour nous-mêmes, mais n'oublions pas sa justice.
Nous avons l'espérance que la coulpe de son péché lui a été pardonnée,
mais nous ne pouvons avoir la certitude que les peines qu'elle avait
encourues en péchant lui aient été remises, et nous devons nous dire en
gémissant : Hélas ! en ce moment cette âme infortunée pleure et expie au
milieu de flammes dévorantes les fautes que je lui ai fuit commettre.
Elle déteste le jour où elle m'a connu,
la crainte qu'elle a eu de me déplaire en résistant à mes pernicieux
conseils ; sans moi, elle serait dans la société des anges,
et à cause de moi elle gémit et gémira peut-être longtemps encore dans
ces flammes vengeresses. Ce feu qui la consume, c'est moi qui l'ai
allumé, et si le ciel ne s'est point
encore ouvert pour elle, c'est moi qui lui en ai fermé l'entrée. Ah !
c'est moi, ô mon Dieu, que devrait d'abord frapper votre justice ; c'est
sur moi que devrait s'appesantir votre bras vengeur. Mais puisque vous
m'épargnez, je ne veux pas aggraver mon crime par une coupable
indifférence pour cette âme dont j'ai causé le malheur, et je ne me donnerai pas de repos avant d'avoir apaisé votre colère par mes larmes et par ma pénitence.
IIe Point. Nous devons encore prier pour les âmes du purgatoire qui y subissent des peines plus grandes, et dont la durée doit être plus longue. Dieu, nous le savons, est souverainement équitable, et par là même il ne peut frapper également toutes les âmes qui ont besoin d'être purifiées. Aussi une proportion exacte est-elle gardée entre la mesure, le temps, l'intensité de leurs souffrances, et la matière, la grièveté, la multitude des fautes dont elles ont à laisser la rouille dans ce redoutable creuset.
Nous
ne saurions comprendre autrement la justice de Dieu et elle doit
nécessairement établir dans les peines qu'elle inflige les mêmes
gradations qui ont existé dans l'offense. D'où nous devons conclure que
Dieu, mesurant les douleurs à la dette relative de chaque âme. il s'en
trouve parmi elles qui ont a subir des expiations et plus longues et plus terribles ; et de même que dans le séjour des éternelles récompenses il y a des trônes
plus ou moins élevés et que Dieu distribuera à ses élus selon leurs
mérites, il y a aussi plusieurs demeures, plusieurs degrés de peines
dans la prison de la justice divine, qui sont assignées et infligées
aux âmes qui y sont détenues, selon le degré de leur culpabilité.
Dans le Deutèronome, Moïse
régla que les prévaricateurs de la loi qui seraient condamnés à la
flagellation reçussent un nombre de coups de verges déterminé par les
juges selon la gravité des délits. Ainsi en agit le souverain Juge vis-à-vis des saintes âmes du purgatoire, et si notre regard pouvait plonger dans ces régions de ténèbres et de douleurs, nous reconnaîtrions des nuances infinies dans les peines. Mais nous pouvons faire desappréciations.
Parmi ces âmes souffrantes
il en est qui, revenues au Seigneur après une vie de dissipation et de
plaisirs coupables, n'ont fait de leurs fautes passées qu'une pénitence
molle, insuffisante, et sont entrés dans leur éternité chargées
d'immenses dettes qu'elles doivent y acquitter. Qui pourrait douter que
leurs souffrances ne doivent être et plus longues et plus intenses que
celles des âmes qui, après avoir passé
les années de leur vie terrestre dans la pratique de toutes les vertus
chrétiennes, n'ont emporté au tribunal du souverain Juge que quelques légères fautes échappées à la fragilité et à la faiblesse de la nature humaine ?
Il est d'autres âmes en purgatoire qui
n'ont été revêtues de la grâce sanctifiante qu'au moment de comparaître
devant leur Juge ; leur expiation doit nécessairement être terrible, et
il ne viendra à la pensée de personne de supposer qu'elle doive être
semblable à celle du religieux qui a porté le joug du Seigneur
dès sa jeunesse et à qui n'ont été reprochées que de légères
infidélités. Il est donc vrai qu'un grand nombre de ces saintes âmes souffrent tout ce que les expiations du purgatoire ont de plus cruel et de plus désolant. 0r, si pour les âmes les moins redevables à la justice divine, la double peine des sens et du dam est déjà si terrible par elle-même, que sont donc les peines réservées aux autres ?
Parmi
les innombrables visions dont fut favorisée sainte Brigitte, il en est
une qui confirme ce que nous venons d'avancer. Transportée en esprit en
face des gouffres de l'enfer, la sainte vit dans le fond de l'abîme une fournaise indescriptible par l'horreur des ténèbres,
la fumée et les flammes qu'elle vomissait. Volcan éternel dont les
laves embrasées et bouillonnantes arrivaient à grands flots jusque sur
l'orifice du soupirail. Au-dessus de ce soupirail, recevant les premiers jets des flammes, les premières exhalaisons du gouffre infernal, gisaient les âmes de la première région du purgatoire,
celles qui avaient besoin d'une plus grande expiation. Plus loin
étaient d'autres régions plus ou moins rapprochées de l'affreux
soupirail, selon le degré de peines auxquelles étaient condamnées les âmes qui les remplissaient.
Saisie
d'horreur à cet affreux spectacle, la sainte avoue qu'elle sentit son
sang se glacer dans ses veines, et que pénétrée de douleur et d'une
tendre compassion pour ces pauvres âmes qui enduraient de si cruels tourments, elle ne put que se jeter aux pieds de Notre-Seigneur en implorant sa clémence en faveur des âmes qui recevaient avec plus d'intensité l'ardeur de ces flammes vengeresses. Imitons la charité de sainte Brigitte et que les âmes les plus souffrantes du purgatoire aient aussi la plus grande part à nos prières et à nos œuvres satisfactoires.
Parmi
ces saintes captives, il en est d'autres encore qui doivent nous
inspirer une tendre compassion et pour lesquelles la charité nous fait
un devoir de prier d'une manière particulière. Ce sont les âmes abandonnées. Combien y en a-t-il dans ces tristes demeures qui n'obtiennent plus aucun souvenir des vivants. Peu leur importe, il est vrai, cet oubli, cet abandon des créatures.
Elles ne tiennent plus qu'à Dieu, elles n'aspirent plus qu'à lui. Mais
la conséquence de cet oubli est la privation de tout secours de la part des vivants, et cette privation leur est d'autant plus sensible qu'elles n'en peuvent plus attendre d'ailleurs.
Combien n'y a-t-il pas de ces pauvres âmes dont les parents, après avoir donné quelques larmes à leur mémoire, peut-être offert à Dieu quelques prières pour elles, les oublient complétement ensuite, se laissant absorber par le soin de leurs affaires ou de leurs plaisirs.
Combien
encore de vieillards sans enfants, ou d'orphelins qui ne laissent après
eux ni parents ni amis chrétiens qui puissent les suivre au-delà du temps de leur souvenir, de leur affection et de leurs prières !
Combien
encore de soldats, de marins, de voyageurs, d'étrangers, qui meurent
loin de leurs pays et dont les familles ignorent longtemps la mort !
Combien d'indigents, dans les grandes villes, qui vivent et meurent
méconnus de tous, et dont on ignore jusqu'au nom ! Qui s'occupe de cette
multitude de pauvres âmes ?
L'Eglise, il est vrai, ne délaisse, n'oublie aucun de ses enfants, et les âmes dont
nous parlons ont part comme les autres aux prières que cette tendre
mère adresse tous les jours au Seigneur en faveur de toutes les âmes du purgatoire en général ; mais outre ces prières communes, il ne leur vient de la terre aucun secours particulier.
Hélas ! si ces saintes âmes n'ont
que cette part commune que l'Eglise, dans son maternel amour, accorde à
tous ses enfants décédés, si elles ont contracté pendant leur vie des dettes nombreuses, si elles ont beaucoup à expier, et qu'elles soient entièrement privées du bénéfice des messes, des aumônes, des prières
qu'elles avaient droit d'attendre de leurs proches, quel triste horizon
de douleur et de solitude ne s'ouvre pas devant elles, et quel surcroît
d'affliction ne leur cause pas ce délaissement universel !
Que nos cœurs s'émeuvent d'une tendre compassion à la vue des souffrances de ces pauvres âmes abandonnées,
délaissées de tous. Si elles nous sont étrangères dans l'ordre de la
nature, elles sont nos proches dans celui de la grâce ; les liens de la
charité nous unissent à elles ; comme nous, elles sont membres de
Jésus-Christ et enfants de son Eglise. Soyons donc leurs protecteurs,
leurs consolateurs. Efforçons-nous de leur tenir lieu des parents
qu'elles n'ont pas, ou de ceux qui les oublient, et de même que dans la
distribution de nos aumônes nous devons assister de préférence les
pauvres qui sont le moins secourus et dont la misère est plus grande, faisons ainsi pour les âmes abandonnées et donnons-leur, dans nos prières et dans nos bonnes œuvres, une plus large part qu'aux autres.
Enfin nous devons encore prier pour les âmes les plus voisines de leur délivrance. Il y a en purgatoire un grand nombre d'âmes dont
l'expiation touche à sa fin. Combien, parmi elles, n'attendent
peut-être qu'une messe, une faible aumône, une légère mortification, la
récitation de quelques prières, pour voir tomber leurs chaînes et
s'ouvrir les portes de leur triste prison ! Ah ! ne leur refusons pas un
si faible secours, soyons jaloux d'être leurs libérateurs, hâtons nous
de finir d'acquitter leur dette et de leur ouvrir le ciel, où elles iront glorifier Dieu et prier pour nous. Ainsi soit-il.
PRIÈRE.
0 Jésus ! Dieu de bonté et de miséricorde, souverain juge des vivants et des morts, s'il se trouve dans le lieu de l'expiation quelques âmes que
votre justice y retient pour les torts qu'elles ont pu avoir envers
moi, je vous conjure, ô mon Dieu, de leur pardonner comme moi-même je
les leur pardonne ; oubliez, Seigneur, comme je l'oublie moi-même, ce
qu'elles ont pu me faire souffrir, faites descendre sur elles
l'abondance de vos miséricordes ; je vous demande cette grâce et par le sang
que vous avez versé pour nous, et par la charité qui vous porta à prier
sur la croix pour ceux qui venaient de vous y attacher.
Daignez aussi, ô mon aimable Sauveur, jeter un regard de compassion sur les âmes pour
lesquelles j'ai pu être un sujet de scandale et de péché. Ah !
Seigneur, puisque leurs souffrances sont mon ouvrage, puisque je suis
cause des tourments qu'elles endurent, je
suis responsable envers votre justice. La dette qu'elles ont contractée
envers elle est également la mienne, et désormais je m'efforcerai de
l'acquitter, et pour elles et pour moi. Grâce, pitié, ô mon Dieu ! pour
ces saintes âmes qui sont en quelque sorte mes victimes ; grâce, pitié aussi pour moi, qui ai à me reprocher le double
malheur de vous avoir offensé et de les avoir portées soit par mes
exemples, soit par mes conseils, à vous offenser aussi. Que mon repentir
fléchisse votre colère, ô mon Jésus, qu'il plaide auprès de votre divin
cœur et leur cause et la mienne, et que mes larmes, unies aux dernières
larmes que vous avez versées sur la croix, éteignent le feu dévorant qui les brûle.
Ayez aussi pitié, ô très miséricordieux Sauveur, des âmes qui, étant plus que d'autres redevables à votre justice, souffrent en purgatoire des souffrances plus intenses et qui doivent être plus longues. Ayez également pitié de tant de pauvres âmes abandonnées, oubliées sur la terre et qui languissent dans le délaissement
et la douleur. Que votre cœur, si compatissant et si tendre, soit
touché de leur triste sort et leur applique les mérites inflnis de votre
délaissement sur la croix. Ayez encore pitié, ô miséricordieux
Sauveur, des âmes les plus proches de
leur délivrance ; laissez tomber sur elles une goutte de votre précieux
sang, afln que, libérées de toutes leurs dettes, rien ne retarde plus
leur éternel bonheur. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Marie Villani, dominicaine, était continuellement occupée à soulager les âmes du purgatoire, et Dieu, récompensant sa dévotion, lui manifestait souvent leurs besoins.
Un jour, tandis qu'elle priait avec beaucoup de ferveur pour elles, elle fut ravie en esprit et conduite dans le lieu
de leurs supplices. Là elle vit, parmi une multitude d'âmes
souffrantes, celle d'une personne qui avait vécu dans la dissipation et
l'oubli de Dieu. Elle était plus éprouvée que les autres, elle était
entourée, de la tête aux pieds, d'un vêtement de flammes pétillantes.
Touchée
de compassion, la religieuse s'approcha d'elle, et lui demanda si elle
n'éprouvait jamais de soulagement ?» Je suis ici depuis très longtemps,
répondit-elle, effroyablement châtiée pour mes vanités, mon luxe
scandaleux ; je n'ai pas encore obtenu le moindre soulagement. Le Seigneur
a permis que je fusse oubliée de mes parents, de mes enfants, de toute
ma famille, de mes amis. Ils ne font aucune prière pour moi ; sur la
terre, tout mon temps, toutes mes fatigues étaient consacrés à leur
procurer du bien-être, de la fortune, des avantages temporels : j'en suis bien récompensée, vous le voyez, puisqu'ils me laissent à mes douleurs. »
Ces paroles causèrent une vive impression de pitié à Marie Villani. Animée d'une nouvelle ardeur, elle ne cessa pendant deux mois de prier et de se macérer pour cette pauvre âme abandonnée. Après ce terme, l'âme lui apparut pour lui annoncer sa délivrance.
PRATIQUE.
0ffrir spécialement nos prières aujourd'hui pour les âmes du purgatoire qui
pendant leur vie ont pu être pour nous un sujet de peine, pour celles
que nous avons scandalisées, pour celles dont l'expiation est la plus
douloureuse, enfin pour les âmes les plus abandonnées et les plus proches de leur délivrance.
XXVIIe JOUR
Oubli, indifférence des vivants pour les morts.
Voyez
mon humiliation et ma peine et remettez moi tous mes péchés, ô mon Dieu
! Les afflictions de mon cœur se sont multipliées, tirez-moi de ma
détresse. (Ps. 24, v. '7.) .
Ier Point. Une des peines
les plus sensibles au cœur de l'homme c'est l'indifférence, l'oubli de
ceux qu'il aime. Cette peine est pour lui comme un poids qui l'étouffe,
qui l'écrase et qui voue sa vie à la tristesse, à la douleur et aux
larmes. Chacun de nous veut vivre dans le cœur,
dans la mémoire de ses proches et de ses amis, non seulement ici-bas,
mais chacun espère encore y vivre après sa mort. Quel est le père, la mère, qui ne soient convaincus que leur souvenir ne s'effacera jamais du cœur
de leurs enfants ? l'époux qui, en quittant la vie, n'espère vivre
toujours dans la mémoire de son épouse, l'ami dans celle de son ami ?
Entourés à leurs derniers moments des témoignages
d'une affection, d'un dévouement dont ils ne sauraient mettre en doute
la sincérité, ils croient à leur durée. Mais, hélas ! disons-le, cette
durée est bien courte. Dans les premiers jours de ces tristes
séparations, les regrets sont vifs, la douleur souvent plus violente que
profonde, les larmes semblent intarissables ; puis les jours, les mois s'écoulent,
et avec eux les regrets s'adoucissent, la douleur s'affaiblit, les
larmes cessent de couler, la vie qui avait paru devoir être à jamais
décolorée, dépourvue de toutes joies, apparaît peu à peu sous un aspect
plus riant, elle reprend ses enchantements, ses plaisirs. Le souvenir du parent,
dé l'ami tant pleuré, tant regretté, ne revient plus qu'à de rares
intervalles, puis il disparaît tout à fait comme lui-même a disparu.
Je sais bien qu'il est des affections qui survivent à la mort, des souvenirs que le temps n'efface pas, des cœurs qui ne savent pas oublier. Je sais surtout que les affections qui sont ancrées en Dieu, et dont son amour est le principe
et la fin, participent en quelque sorte à la nature de ce divin amour
et sont immuables, immortelles comme lui. Ceux qui s'aiment ainsi
peuvent être séparés par la mort, ils ne peuvent être désunis. Celui qui
reste ici-bas, loin d'oublier l'ami, le parent qu'il pleure et qu'il regrette, le suit dans son éternité ; il le suit
par ses prières, par ses bonnes œuvres, par son souvenir continuel
qu'il porte devant Dieu ; enfin il sait encore lui prouver son
dévouement et la constance de son amour par les sacrifices qu'il
s'impose pour hâter son bonheur.
Mais, disons-le, cette constance d'affection est rare, elle ne se rencontre que dans les vrais chrétiens ; car dans le monde rien n'est stable, et il ne faut compter ni sur la constance des affections
qu'on y rencontre, ni sur les protestations de dévouement qu'on y
prodigue ; tout cela est plus ou moins sincère, mais rien de tout cela
ne peut durer, parce qu'il n'y a là que des sentiments purement humains, et qui participent nécessairement à la légèreté, à l'inconstance
de notre pauvre nature. Les amitiés les plus chaudes, en apparence les
plus vraies, résistent rarement à l'épreuve d'une longue absence ;
comment résisteraient-elles à celle de la mort ? Rien dans le monde ne s'oublie aussi vite que la mort. Pourquoi ? parce que c'est une pensée qui attriste, qui porte à des réflexions sérieuses, et pour ne pas s'attrister, pour ne pas être forcé de réfléchir, on éloigne cette pensée, et avec elle le souvenir de ceux qu'on prétendait aimer et sur lesquels la tombe s'est refermée.
Quelles sont les personnes du monde qui au bout d'un certain temps songent encore à prier pour les âmes des parents ou des amis
qu'elles ont perdus ? Au moment de leur mort on se laisse absorber par
une douleur qui n'a rien de chrétien et on ne prie pas. C'est à peine si
l'on songe à faire célébrer quelques messes pour l'âme qui vient
d'entrer dans son éternité. Quand au bout d'un an revient l'anniversaire
de la mort d'un parent, un service est encore célébré pour le repos
de son âme, puis tout est fini, et la pauvre âme, désormais abandonnée,
n'a plus à attendre aucun secours de ceux qu'elle a tant aimés.
Et puis dans le monde on se rassure si facilement sur le sort des morts,
qu'il ne vient pas même à la pensée d'un grand nombre de personnes que
ceux qu'ils ont perdus puissent avoir besoin de prières. Il suffit qu'à
ses derniers moments un mourant n'ait pas refusé les secours de la
religion, qu'il se soit réconcilié avec Dieu, qu'il ait manifesté
quelques sentiments de foi et de repentir, pour qu'on soit complétement
rassuré sur son sort, et qu'on dise, quels qu'aient été ses antécédents :
« Il est bienheureux, il ne souffre plus, il a fait la mort d'un saint,
maintenant il est au ciel. »
Ce
langage qui si souvent a attristé nos oreilles, et plus encore notre
cœur, parce que nous en pressentions les tristes conséquences, prouve
une grande ignorance dans ceux qui le tiennent
ou une fausse et présomptueuse confiance en la miséricorde de Dieu.
Sans doute on a raison de compter sur la miséricorde divine et pour soi
et pour les autres, et de ne désespérer du salut
d'aucune âme, quelles qu'aient pu être sa vie et ses erreurs, mais en
croyant à l'infinie miséricorde de Dieu, il ne faut pas nier sa justice.
Il est vrai que l'infinie bonté du Seigneur pardonne au pécheur en quelque temps qu'il revienne à lui ; fut-ce à la dernière heure du jour,
il lui remet la peine éternelle due à ses égarements ; mais il est
également vrai que sa justice exige qu'il subisse une peine temporelle,
soit en ce monde, soit en l'autre, pour l'expiation de ses fautes, et si
la mort ne lui laisse pas le temps de faire cette expiation ici-bas , il doit nécessairement la subir dans l'éternité. Et si les âmes les plus pures, les plus innocentes, le sont rarement assez pour aller droit au ciel, si presque toutes doivent passer par les flammes du purgatoire pour
y laisser l'imperceptible poussière qu'elles emportent de notre terre
de péché, n'est-ce pas une absurdité de se flatter qu'un pécheur qui,
pendant de longues années, a avalé l'iniquité comme l'eau, qui, revenu a
sa dernière heure sincèrement à Dieu, nous le croyons, mais qui n'a eu le temps de faire aucune pénitence, jouira d'un privilége à peine accordé aux âmes les plus saintes et sera mis immédiatement après sa mort en possession du bonheur éternel ? Le penser et le croire serait nier la justice de Dieu.
Cette illusion devient funeste aux pauvres âmes sur le sort
desquelles on se rassure si imprudemment ; car n'ayant plus aucune
inquiétude pour elles, leurs proches négligent de prier pour elles et de
travailler à les secourir les secourir. A quoi bon prier pour des âmes qu'on
croit au ciel ? Hélas ! elles eu sont bien loin encore, et dans leur
prison brûlante elles déplorent l'illusion qui les prive des secours qu'elles avaient droit d'attendre de leurs parents et de leurs amis.
IIe Point. Gardons-nous
de partager la fausse confiance dont nous venons de parler, et prions
pour tous ceux que nous voyons sortir de ce monde, qu'ils soient justes
ou pécheurs ! Prions même pour les âmes les
plus saintes, car nul ne connaît les jugements de Dieu ; il ne faut
souvent qu'une légère faute pour retenir une âme sur la route du ciel. Le Seigneur
demandera beaucoup à celui à qui il a beaucoup donné ; d'ailleurs, si
l'âme pour laquelle vous priez n'a pas besoin de vos prières, Dieu les
appliquera à d'autres qui en ont besoin, et le mérite de votre acte de charité vous restera.
Si tous les chrétiens écoutaient comme ils le doivent
la triple voix de la religion, de la nature, de la reconnaissance,
s'ils se rappelaient les obligations que leur impose ou la justice, ou
leurs promesses, les suffrages descendraient dans le purgatoire comme une pluie assez abondante pour en éteindre les flammes. Mais l'oubli des morts est si général, l'indifférence pour leur sort au-delà de la tombe est si commune, que les âmes qui subissent les brûlantes ardeurs
de ces flammes redoutables ne reçoivent pour la plupart qu'un faible
soulagement. On pourrait comparer ce soulagement à la légère rosée du matin,
qui dans l'été brûle les plantes plutôt qu'elle ne les rafraîchit.
L'oubli, l'indifférence qui posent sur un si grand nombre dames du purgatoire aggrave
encore leurs souffrances. Combien n'est-il pas triste pour elles de se
sentir oubliées, abandonnées par ceux-là mêmes qu'elles ont comblés do
leurs bienfaits, et qu'elles ont peut-être trop aimés !
Quel triste parallèle, dit saint Cyrille, on peut établir entre le purgatoire et la terre ! Dans cette profonde prison, les âmes souffrent au milieu du feu des tourments inexprimables, et sur la terre personne ne daigne y faire attention. Leur voix plaintive implore du secours et des consolations, et nulle oreille favorable ne s'ouvre à leurs prières. Elles réclament l'accomplissement des promesses qu'elles ont reçues, des legs qu'elles ont faits, et cet appel à la charité et à la justice n'est pas entendu. Elles se désolent et versent des larmes
de douleur, et pas un cœur ne s'émeut, pas une âme ne s'attendrit et ne
songe à ouvrir les portes de leurs brûlants cachots. Qui peut excuser
tant de dureté et d'ingratitude chez des parents, des amis, chez des chrétiens surtout ?
Et que font ces saintes âmes en
retour de tant de dureté ? Crient-elles vengeance contre les ingrats
qui les oublient et les abandonnent ? Appellent-elles sur eux les
châtiments du ciel, et excitent-elles par
de justes plaintes la justice diviue déjà irritée de leur inhumanité ?
Non, non ; fidèles imitatrices du Dieu qui sur la croix priait pour ses bourreaux, elles prient pour
ceux qui les délaissent et elles s'écrient : Pardon, miséricorde, ô mon
Dieu, pour cet enfant, pour cet époux, pour ce frère, cet ami qui nous
oublie et qui prolonge le martyre que
nous endurons dans ces flammes dévorantes ! Ne nous vengez pas, ô mon
Dieu, mais pardonnez-leur comme nous leur pardonnons.
Enfants, parents ingrats, dénaturés, si vous n'êtes pas touchés des souffrances de ces âmes qui
devraient vous être si chères, soyez au moins touchés de leur charité,
et de l'amour qu'elles vous conservent malgré votre ingratitude et votre
coupable abandon ; que les sentiments de la foi et de la nature, en se
réveillant dans vos cœurs, vous fassent rougir de votre dureté, et vous
inspirent la généreuse pensée de la réparer en faisant désormais tous
vos efforts pour venir au secours de ces âmes si longtemps délaissées.
Souvenez-vous que l'indifférence, la dureté envers les saintes âmes du purgatoire, ne
resteront pas impunies. Dieu se fera leur vengeur, et il les châtiera
comme il châtie la dureté envers les pauvres ; il permettra qu'on vous
oublie, qu'on vous délaisse, comme vous aurez vous-même oublié et
délaissé les autres ; qu'on soit indifférant, insensible à vos
souffrances comme vous l'aurez été pour celles de vos frères. Le jour
viendra, et peut-être n'est-il pas loin, où vous passerez à votre tour
de l'empire de la miséricorde de Dieu sous celui de sa justice. Alors
vous connaîtrez par expérience ce que sont ces terribles expiations du purgatoire, dont vous vous préoccupiez si peu et pour les autres et pour vous, et vous regretterez, mais trop tard, de n'avoir pas eu pour les âmes que vous avez négligé de secourir, la charité que vous souhaiteriez que les vivants eussent pour vous.
Si au contraire vous avez été compatissant, charitable pour ces saintes âmes, Dieu permettra qu'on le soit
également pour vous, qu'on se serve pour vous de la mesure dont vous
vous serez servi pour elles. Vous ne les avez pas oubliées, on ne vous
oubliera pas non plus ; vous avez prié pour elles, on priera pour vous ;
vous vous êtes chargé d'acquitter une partie de leur dette par des œuvres
satisfactoires, d'autres, mus par la même charité, se chargeront
d'acquitter une partie de la vôtre ; et en supposant que vous ne
laissiez après vous sur la terre ni parents ni amis pour prier pour vous
et vous procurer les secours que vous aurez vous-même procurés aux
autres, Dieu saura bien y suppléer, soit en vous donnant une plus large
part aux prières de son Eglise, soit en vous appliquant les messes et
les prières qui lui sont offertes en faveur de tant d'âmes qui n'en ont plus besoin. La justice et la bonté du Seigneur
ne permettront jamais qu'une âme qui pendant sa vie se sera montrée
constamment compatissante et charitable pour les saintes âmes du purgatoire, soit un jour privée de secours et de consolations dans ce lieu de douloureuse expiation.
PRIÈRE.
Comment pourrais-je oublier, ô mon Dieu, ces âmes auxquelles
vous aviez uni la mienne par les liens de l'affection ? Comment
pourrais-je abandonner dans leurs cruelles souffrances ces êtres chéris
qui m'ont donné pendant leur vie des preuves si multipliées d'une affection si tendre et si dévouée ? Ah ! puisque d'après le sentiment des saints et des docteurs de votre Eglise, les douleurs du purgatoire surpassent
tous les tourments qu'on peut endurer ici-bas, comment mon cœur
pourrait-il rester insensible, indifférent à ces terribles peines
qu'endurent peut-être en ce moment les âmes de ceux que j'ai le plus
aimés sur la terre ? Hélas ! je ne pouvais autrefois leur voir endurer
la plus légère douleur sans mettre tout en œuvre pour les en délivrer ;
je ne pouvais voir un nuage de tristesse obscurcir leur front sans
chercher aussitôt à le dissiper par tous
les efforts d'une inquiète tendresse ; leurs peines étaient mes peines,
leur tristesse, leurs chagrins envahissaient mon âme, leurs larmes
provoquaient les miennes, et aujourd'hui ! leurs tristes plaintes, leurs
cruelles souffrances, leurs larmes brûlantes n'attendriraient plus mon
cœur ? Non, non, mon Dieu, vous le savez,
il n'en est pas, il n'en sera jamais ainsi. Les êtres chéris que vous
avez enlevés à ma tendresse vivent toujours dans mon cœur. Ce cœur est
tout plein de leur souvenir, chaque jour je le porte
à vos pieds, et je m'oublierais plutôt moi-même avant de les oublier.
La mort n'a pas éteint, elle n'a pas même affaibli l'amour que je leur
avait voué, et cet amour, je veux le leur prouver toujours en ne cessant pas de prier pour eux, d'offrir en leur faveur des œuvres
satisfactoires, en ne cessant jamais d'implorer pour eux votre infinie
miséricorde. Daignez la répandre, ô mon Dieu, et sur ces âmes qui me sont si chères et sur moi-même, et nous réunir un jour au pied votre trône éternel. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Un soir où le P.
Joseph Anchieta, de la compagnie de Jésus, après la visite faite à un
moribond, retournait très tard à son collége de Baja, il entendit des pleurs et des gémissements sortir du fond
d'un étang près duquel il passait. Ces voix qui paraissaient humaines,
effrayèrent son compagnon qui commença à trembler et se sentit couvert
d'une sueur froide. Mais lui, le prenant par la main, l'attira plus près du bord, pour savoir ce que c'était, et plus ils approchaient de l'eau, plus il fut convaincu qu'il entendait des âmes du purgatoire. Alors
plein d'étonnement et de compassion, il s'écria : « Dieu éternel,
combien est grande votre puissance ! Et se mettant à genoux avec foi, il
récita cinq Pater et cinq Ave en l'honneur des cinq plaies de Notre-Seigneur, pour obtenir le repos de ces âmes. Sa prière fut exaucée ; car ces plaintes lamentables cessèrent tout à coup et ne se firent plus jamais entendre.
Combien souvent les âmes du purgatoire font aussi parvenir leurs cris à notre oreille, soit par la voix des ministres
de la religion, soit par les bienfaits ou les châtiments qui nous
arrivent, soit par les remords de la conscience ou les inspirations de
la grâce. Mais sommes-nous portés à leur accorder un prompt secours ? Si
nous y avons manqué, qu'il n'en soit plus ainsi à l'avenir.
PRATIQUE.
Se faire un devoir de ne passer aucun jour sans prier pour les âmes du purgatoire, ne pas se rassurer trop vite sur le sort de ceux qu'on a perdus, et prier pour eux, quelles qu'aient pu être l'innocence et même la sainteté de leur vie.
XXVIIIe JOUR
Reconnaissance des saintes âmes du purgatoire pour leurs bienfaiteurs.
Faites vous des amis qui, lorsque vous viendrez à manquer vous reçoivent dans les tabernacles éternels.
Ier Point. Quelle n'est pas la joie, le bonheur, le ravissement d'une âme qui, après les longues et douloureuses expiations du purgatoire, se voit enfin libérée de toutes ses dettes et libre de prendre son essor vers le ciel.
Qui pourra nous peindre l'enivrement de cette âme et les divers
sentiments qui se pressent en elle au moment où elle entre dans ce beau
séjour de l'éternelle félicité, où, pour la première fois, la gloire de
Dieu lui apparaît, l'investit, la pénètre de ses divins rayons et fait
couler en elle un torrent de délices dont rien jusque-là n'avait pu lui
donner la plus légère idée. Eblouie, ravie, transportée d'un inénarrable
bonheur, cette âme qui se voit pour jamais en possession de tous les
biens, s'élance avec la rapidité de la flèche qu'une main habile dirige
vers son but, vers le trône immortel de
l'Agneau divin auquel elle doit son éternel bonheur, et qui, en
couronnant ses vertus, va couronner en elle ses propres dons.
Jésus
l'appelle. Pour la première fois elle entend sa voix, et cette voix la
bénit d'une éternelle bénédiction ; pour la première fois elle le voit
dans tout l'éclat de sa divine et ravissante beauté. Les yeux de son
Sauveur s'attachent sur elle et l'enveloppent d'un long regard d'amour.
Ah ! tous les autres objets disparaissent alors à sa vue, elle ne voit
plus que Jésus ; plus prompte que l'éclair, elle s'élance vers lui et va
tomber au pied de son trône, oubliant pour un instant et les neuf
chœurs des anges qui par de nouveaux cantiques célèbrent sa bienvenue, et la multitude des saints qui applaudissent à son triomphe et se réjouissent de compter parmi eux un élu de plus.
Mais
comment nous former seulement une idée de ce qui se passe en cette àme,
lorsque la main divine de Jésus, cette main qui conserve encore la
glorieuse cicatrice des plaies reçues pour son amour, pose sur son front la couronne de l'immortalité, lorsqu'il la présente à son Père comme le prix
de son sang et son héritage ; lorsqu'elle l'entend lui dire : « Tout ce
que j'ai est à toi ; moi-même je t'appartiens, je suis ton bien, ta
propriété pour toujours ; désormais rien ne peut plus nous séparer, rien
ne peut rompre les liens qui nous unissent. Viens donc, jouis de mon
bonheur, rassasie-toi de mon amour, et pour jamais vis de ma propre vie.
» Comment dire ce qu'elle éprouve lorsqu'elle se sent investie de
toutes parts de la lumière et de la gloire de son bien-aimé, lorsque son
amour et sa vie s'insinuent en elle et pénètrent toutes ses puissances
de si ravissantes délices et d'un bonheur si grand, si parfait, que nous
ne pouvons ni l'exprimer, ni même le comprendre avant d'en avoir fait la douce expérience.
Ce qui ajoute au bonheur de cette âme, c'est que désormais rien ne peut plus le lui
ravir. Pour elle plus de vicissitudes, plus de craintes, plus de
combats, plus de dangers, tout est passé pour ne plus revenir. Toutes
ses larmes sont essuyées, la source en est à jamais tarie. Plus de
souffrances, plus de croix, plus d'inquiétudes, de trouble ; au lieu de
tout cela, des joies sans cesse
renaissantes, une sécurité parfaite, une paix profonde et désormais
immuable. Et puis plus de maladies, plus de mort, de jugement à subir ;
pour cette âme, l'épreuve de la vie mortelle est finie ; elle a atteint lebut de ses espérances, son sort est irrévocablement fixé ; elle possède Dieu, elle ne peut plus le perdre
; les siècles succéderont aux siècles, les générations aux générations,
la terre qu'elle a habitée verra luire son dernier jour, et elle le possédera toujours. Elle est heureuse du bonheur de Dieu même, elle vit de sa vie, et ce bonheur, cette vie sont éternels comme lui.
Supposez maintenant, vous qui lisez ceci, que cette âme, dont nous avons essayé de vous faire comprendre le bonheur, ait été délivrée par vous des peines du purgatoire, que
par une fervente communion, une messe que vous aurez fait célébrer pour
elle, une indulgence plénière que vous lui aurez appliquée, une aumône
ou toute autre bonne œuvre que vous aurez offerte à Dieu en sa faveur,
vous lui ayez ouvert les portes du ciel ; figurez-vous, si vous le pouvez,
la reconnaissance dont elle se sent pénétrée pour vous qui avez été son
libérateur et qui avez mis fin à ses cruelles souffrances. Ah ! il ne
nous est pas plus possible de vous faire comprendre cette reconnaissance
qu'il ne nous a été possible de vous donner une idée de sa félicité en entrant dans le ciel.
Cette
reconnaissance surpasse celle d'un pauvre prisonnier pour dettes qui,
gémissant depuis de longues années dans un obscur cachot, aurait été
rendu par votre générosité à la liberté et à sa famille ; car quelle est
la prison, quelque triste, quelque affreuse qu'elle soit, qui puisse se
comparer à celle où la justice de Dieu retient les âmes qui
sont ses débitrices. En achevant d'acquitter les dettes de cette âme,
vous avez brisé les liens qui l'y retenaient captive ; vous ne l'avez
pas seulement rendue à la liberté, à sa famille, à ses amis, mais vous
lui avez ouvert les portes de l'éternelle patrie, vous l'avez rendue à
Dieu, qui faisait violence à son amour pour la retenir loin de lui, à ce
Dieu auquel elle aspirait elle-même avec une si dévorante ardeur.
Cette reconnaissance surpasse encore celle qu'aurait pour vous un malheureux que vous auriez, au péril de votre vie, arraché du milieu des flammes d'un violent incendie, où il allait périr sans votre généreux dévouement ; car vous avez arraché cette âme à des flammes bien autrement dévorantes que celles des plus
violents incendies. Ces flammes, elle ne devait pas y périr, mais y
vivre, et sans vous, peut-être, y eùt-elle vécu et souffert encore
pendant de longues années. Jugez d'après cela de ce que doit être sa
reconnaissance, combien elle doit être vive, profonde, et combien est
ardent le désir qu'elle éprouve de vous rendre bienfait pour bienfait.
Que ne vous doit-elle pas en effet ? Sans vous, sans votre charité, ses souffrances se seraient peut-être encore prolongées pendant de longues années, et quand vous ne les auriez abrégées que d'un mois, que d'un jour, que d'une heure, sa reconnaissance n'en serait pas moins vive. Pour le comprendre, il faudrait comprendre aussi ce que c'est qu'un mois, qu'un jour, qu'une heure passés au milieu de ces flammes dévorantes du purgatoire ; il faudrait surtout comprendre ce que c'est que le honneur de jouir de Dieu un mois, un jour, une heure plus tôt qu'on ne devait en jouir.
II° Point. Sur
la terre, il ne faut pas compter sur la reconnaissance de ceux qu'on a
pu obliger ou secourir, ce serait s'exposer à d'amères déceptions : il
faut faire le bien en vue de Dieu et n'en attendre la récompense que de lui seul. Le cœur
de l'homme est naturellement ingrat, et, à part quelques rares
exceptions, rien ne s'efface aussi vite de sa mémoire et de son cœur
que le souvenir d'un bienfait. Mais il n'en est pas de même des âmes dont vous avez abrégé les souffrances et hâté le bonheur ; l'ingratitude, l'oubli sont bannis du ciel, et vous n'avez pas à craindre que les saintes âmes auxquelles
vous en avez ouvert les portes oublient jamais ce qu'elles vous
doivent. Eternellement elles vous regarderont comme leurs bienfaiteurs,
et aussi longtemps que vous serez exposés aux misères et aux dangers de
la vie présente, elles s'efforceront de vous prouver leur gratitude en
se faisant auprès de Dieu vos avocates et vos médiatrices.
0ui, croyez-le, vous aurez dans ces âmes, non
seulement de puissantes, mais de zélées protectrices ; attentives à
tous vos besoins, sensibles à toutes vos douleurs, elles veilleront sur
vous avec toute la sollicitude du plus affectueux et du plus
constant dévouement. Elles plaideront votre cause auprès de Dieu avec
la chaleureuse éloquence d'un cœur qui déborde de reconnaissance ; sans
cesse elles solliciteront pour vous de nouvelles grâces, de nouvelles
faveurs ; vos intérêts, vos besoins spirituels deviendront en quelque
sorte les leurs, et elles n'oublieront rien pour vous aider à atteindre
l'heureux terme où elles sont parvenues.
Elles
redoubleront encore les efforts de leur zèle au moment de votre mort, à
ce moment redoutable dont dépend votre éternité et qui y fixera à
jamais votre sort. Prosternées alors devant le trône
de Dieu, elles solliciteront pour vous la grâce de la persévérance
finale ; leurs prières mettront en fuite les ennemis de votre salut ;
elles intéresseront à votre cause la douce protectrice des mouvants,
l'auguste Mère de Celui qui devra bientôt être votre juge, et leurs
vœux, leurs prières vous suivront jusqu'au pied de son redoutable
tribunal.
Et puis si, à votre tour, vous avez à subir les douloureuses expiations du purgatoire, c'est
alors surtout qu'elles s'efforceront de vous rendre ce que vous aurez
fait pour elles, et de les abréger par tous les moyens en leur pouvoir.
Compatissantes pour vos souffrances comme vous l'aurez été pour les
leurs, elles offriront pour les abréger la surabondance de leurs mérites
; elles feront valoir auprès de Dieu la charité dont vous avez usé
envers elles, et elles le supplieront, au nom même de sa justice, d'être miséricordieux pour vous comme vous l'avez été pour elles.
Le Seigneur, ayez-en la douce confiance, ne rejettera pas les prières de ces âmes qui
lui sont si chères, et il se plaira à acquitter lui-même la dette de
reconnaissance qu'elles ont contractées envers vous, et puis, lui aussi
est en quelque sorte votre débiteur, car vous l'avez rendu votre obligé,
en secondant les désirs de son amour, en hâtant par vos suffrages et
vos bonnes œuvres le bonheur de ces âmes que sa justice retenait loin de lui, mais qu'il ne frappait qu'à regret. Le cœur
de Jésus ne sera pas ingrat, il se laissera aisément fléchir par les
prières qui lui seront offertes en votre faveur, et au souvenir de votre
charité, il se relâchera des droits de sa justice.
Quelle joie ! quel bonheur pour vous, lorsque vous serez reçus et accueillis par ces âmes bienheureuses, qui peut-être vous sont inconnues, mais qui vous attendront aux portes du Ciel, vous saluant des noms
si doux de frères et d'amis ; jalouses de vous introduire elles-mêmes
dans les tabernacles éternels, votre félicité doublera en quelque sorte
la leur, et leur voix s'élèvera encore jusqu'au trône de Dieu pour lui
demander pour vous une augmentation de gloire et de bonheur en
récompense de la charité et de la miséricorde dont vous aurez usé envers
elles.
Quel est celui d'entre nous qui ne se sentira pressé de la noble ambition de mériter la reconnaissance de ces saintes âmes ? Quel est celui qui ne désirera avoir auprès de Dieu des protectrices si puissantes et si dévouées ? Tous nous le voudrons, et désormais chacun de nous redoublera de zèle pour le soulagement et la délivrance de ces âmes si dignes de notre compassion et de notre amour.
N'oublions pas que lors même que nous ne parviendrions pas à délivrer entièrement une âme du purgatoire, mais que nous ne ferions qu'adoucir ses souffrances et en abréger la durée, nous n'en acquerrions pas moins des droits à sa reconnaissance, et avant même son entrée dans le ciel,
elle s'efforcerait de nous la prouver en priant pour nous, même au
milieu de ses tourments, et si Dieu se montre inflexible aux prières de
ces saintes âmes, qu'il aime cependant d'un si tendre amour, quand elles le prient
pour elles-mêmes, il se montre au contraire empressé de les exaucer
quand elles s'adressent à lui en faveur de leurs bienfaiteurs, leur
montrant par là que malgré ses rigueurs, elles sont toujours les enfants
chéris et bien-aimés de son cœur. Redoublons donc de zèle, de charité
de dévouement, en nous oubliant en quelque sorte pour elles, nous
n'avons rien à perdre, mais tout à gagner.
PRIÈRE.
Qu'il serait doux pour mon cœur, ô mon Dieu ! d'acquérir des droits à la reconnaissance de quelques unes de ces âmes qui
vous sont si chères, et de les avoir pour protectrices, pour
médiatrices auprès de vous. Mais surtout qu'il me serait doux, aimable
Sauveur, de contenter les désirs et l'amour de votre cœur adorable, en
hâtant le moment où elles iront jouir de votre divine présence et s'unir pour jamais à vous. Vous le savez, ô mon Jésus ! le désir d'ouvrir à ces saintes captives les portes de leur triste prison, d'avancer le moment où elles iront vous glorifier dans le ciel, est un de nos plus ardents désirs. Aidez-moi par votre grâce à pouvoir le réaliser,
remplissez mon cœur de cette charité tendre, compatissante, généreuse,
dévouée, qui se prouve par les œuvres et ne recule devant aucun
sacrifice. Bénissez, Seigneur, la résolution que je forme aujourd'hui à
vos pieds, de faire désormais pour ces saintes âmes tout
ce que je souhaite qu'on fasse un jour pour moi, lorsque je serai comme
elles sous l'empire de votre justice ; je ne veux passer aucun jour
sans vous prier pour elles, et dès ce moment je vous offre en leur
faveur mes peines, mes souffrances, mes œuvres satisfactoires, j'unis
tout cela aux souffrances et aux mérites de votre passion, et je conjure
Marie, la douce consolatrice de tous les affligés, de jeter sur ces
pauvres âmes un regard de compassion et de miséricorde. Sur le Calvaire elle est devenue la mère de toutes les âmes pour le salut
desquelles vous vous immoliez ; comment pourrait-elle ne pas avoir
pitié de celles qui n'ont pas rendu inutiles les mérites de la
Rédemption, et pour lesquelles votre sang n'a pas été répandu
inutilement. Ah ! je le sais, ô mon Jésus ! le sceptre miséricordieux de Marie s'étend sur le purgatoire comme il s'étend sur la terre ; là elle est connue par ses bienfaits, comme elle l'est parmi nous, et les saintes âmes qui habitent ces tristes régions sont l'objet de sa plus tendre sollicitude, parce qu'elle voit en elles des enfants
malheureux pour lesquels elle ne cesse d'implorer votre miséricorde.
Exaucez-la, ô mon Dieu ! et en comblant les vœux de votre auguste Mère
vous comblerez aussi les nôtres. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Une pauvre servante, élevée chrétiennement dans un village, avait adopté la sainte pratique de faire dire chaque mois, sur ses modiques épargnes, une messe pour les âmes souffrantes.
Amené par ses maîtres à Paris, elle n'y manqua pas une seule fois, se
faisant d'ailleurs une loi d'assister elle-même au divin sacrifice, et
d'unir ses prières à celles du prêtre, spécialement en faveur de l'àme dont l'expiation n'avait plus besoin que de peu de chose pour être achevée.
Dieu
éprouve bientôt cette fille par une longue maladie qui, non-seulement
la fit cruellement souffrir, mais lui fit perdre sa place et épuiser ses
dernières ressources. Le jour où elle
put sortir. Il ne lui restait pour tout argent que vingt sous. Après
avoir fait une prière pleine de confiance, elle se mit en quête d'une
condition. Elle se rendait à un bureau de placement, situé à une autre
extrémité de Paris, lorsque, apercevant l'église Saint-Eustache, elle y
entra. La vue d'un prêtre à l'autel lui rappela qu'elle avait manqué ce mois à sa messe des défunts, et qu'elle était au jour où depuis bien des années
elle faisait cette bonne œuvre. Après avoir un peu hésité entre sa
dévotion et une réflexion suggérée par la prudence humaine, elle
satisfit sa dévotion en se disant ; « Après tout, le bon
Dieu voit que c'est pour lui plaire, il ne saurait m'abandonner ! »
Elle entre à la sacristie, remet son offrande, puis assiste avec ferveur
à cette messe demandée.
Quelques instants après, elle continuait sa route, non
sans une certaine inquiétude sur l'avenir. Dénuée de tout, que
ferait-elle, si une place tardait à se présenter ? Elle était livrée à
ces pensées, lorsqu'un jeune homme pâle, d'une taille élancée, d'un
maintien distingué, s'approche d'elle, et lui dit : « Vous cherchez une
place ? — 0ui ; monsieur. — Eh bien, allez dans telle rue, à tel numéro,
chez madame X...; je crois que vous lui conviendrez et que vous serez
bien là. » Et il disparut entre les passants sans attendre les
remerciements de la pauvre fille.
Arrivé à la rue indiquée, elle reconnaît le numéro, et monte à l'appartement. Une personne en sortait, tenant un paquet sous le bras, et murmurant des paroles
de colère. — Madame y est-elle ? demanda la nouvelle venue. — Peut-être
oui, peut-être non, répond l'autre. Que m'importe ? Madame ouvrira
elle-même, si cela lui convient ; je n'ai plus à m'en mêler. Et elle
descend. La pauvre fille sonne en tremblant, et une dame âgée, d'un
aspect respectable, lui demande avec douceur ce qu'elle désire. Madame,
répondit-elle, j'ai appris ce matin que vous aviez besoin d'une femme de
chambre, et je viens m'offrir à vous. — Mais, ma chère enfant, ce matin
je n'avais besoin de personne. Il y a à peine une demi-heure que j'ai
spontanément chassé une insolente domestique, et ce fait est ignoré hors
elle et moi. Qui donc vous envoie ? — Madame, c'est un jeune monsieur
que j'ai rencontré dans la rue, qui m'a arrêtée pour cela, et j'en ai
béni Dieu, n'ayant plus un sou. » La vieille dame se perdait en
conjectures, lorsque la servante, levant les yeux, aperçut un portrait. «
Ne cherchez pas plus longtemps, madame. Voilà exactement la figure du jeune homme qui m'a parlé, c'est de sa part que je viens... »
A
ces mots, la dame jette un grand cri, et semble prête à perdre
connaissance. Elle se fait dire cette histoire, celle de la dévotion
aux âmes du purgatoire, de la messe du matin,
de la rencontre de l'étranger ; puis, se jetant au cou de la pauvre
fille, elle l'embrasse avec effusion, et lui dit : « Vous ne serez point
ma servante, vous êtes dès ce moment ma fille ! C'est mon fils unique,
mon fils mort depuis deux ans que vous avez vu. Je ne puis douter qu'il
ne vous doive sa délivrance, et Dieu a permis qu'il vous envoyât ici.
Prions désormais ensemble pour tous ceux qui souffrent aupurgatoire.
PRATIQUE,
Faire offrir quelques fois le saint sacrifice de la Messe pour les âmes du purgatoire les plus abandonnées, ou pour celles qui sont le plus près de leur délivrance.
XXIXe JOUR
Ne pas différer d'accomplir les dernières volontés des défunts.
Si
nous avons négligé tes œuvres de miséricorde envers les morts qui ont
eu confiance en nous, donnons leur une juste compensation et
redoublons-les par notre ferveur.
Ier Point. Si quelque chose oblige sur la terre et doit être respecté, ce sont il me semble les dernières volontés des morts. Tout le monde convient de cette vérité, elle est dans toutes les bouches, et chacun dit : « Les dernières volontés des mourants sont sacrées. »
Et cependant, nous le disons
en gémissant, il est très-peu de personnes qui les respectent, et dont
la conduite ne soit pas à cet égard en désaccord avec les discours.
Dans les siècles de foi, alors que la religion était en honneur, que les familles étaient chrétiennes et l'autorité des parents
reconnue et respectée, leurs dernières volontés l'étaient aussi, et
leurs enfants, habitués à l'obéissance, se faisaient un devoir de leur
obéir après leur mort, comme ils leur avaient obéi pendant leur vie.
Mais dans notre siècle de progrès, de liberté, d'indépendance, il n'en est plus ainsi. Comment ces jeunes gens, qui ont secoué le joug de la religion, souvent dès leur enfance, qui veulent à tout prix être indépendants, c'est-à-dire être libres de se livrer sans
contrainte à toute la fougue de leurs passions, qui ne reconnaissaient
pas même l'autorité de Dieu, reconnaltraient-ils celle de leurs parents ?
Hélas
! habitués dès l'enfance à la méconnaître, à la mépriser , leur voix
n'est pas plus écoutée que celle de Dieu, et après leur mort leurs
dernières volontés ne sont pas plus sacrées, pas plus respectées par ces
enfants dénaturés, qu'elles ne le furent pendant leur vie.
Ce n'est plus que dans les familles chrétiennes, où avec la foi se sont conservés l'amour et le respect des parents,
qu'après leur mort les enfants regardent comme un devoir sacré
d'accomplir leurs dernières volontés, et regarderaient comme une
injustice qui les rendraient coupables devant Dieu de ne pas le faire.
En cela, ils ont raison, car les legs faits par les morts obligent en
conscience leurs héritiers ; c'est pour eux une dette sacrée, qu'ils ne
peuvent sans injustice se refuser d'acquitter.
Le concile de Trente recommande aux Evêques de veiller attentivement à l'accomplissement des legs pieux faits par les fidèles défunts, et un autre concile, approuvé par saint Léon-le-Grand, ordonne de refuser les portes de l'église comme à des infidèles, à ceux qui s'approprient les dons faits par les morts, ou qui diffèrent de les remettre aux ministres sacrés.
D'autres conciles vont jusqu'à priver de la communion ecclésiastique ceux qui se rendent coupables du même péché. Des lois si sévères nous font assez comprendre à quel point on se rend coupable, en privant les défunts dessuffrages qu'ils ont voulu s'assurer, en inscrivant dans leur testament leurs dernières volontés.
La religion, comme la justice, commandent donc l'exécution des legs
pieux, et ceux qui y manquent en s'appropriant les fonds ou les revenus
qui y sont affectés, se rendent coupables de fraude et d'un vol
sacrilége. Si ce sont des messes à faire acquitter pour leurs parents ou ceux dont ils héritent, en y manquant, ils privent ces pauvres âmes du soulagement
qu'elles en auraient reçu, se constituent en quelque sorte leurs
bourreaux, et deviennent responsables de leurs souffrances devant Dieu.
Si ce sont des sommes destinées à être
distribuées en aumônes, qui ne sait qu'en les retenant, en ne les
employant pas à cet usage, ils s'attribuent un bien qui ne leur
appartient pas, et se rendent coupables d'une véritable injustice ?
Malheur à ceux qui s'engraissent de la substance du pauvre ! Ils croient la dévorer impunément, et ils ne s'aperçoivent pas qu'elle devient pour eux un poison mortel.
Peut-être cette somme léguée aux pauvres était-elle, dans l'intention du testateur,
destinée à réparer quelque injustice, qu'il n'était peut-être plus en
son pouvoir de réparer autrement ; ses héritiers la retiennent, et par
là privent cette âme du bénéfice de l'aumône ; car l'aumône qui rachète nos péchés, rachète aussi ceux des âmes qui
souffrent (l). « C'est elle, disait l'ange à Tobie, qui arrache à la
mort, qui purifie l'âme ; c'est elle qui ouvre les portes de la
miséricorde et de la vie (2). »
Et qui pense aujourd'hui dans le monde
à se faire un scrupule de ne pas accomplir les legs pieux faits par les
morts ? Quels sont ceux qui croient manquer en cela de justice et de
probité ?
Hélas
! on ne pense plus qu'à augmenter sa fortune, ses revenus, pour
accroître la somme de ses jouissances matérielles, et on voit des héritiers avides empressés de s'enrichir des dépouilles de ceux qui meurent, se disputer sur des tombes à peine fermées, des biens
que bientôt ils laisseront à leur tour à d'autres héritiers aussi
avides qu'eux. Mais quant aux legs pieux, de tels hommes ne se mettent
guère en peine de les accomplir. Des messes ? Mais à quoi bon ? Les morts n'en ont pas besoin. A leurs yeux le testateur
était un fanatique ; ou ils rient de ses idées arriérées si peu en
harmonie avec les progrès de notre siècle de lumières, et les messes ne
sont pas acquittées. Quant aux aumônes, pourquoi leur imposer une charge
si arbitraire, ne sont-ils pas libres de faire de leur héritage ce que
bon leur semble, et de donner aux pauvres ce qu'il leur plaira.
D'ailleurs, ont-ils plus qu'il ne faut pour subvenir aux exigences de
leur position ? et les aumônes ne sont pas acquittées non plus.
Cependant de tels hommes se vantent d'avoir de l'honneur, de la probité ;
ils passent partout le front haut, et se
vantent hautement de n'avoir jamais fait de tort à personne. N'en
font-ils donc pas ainsi un bien réel, à ces pauvres âmes auxquelles ils doivent peut-être tous les avantages dont ils jouissent, et qu'ils privent des secours
qu'ils leurs doivent, non pas seulement par reconnaissance, mais par
justice ? N'en font-ils pas aux pauvres, en retenant à leur profit les
aumônes qui leur étaient destinées ? Ah ! si le monde les absout de cette injustice, s'il ne la stygmatise pas de son mépris, Dieu ne les absoudra pas aussi facilement, qu'ils le sachent bien, et le jour viendra où il leur demandera un compte rigoureux de ces injustices qu'ils ne songent pas même à se reprocher.
IIe Point. C'est
donc un devoir, et un devoir de justice pour chacun, d'accomplir les
dernières volontés des morts. d'acquitter les fondations, legs
mentionnés dans leur testament ; et non-seulement on doit les acquitter,
mais on doit le faire au plus tôt afin de ne pas priver ces âmes du soulagement que leur obtiendront, soit les messes qui seront célébrées pour elles, soit les prières des pauvres
qu'on doit toujours engager, en leur remettant les aumônes qui leur ont
été allouées, à prier pour leurs bienfaiteurs. Si on comprenait bien ce
que sont ces terribles expiations du purgatoire, loin
de différer de faire ce qui peut les adoucir, chacun s'empresserait
d'apporter de prompts et efficaces secours à ces saintes âmes si dignes de notre compassion, et dont plusieurs doivent par tant de titres être si chères à chacun de nous.
Pensez,
enfants ingrats qui négligez d'accomplir les dernières volontés de vos
parents, aux affreuses douleurs auxquelles vous les condamnez.
Souvenez-vous que l'âme pour laquelle nous implorons votre pitié est
celle de ce père qui vous a tant aimés. Quel fruit retire-t-il
aujourd'hui de son travail, des fatigues, des sacrifices
qu'il s'est imposés pour vous ? Hélas ! il a travaillé, il s'est dévoué
en vain à votre bonheur ; vous l'oubliez, il souffre, il endure
d'intolérables douleurs, et vous, insensibles à ses maux, vous
l'abandonnez lâchement, ne pensant qu'à jouir, qu'à dissiper dans de
coupables plaisirs les biens qu'il vous a laissés. Cette âme, c'est
celle de votre mère, de cette mère dont vous étiez l'idole, et qui, pour
vous établir plus richement, s'est montrée parcimonieuse envers les
pauvres et ne leur a pas fait une part assez large de ses biens. Hélas !
elle souffre, elle gémit au milieu de flammes dévorantes, et sa fille
la délaisse et s'abandonne à toutes les folles joies de ce monde.
Cependant ces âmes avaient
exprimé leurs volontés dernières ; elles avaient réclamé votre
souvenir, vos prières. Elles avaient reçu vos promesses, elles y
comptaient et elles en attendent en vain l'accomplissement. Hélas ! les
promesses sont déjà oubliées, les dernières volontés n'ont pas été et ne
seront jamais accomplies. Pourquoi ? Parce que, pour le faire,
il faudrait peut-être s'imposer quelques privations, se priver
d'acheter un objet inutile, une parure, un bijou, une futilité. Pourquoi
encore ? Parce que la cupidité retient, parce qu'on craint de
s'appauvrir, parce que, loin de trouver qu'on a, trop, alors même qu'on
regorge de richesses, on trouve encore qu'on n'en a pas assez.
Oh ! que les personnes qui ont été assez imprudentes pour confier à des héritiers sans foi et sans religion le soin
d'accomplir leurs dernières volontés expient chèrement leur imprudence,
et qu'elles eussent été plus sages de faire elles-mêmes ce qu'elles ont
laissé à d'autres le soin de faire pour
elles. Ne les imitons pas et assurons-nous nous-mêmes les secours que
nous voulons avoir après notre mort. Déposons entre des mains sûres les sommes que nous destinons à faire célébrer des messes pour le repos de notre âme ; faisons-en de même pour celles que nous voulons être employées en aumônes et en bonnes œuvres. C'est le seul moyen d'être sûrs que nos volontés dernières seront accomplies, à moins que nous n'ayions le bonheur d'appartenir à une de ces familles chrétiennes qui, avec la foi, ont conservé le respect dû aux dernières volontés des morts.
Quant
à ceux qui ne se font nul scrupule de les enfreindre et de retenir à
leur profit ce qui était destiné à d'autres, et qui, par conséquent, ne
leur appartient pas, qu'ils se souviennent qu'ils péchent en agissant
comme ils le font, qu'ils sont obligés, en conscience, à acquitter les legs de ceux dont les biens ont passé entre leurs mains. S'ils ne le font
pas, cette obligation existera pour leurs héritiers comme elle existe
pour eux-mêmes, et ceux-là à leur tour pécheraient en ne la remplissant
pas, à moins qu'ils ne soient dans une impossibilité réelle de le faire. C'est là une dette qui passe du père au fils et qui ne s'éteindra qu'après avoir été acquittée.
Et
qu'on ne croie pas que l'injustice commise par ceux qui n'accomplissent
pas un devoir aussi sacré puisse rester impunie. Non certes, il n'en
sera pas ainsi. Dieu la punit souvent même dès ce monde par des châtiments temporels, et s'il ne le fait
pas, ceux qu'il lui réserve dans l'autre vie sont bien plus à craindre
et bien plus redoutables. Quelle ne sera pas la longueur et la rigueur des peines qu'auront à endurer dans le purgatoire les âmes qui
auront à se reprocher l'injustice dont nous parlons ? Ah ! c'est alors
qu'elles comprendront la grandeur de leur faute, qu'elles la déploreront
amèrement, et qu'elles désireront, mais trop tard, de pouvoir la
réparer. Maintenant elles ont le pouvoir de le faire, et elles n'en ont pas la volonté ; alors, elles en auront la volonté, mais elles n'en auront plus le pouvoir, et, pendant des siècles peut-être, elles auront à expier au milieu de ces flammes terribles, sans cesse entretenues et activées par le souffle
vengeur de la justice divine, leur malheureuse cupidité. Craignons ces
redoutables châtiments, faisons tout ce gui est en notre pouvoir pour
les éviter, et surtout observons religieusement les dernières volontés
de nos parents et de nos amis, ne différons pas de les accomplir, et ne
leur faisons pas attendre le soulagement
qu'ils ont voulu s'assurer après leur mort. Ils ont compté sur nous,
justifions leur confiance, et montrons-leur que nous n'en étions pas
indignes.
PRIÈRE.
Ne
permettez pas, ô mon Dieu ! qu'une indigne cupidité ou une coupable
négligence nous fasse jamais manquer à nos devoirs de justice envers les
morts.
Leurs droits sont sacrés, et leurs dernières volontés doivent également être sacrées pour nous.
Nous
avons joui de leur affection pendant qu'ils étaient sur la terre,
maintenant nous jouissons de leurs biens, de ces biens qu'ils ont acquis
par leur travail, par leurs peines, et qu'ils ont été heureux de nous
laisser, ne s'en réservant que la faible partie qu'ils ont confiée à
notre loyauté, en la destinant à des œuvres de charité qui doivent servir au soulagement de leurs âmes.
Comment pourrions-nous avoir le triste courage de les en priver et de frustrer la confiance qu'ils ont mise en nous ?
Ah
! ce serait manquer à la fois et aux devoirs de la reconnaissance et à
ceux de la justice, et encourir, ô mon Dieu, votre juste indignation.
Mais non, Seigneur, il n'en sera point ainsi ;
la confiance que nos chers défunts ont mise en nous ne sera point frustrée,
nous satisferons pleinement et consciencieusement à toutes les obligations qu'ils nous ont laissées ;
nous ne différerons pas d'accomplir leurs dernières volontés,
heureux si nous pouvons, par notre empressement, par nos prières, aider ces âmes si
chères à acquitter au plus tôt la dette qu'elles ont contractée envers
votre justice, et accélérer par nos suffrages et nos bonnes œuvres le moment de leur bonheur. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Un
brave soldat, qui jusqu'à sa vieillesse, avait humblement servi
Charlemagne, fit appeler à son lit de mort un neveu, seul parent qui lui
restât, et ne possédant que son cheval et son armure, le chargea de les vendre aussitôt après son décès, et d'en employer le prix pour le repos de son âme.
Le neveu s'y engagea ; mais après la mort de son oncle il oublia sa promesse. Le cheval était très-beau, et le neveu s'en étant servi pour quelques voyages, le trouva si excellent, qu'il remettait de jour en jour la vente. A mesure que le temps
s'écoulait, sa conscience s'assoupissait, si bien que perdant de vue
l'obligation que son oncle lui avait imposée, il considéra le cheval comme sa propriété.
Une voix lugubre vint le troubler
pendant la nuit. C'était celle de son oncle qui lui reprochait sa
négligence. « Pourquoi, lui disait-il, as-tu ainsi désobéi au
commandement que je t'avais fait et violé ta solennelle promesse. Par ta
faute, j'ai dû et je devrais encore souffrir de longs et cruels
tourments dans le purgatoire, mais par la miséricorde de Dieu, m'en voici libre, et je vais dans le paradis
jouir de la gloire éternelle. Pour toi, sache que ta conduite sera
punie par une prompte mort, et qu'un châtiment tout particulier t'est
réservé ; tu porteras la peine due à tes propres fautes, et tu
souffriras à ma place toutes celles que je devrais encore souffrir pour
satisfaire à la divine justice. »
Le neveu
fut accablé par cette menace, et voulant mettre ordre à sa conscience,
il se hâta de remplir les dernières volontés de son oncle, puis fit tout
ce qu'il put pour éviter la mort éternelle ; mais il ne put éviter la
mort du corps qui lui avait été été
annoncée, et qui l'enleva à peu de jours de là. L'ingratitude et
l'injustice envers les morts sont détestées de Dieu, qui les punit dans
ce monde et dans l'autre..
PRATIQUE.
Regarder comme un devoir sacré, et qui oblige en conscience, l'accomplissement des dernières volontés des défunts, et ne pas différer de s'acquitter de ce devoir.
XXXe jour
Avantages que nous ponvons retirer de la pensée du purgatoire, et de la charité que nous aurons pour les saintes âmes qui y sont retenues.
La crainte est le commencement de la Sagesse.
ler Point. La pensée du purgatoire ramène
tout naturellement à notre esprit celle de la mort, et par là même elle
ne peut que nous être utile et nous inspirer de sages et salutaires
réflexions. « Pensez à vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais. »
En effet, quel frein plus salutaire l'homme peut-il opposer à ses passions que la pensée de la mort qui peut le surprendre à tous les instants, celle du jugement redoutable qui doit la suivre, celle de l'enfer où un seul péché mortel peut le précipiter ; la pensée du ciel qu'il peut perdre, mais qu'il peut gagner s'il le veut sincèrement ; celle du purgatoire enfin, où les âmes expient par de si cruelles souffrances les fautes légères qu'on se permet si aisément et dont on fait si peu de cas dans le monde.
Notre intention n'est pas de nous occuper, dans cette méditation, des avantages qui résultent pour l'âme de la pensée approfondie des fins dernières, nous nous bornerons à faire comprendre ceux qu'elle peut retirer du souvenir fréquent du purgatoire.
Le premier avantage que nous y trouvons est de nous inspirer une crainte salutaire des fautes légères et de nous donner une haute idée de la sainteté de Dieu, qui ne peut souffrir l'ombre même du péché, et de sa justice, qui lui inflige de si terribles châtiments.
Comment en effet ne pas concevoir une crainte salutaire du péché
véniel, à la pensée de ces gouffres embrasés, de ces brasiers ardents,
sans cesse attisés par la miséricordieuse justice de Dieu, au milieu
desquels des âmes saintes, et dont la place est assurée dans le ciel, endurent pour expier des fautes légères, pour acquitter quelques restes de dettes, des souffrances
auxquelles ne peuvent être comparées aucune de celles qui nous sont
connues sur la terre ? Ah ! au souvenir de ce terrible lieu d'expiation,
de ce purgatoire que saint Augustin, saint Thomas et d'autres docteurs appellent un enfer, moins le désespoir et la durée, un enfer raccourci, l'âme se forme une juste idée de la malice du péché véniel, elle en conçoit de l'horreur, elle veille sur elle pour ne pas le commettre, et elle évite avec soin ces mille petites fautes qu'elle ne pensait même pas à se reprocher.
Oui, nous ne craignons pas de le dire, la pensée habituelle du purgatoire retrancherait de la vie des personnes
pieuses une multitude de fautes légères. Si cette pensée leur était
familière, les prières seraient faites avec plus d'attention, les
sacrements reçus avec plus de foi et des dispositions plus parfaites, les devoirs plus religieusement et plus soigneusement accomplis, le support du prochain paraîtrait moins pénible, et la charité ne serait pas aussi souvent blessée.
Qui
oserait se permettre une légère médisance, une parole de mépris ou de
moquerie, un murmure contre les supérieurs, une impatience, un léger
mensonge, une pensée ou une parole d'amour propre ou de vanité, si l'on
pensait qu'il faudra, si toutes ces fautes ne sont pas expiées en ce
monde, en faire dans l'autre une si terrible pénitence.
Si cette pensée venait quelquefois à l'esprit de ces femmes du monde qui font une idole de leur corps, qui ne songent qu'à le parer et à faire ressortir les avantages naturels dont elles sont douées, par tous les raffinements de la vanité et du luxe le plus
effrené ; si elles voulaient s'arrêter quelquefois à cette pensée et y
réfléchir sérieusement, comme à une vérité qui n'en est pas moins
réelle, parce qu'elles l'éloignent de leur souvenir, et qui les regarde
comme elle regarde la religieuse au fond de son cloître, nous ne
craignons pas de dire que les futilités dont elles s'occupent perdraient
bientôt l'importance qu'elles ont à leurs yeux, et qu'on ne les verrait
pas si à l'affût des caprices de la
mode, si empressées à s'y conformer dans tout ce qu'elles ont de plus
bizarre et de plus ridicule ; elles ne perdraient plus à leur toilette
un temps si précieux, en pensant qu'un jour Dieu leur demandera un
compte sévère de ce temps qu'elles devraient employer à leur salut et
qu'elles dissipent si follement dans l'oisiveté, la dissipation et le plaisir. Oui, si elles pensaient aux terribles expiations qui seront imposées à leurs vanités, à leur amour de la parure, à leur
mollesse, à leur sensualité, leur vie, nous n'en doutons pas,
deviendrait bientôt plus en harmonie avec leur titre de chrétienne et la
gravité des devoirs qu'il impose, et en
s'occupant moins de la parure de leur corps, elles s'occuperaient
davantage de celle de leur âme, et par la pratique des vertus, elles s'efforceraient d'acquérir cette beauté qui est à l'abri des outrages du temps, qui ne se flétrit pas, et qui seule attire les regards de Dieu et a du prix à ses yeux.
La pensée du purgatoire a
pour second avantage d'inspirer l'esprit de pénitence et de
mortification. En effet, cette pensée nous rappelle que si la justice
divine est rigoureuse, elle n'est pas aveugle, qu'elle ne punit pas deux
fois les mêmes fautes, et que si nous les expions en ce monde, nous ne
les expierons pas dans l'autre. Elle nous rappelle également que si elle
est justice inflexible, inexorable dans le purgatoire, nous pouvons aisément la fléchir et la désarmer tant que nous sommes sur la terre. L'âme, à ce souvenir, se sent remplie du désir d'échapper par la pénitence à ce feu terrible du purgatoire, qui
ne peut exercer son action que sur les péchés qui n'auront pas été
expiés. Si nous expions les nôtres par la pénitence, il n'aura plus rien
à désirer en nous.
Dieu,
dans sa bonté, veut qu'une dette contractée par un délit volontaire
puisse être acquittée par une satisfaction volontaire. Il ne nous châtie
dans l'autre vie que parce que nous n'avons pas eu le courage
de venger sur nous en celle-ci nos propres faiblesses. Il est donc de
notre intérêt de chercher à prévenir ses jugements et sa justice par la
pénitence ; quelle que soit celle que nous nous imposerons, elle sera toujours plus douce que le purgatoire. La
main de Dieu est plus lourde que la nôtre. Cette pensée remplit l'âme
d'un saint courage pour embrasser généreusement la mortification et la
pénitence. Elle se dit à elle-même : Je veux enfin régler des comptes ouverts depuis si longtemps avec Dieu ; je veux profiter du temps que me laisse sa miséricorde pour satisfaire à sa justice ; je veux acquitter des dettes qu'il m'est si facile de solder avec un peu de générosité et d'amour. Je le puis, je le dois et je le veux.
IIe Point. Le troisième avantage que nous procure la pensée du purgatoire est
de nous rendre plus patients, plus courageux à supporter les peines et
les épreuves de la vie ; elle nous apprend à les envisager comme un
moyen que Dieu nous fournit dans sa miséricorde pour suppléer à ce qui
manque à notre pénitence et nous aider à éviter les terribles
expiations du purgatoire. Heureuse l'âme
qui comprendrait bien cette vérité ; elle ne recevrait pas seulement les
croix que lui ménage la Providence avec résignation, mais avec
reconnaissance et avec joie, elle les regarderait comme un bienfait
signalé de la bonté du Seigneur, comme
une monnaie précieuse avec laquelle elle peut chaque jour solder une
partie de ses dettes, et quelles que soient ces souffrances, quelque
longues, quelque pénibles qu'elles puissent paraître à la nature, elle
les supporterait en paix et bénirait Dieu en pensant aux biens qui en
résulteront pour elle, et aux mérites qu'elles peuvent lui faire
acquérir. « Mais, dit Fénelon, la nature ne veut de purgatoire ni en ce
monde ni en l'autre. Alors qu'arrive» t-il ? Par nos chicanes avec Dieu,
nous rendons celui-ci tellement inutile, que tout est à recommencer
après la mort, et nous en faisons deux au lieu d'un. Il faudrait être
dès cette vie comme les âmes du purgatoire, paisibles, souples dans la main de Dieu pour se laisser détruire par le feu vengeur de l'amour (1) ».
La souffrance est un purgatoire de miséricorde en ce monde ; mais qui est-ce qui souffre comme les âmes que Dieu purifie par le feu de l'autre monde, sans se débattre sous sa main, avec un amour paisible qui grandit toujours. Tâchons de fonder ici-bas un purgatoire, comme nous fondons des hôpitaux avec la douleur (2). »
Oui, ne l'oublions pas, les peines, les souffrances de la vie sont un purgatoire, l'âme se purifie sous le pressoir de la croix comme elle se purifie sous l'action vengeresse des flammes
allumées dans l'autre vie par la justice de Dieu. Mais souvenons-nous
également que l'âme peut se souiller au lieu de se purifier dans ce purgatoire de miséricorde ; et elle le fait si, au lieu de se soumettre avec paix et résignation à la volonté du Seigneur,
elle se révolte contre elle, se laisse aller à l'impatience et aux
murmures. N'abusons donc pas de la grâce si précieuse de la souffrance,
et ne faisons pas du moyen que Dieu, dans
sa bonté, nous accorde pour expier nos fautes une occasion d'en
commettre de nouvelles. Souffrons, comme les saintes âmes du purgatoire, avec paix, avec résignation, avec amour, et nos souffrances auront le double avantage de nous purifier et de nous faire acquérir d'innombrables mérites.
Le quatrième avantage que procure le souvenir habituel du purgatoire est
d'entretenir l'âme qui s'en nourrit dans une ferveur continuelle. Il la
rend plus vigilante sur elle-même, plus attentive à remplir avec
fidélité tous ses devoirs envers Dieu, envers le prochain
et envers elle-même ; plus soigneuse à bien faire ses plus petites
actions, à purifier toutes ses intentions, à n'agir en tout que pour la
gloire de Dieu et pour son amour. Enfin il lui fait éviter les plus
légères imperfections, et cette seule pensée, combien de jours, de mois, d'années peut-être me faudra-t-il passer en purgatoire pour expier cette imperfection, cette petite faute que le monde traite de bagatelle, suffit pour la lui faire éviter ; car pour elle ce n'est pas une bagatelle que de passer des jours, des mois, des années
au milieu de flammes dévorantes ; ce n'est pas surtout une bagatelle
que de déplaire à Dieu et de rester longtemps séparé de lui après la
mort.
Le cinquième avantage que nous retirons de la pensée du purgatoire c'est la charité qu'elle nous inspire pour les saintes âmes qui y sont détenues. Le cœur
s'émeut à la pensée de leurs souffrances ; il se sent pénétré d'une
tendre compassion pour elles, et de la compassion au désir, à la volonté
de leur venir en aide, de se dévouer à leur soulagement, il n'y a qu'un
pas. Alors on prie, on se mortifie en faveur de ces saintes âmes, on s'efforce de les soulager par tous les moyens que nous avons indiqués dans le cours de cet ouvrage ; leurs intérêts deviennent en quelque sorte ceux de l'âme qui se dévoue
à elles ; leurs souffrances deviennent, si je puis ainsi parler, ses
propres souffrances ; elle souffre avec elles de leur éloignement de
Dieu, et elle éprouve une sainte impatience de leur ouvrir les portes de
leur céleste patrie. C'est ainsi que sans y réfléchir peut-être, cette
âme pratique la charité dans tout ce qu'elle a de plus parfait, de plus
héroïque, et qu'en croyant ne travailler que pour les autres, elle
s'enrichit elle-même d'abondants mérites. En acquittant les dettes des âmes auxquelles
elle se dévoue, elle acquitte également les siennes ; car si la charité
est la plus excellente de toutes les vertus, si devant Dieu elle
supplée à toutes les autres, les âmes qui
la pratiquent envers les morts, loin de rien perdre pour elles-mêmes,
ne peuvent qu'y gagner ; car si Dieu récompensera un jour d'une manière
si magnifique un verre d'eau froide donné à un pauvre en son nom,
combien plus magnifique encore ne sera pas la récompense qu'il accordera
à ceux qui se seront dévoués au soulagement d'âmes qui lui sont si chères, et auxquelles il désire si vivement s'unir pour jamais.
Nous le voyons, le souvenir habituel du purgatoire
peut devenir pour nous une source abondante de biens spirituels ; ne
l'éloignons donc pas de notre esprit, nourrissons-l'y au contraire avec
soin, il contribuera d'une manière efficace à l'amendement de notre vie,
à notre sanctification, et, espérons-le, il
nous évitera de connaître un jour, par expérience, les terribles
expiations dont nous nous serons occupés habituellement pendant notre
vie, et que nous nous serons efforcés d'abréger pour nos frères. Ainsi
soit-il.
PRIERE.
Ne permettez pas, ô mon Dieu ! que j'éloigne de mon esprit, par une fausse sensibilité, une pensée qui peut avoir des avantages si réels et pour moi et pour les autres.
Faites que loin de chercher à me soustraire à la crainte salutaire qu'inspire le souvenir de votre justice et des châtiments qu'elle inflige dans l'autre vie aux âmes qui
ont paru devant votre redoutable tribunal, sans l'avoir entièrement
satisfaite en ce monde, je l'entretienne et la nourrisse avec soin dans
mon cœur, comme un puissant moyen de me faire éviter le péché, quelque léger qu'il puisse me paraître, et de me donner la volonté et le courage d'expier par la pénitence ceux que j'ai eu le malheur de commettre.
Accordez-moi
encore, ô mon Dieu ! la grâce de recevoir désormais avec reconnaissance
les peines qu'il vous plaira de m'envoyer, de les supporter
non-seulement avec patience, avec résignation, mais avec joie et action
de grâces, puisque, dans l'ordre de votre providence, elles doivent
servir à me préserver des peines de
l'autre vie, auxquelles toutes celles de la vie présente, quelque
douloureuses qu'elles puissent être, ne peuvent pas se comparer.
0ui,
mon Dieu, aidé de votre grâce, je veux souffrir à l'avenir avec joie,
avec amour : je veux vous servir avec fidélité, avec ferveur ; je veux
faire avec soin mes plus petites actions, agir en tout avec pureté
d'intention, éviter les plus légères imperfections, non pas seulement
par la crainte de vos châtiments, mais parce que je vous aime et que je crains de vous déplaire.
Je veux encore, ô mon Dieu ! redoubler de zèle pour le soulagement des saintes âmes qui
nous sont si chères, et ne rien négliger à l'avenir pour leur venir en
aide. Heureux si je puis par mon dévouement mettre un terme à leurs
souffrances et leur ouvrir les portes du ciel. Ainsi soit-il.
EXEMPLE.
Une
jeune fille, nommée Gertrude, élevée dans une école de charité, avait
appris dès ses plus tendres années à offrir toutes ses bonnes œuvres à
l'intention des âmes du purgatoire.
Cette dévote pratique était si bien agréée dans le purgatoire et dans le ciel, que souvent le Sauveur se complût à lui désigner les âmes les
plus souffrantes ; et celles-ci, délivrées par sa pieuse charité, se
montraient à elles glorieuses pour la remercier, et lui promettaient de
ne pas l'oublier au paradis.
Elle
avait passé sa vie dans ce saint exercice, et pleine de confiance, elle
voyait avec paix approcher la mort, quand l'infernal ennemi, qui de
tout essaie de se faire un moyen de tenter les hommes, lui représenta
qu'elle s'était dépouillée de tout le mérite satisfactoire de chacune de ses bonnes œuvres, et qu'elle allait tomber dans le purgatoire pour expier toutes ses fautes dans de longues souffrances.
Ce
tourment d'esprit l'avait jetée dans une telle désolation, que son
céleste époux daigna venir la consoler : « Pourquoi, Gertrude, es-tu si
triste et si pensive, toi, qui naguère jouissais de la plus parfaite
sérénité ?
—
Ah ! Seigneur, répondit-elle, dans quelle déplorable situation je me
trouve ! Voilà la mort qui s'approche, et je suis privée de la
satisfaction de mes bonnes œuvres que j'ai appliquées aux morts ; avec
quoi pourrai-je payer la dette que j'ai contractée envers la justice
divine ? »
Alors le Seigneur
reprit avec tendresse : « Ne crains pas, ô ma bien-aimée, car par ta
charité, tu as au contraire augmenté la somme de tes mérites, et
non-seulement tu en as assez pour expier tes légères fautes, mais tu as
acquis un très-haut degré de gloire dans la béatitude éternelle. C'est
ainsi que ma clémence reconnaîtra par une généreuse récompense ton
dévouement pour les morts, et tu viendras bientôt la recevoir dans le paradis »
A
ces mots, il disparut, et l'âme de Gertrude, délivrée de ses angoisses,
fut enflammée d'une ferveur toute nouvelle et d'un désir plus ardent de
secourir les défunts.
PRATIQUE.
S'occuper souvent de la pensée du purgatoire, y
réfléchir sérieusement et prendre tous les moyens que cette pensée nous
suggérera pour nous préserver de ces longues et douloureuses
expiations.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire